Présentation de l'Appreciative Inquiry : de ses origines à ses applications à l'hôpital - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Ressources humaines

Dossier

Christine Cayré  

Engager des conversations sur ce qui anime les personnels hospitaliers quand ils font leur travail, favoriser les rencontres interservices et intermétiers, s'appuyer sur les forces et la vitalité des personnes et du collectif pour imaginer et mettre en œuvre un futur désiré, encourager la coopération, telles sont quelques-unes des propositions de l'Appreciative Inquiry (AI). Philosophie autant que méthodologie d'accompagnement des collectifs, l'AI a fait son apparition en milieu hospitalier en France en 2014 et se développe avec constance. Cet article donne des éléments de définition de l'AI ainsi que des repères sur ses origines et revient sur son essor dans les établissements de santé.

Qu'est-ce que l'AI ?

L'Appreciative Inquiry (AI) est à la fois une philosophie et une méthodologie d'accompagnement du changement. Elle se fonde sur le simple postulat que les systèmes humains, les équipes, les organisations et les personnes évoluent dans le sens des questions qu'on leur pose. Ils vont vers ce sur quoi ils portent leur attention, ce qu'ils étudient, ce dont ils parlent régulièrement. L'essence de l'Appreciative Inquiry est l'étude de ce qui donne vie aux organisations, aux équipes et aux personnes quand elles sont au meilleur d'elles-mêmes. Elle marque une rupture avec l'approche traditionnelle par la résolution de problèmes pour centrer l'attention et faire reposer le changement sur les réussites, les acquis et les énergies positives des organisations, cela selon une méthodologie précise.

L'approche appréciative, ou « exploration positive », commence par la découverte de ce qui est positif, optimiste et qui fonctionne déjà. C'est ce « noyau de réussite » qui sert de point d'appui énergisant et inspirant pour l'élaboration d'un nouveau projet.

En explorant et en étudiant ces moments de réussite, les participants partagent les forces des personnes et de l'organisation comme un tremplin pour des réussites futures. L'approche appréciative aide les gens à identifier ce qu'ils veulent de mieux pour leur organisation, à créer une vision partagée de l'avenir et à transformer cette vision en réalité.

La méthode est hautement participative. Elle nourrit un « dialogue interne » positif au sein d'une organisation ou d'un groupe de réflexion, ce qui crée de nouvelles habitudes mentales et un nouvel état d'esprit qui stimulent l'optimisme, l'innovation et la créativité. L'AI ouvre la voie à l'exploration, l'imagination et l'innovation. Elle crée les conditions de conversations sur les forces individuelles et collectives, les espoirs et les rêves pour le futur et les opportunités et les plans d'action pour une action coopérative.

Origines de l'AI

L'Appreciative Inquiry est née au sein de l'Université Case Western Reserve University de Cleveland. David Cooperrider y est alors étudiant thésard dans le programme de doctorat en comportement des organisations. En 1980, sous la supervision de son professeur Suresh Srivastva, il entreprend un diagnostic conventionnel de l'organisation de la Clinique de Cleveland. En rassemblant ses données, il s'étonne du niveau de coopération positive, d'innovation et de gouvernance égalitaire qu'il voit dans l'organisation.

Suresh Srivastva remarque l'enthousiasme de David et suggère d'aller plus loin dans son exploration en mettant au centre de ses préoccupations la recherche des facteurs de cet enthousiasme. David Cooperrider obtient du président de la clinique, le Dr William Kiser, l'autorisation de se consacrer entièrement à une analyse centrée sur les facteurs de vie contribuant au fonctionnement de la clinique quand elle est au meilleur d'elle-même.

Des échanges nourris se produisent entre David Cooperrider, Suresh Srivastva et notamment Ron Fry, professeur, et Frank Barrett, un autre doctorant. Ils débattent sur l'importance de la forme des questions posées dans toute exploration et de leur impact déterminant, selon qu'elles sont déficitaires, neutres ou positives, sur les résultats obtenus. Ils observent combien le questionnement instille les transformations.

La Clinique de Cleveland est le premier site de cette importance où la décision consciente de recourir à une enquête centrée sur les facteurs vitaux constitue la base d'une analyse organisationnelle. Le terme Appreciative Inquiry, que l'on peut traduire par « exploration appréciative », apparaît pour la première fois dans une note analytique de David Cooperrider et Suresh Srivastva destinée au conseil d'administration de la Clinique de Cleveland. Le rapport suscite un élan si puissant et positif que le conseil demande que cette méthode soit employée pour accompagner les 8 000 personnes de l'organisation dans les projets de changement. Cet élan ouvre la voie à la thèse fondamentale de David Cooperrider, qui articule la théorie et la pratique de l'AI.

Le travail de recherche et de théorisation se poursuit jusqu'au début des années 1990, et c'est alors que l'AI commence à être enseignée dans les organisations, aux consultants, aux éducateurs, thérapeutes, etc.

Elle est introduite en France par Jean Pagès en 2004. Il fonde l'Institut français d'Appreciative Inquiry (IFAI) avec Jean-Christophe Barralis en 2009 (1).

L'arrivée de l'AI dans les établissements de santé en France

La société Pragma mène en France des démarches de mesure du climat social dans les établissements de santé depuis 2008. Un de ses dirigeants et consultants, Thierry Brigodiot, décide après avoir été formé à l'AI en 2009 d'en articuler les angles de vue avec l'interprétation des résultats des baromètres sociaux. En 2013, à l'occasion de la présentation des résultats d'un baromètre social mutualisé à plus de 40 établissements des régions PACA et Languedoc-Roussillon, Thierry Brigodiot s'attache à rééquilibrer ses commentaires d'analyse. Le thème central est l'évaluation des risques psychosociaux. Se sachant attendu principalement pour signaler les résultats alarmants à partir desquels devaient se déployer les plans d'action d'amélioration, il choisit de souligner le niveau d'engagement profond et puissant exprimé par les personnels dans l'exercice de leur métier, qu'ils soient soignants, administratifs, techniciens ou médecins. Une conversation s'ouvre alors autour des ressources révélées par le baromètre social. Depuis, les temps de restitution se sont enrichis de conversations approfondies ouvrant à de nouvelles modalités d'accompagnement, s'appuyant sur les forces de vie d'une équipe, d'un pôle, d'un établissement pour envisager l'avenir sous un autre angle. Les premières expérimentations de l'AI dans les établissements de santé en France ont suivi : ici la sensibilisation des cadres à la démarche, là l'élaboration d'un projet CLACT (contrat local d'amélioration des conditions de travail), là encore une sensibilisation de médecins.

Avec la contribution active de médecins, personnels soignants, directeurs d'établissement – certains formés par l'IFAI – le déploiement de la démarche, sous des formes et dans des périmètres variés, se poursuit sur l'ensemble du territoire.

Les cinq principes fondamentaux de l'AI

Le principe constructionniste

La réalité et les relations sont des construits sociaux. Les organisations sont elles-mêmes des réalités socialement construites. C'est ainsi que nous définissons et décrivons des « faits » objectifs et subjectifs qui influencent ce que les gens pensent et font. Au fil de chaque conversation, cette réalité est créée, alimentée, et/ou modifiée. En outre, il n'y a pas de réalité sociale objective unique. Au lieu de cela, il y a de nombreuses « vérités », différentes pour chaque organisation, certaines dominantes, et certaines périphériques. La connaissance humaine et le destin des organisations sont imbriqués. Nous sommes constamment impliqués dans la compréhension et la construction de sens à propos des gens et du monde qui nous entourent – en faisant de la planification stratégique, des études de notre environnement, des analyses de besoins, des mesures et des audits, des enquêtes, des groupes de travail, des évaluations de performance, etc. Pour être efficaces, dirigeants, leaders et acteurs du changement doivent être des adeptes de l'art de comprendre, lire et analyser les organisations comme des constructions humaines vivantes.

Le principe de simultanéité

L'exploration et le changement ne sont pas des moments séparés mais simultanés. L'exploration est, en elle-même, une intervention. Les germes du changement – ce à quoi les gens pensent et ce dont ils parlent, ce qu'ils découvrent et apprennent, ce qui nourrit le dialogue et inspire les images du futur – sont déjà présents dès les premières questions que nous posons. Ces questions définissent le cadre de ce que nous trouvons ensuite et ce que nous découvrons (les données) devient le matériau linguistique, les histoires à partir desquelles le futur sera conçu et bâti.

Le principe poétique

Les organisations humaines ressemblent plus à un livre ouvert qu'à, disons, une machine. L'histoire d'une organisation est constamment coécrite. Le passé, le présent et les futurs sont des sources infinies de découverte, d'inspiration, d'interprétation, tout comme sont infinies les possibilités d'interprétation d'un poème ou d'une œuvre littéraire. La conséquence est que nous pouvons virtuellement étudier tout sujet concernant l'expérience humaine. Nous pouvons investiguer la nature de l'aliénation ou de la joie, de l'enthousiasme ou du découragement, de l'efficacité ou de l'agitation, cela dans toute organisation humaine.

Le principe d'anticipation

Nos images positives du futur engendrent nos actions positives. Cette base et ce présupposé de l'AI sont incroyablement énergisants. Notre imagination collective et nos échanges sur le futur sont une ressource infinie pour susciter des changements organisationnels constructifs.

Le principe positif

Échanger et faire vivre une dynamique de changement requiert une importante quantité d'affects positifs collectifs – espoir, enthousiasme, inspiration, attention portée aux autres, camaraderie, intérêt pour le sujet... Cela implique de partager la joie de créer ensemble quelque chose qui a du sens. Nous avons découvert que plus les questions que nous posons sont positives, plus la dynamique de changement est durable et fructueuse. La chose la plus puissante que puisse faire un acteur du changement est de concevoir et de poser des questions inconditionnellement positives.

Le questionnement appréciatif

La culture de la résolution de problèmes est très présente dans l'univers de la santé. Il y est familier d'identifier les problèmes et de les régler. Cette approche, efficace dans certains registres, a pourtant ses limites. Les méthodes qui s'appuient sur la résolution des problèmes ont montré qu'elles pouvaient avoir des conséquences indésirables. Elles limitent la créativité, alimentent une orientation tournée vers le déficit, créent une vision fragmentée du monde et peuvent générer la dissension plutôt que la coopération. Ainsi, s'il est coutume de poser les questions qui invitent à rechercher les problèmes, les causes de ces problèmes et parfois même les coupables, rechercher les réussites et en comprendre les forces mises en œuvre relève de l'exercice de style. La plupart des dirigeants sont peu formés à cette exploration. Pratiquer le questionnement inconditionnellement positif est un des piliers de la démarche appréciative.

Ainsi, les questions fondamentales de l'AI sont :

• Décrivez une expérience, un moment, une situation de votre vie professionnelle dans laquelle vous vous sentez complètement engagé(e), plein(e) de ressources ou de vie ;

• Sans modestie excessive, qu'avez-vous mis en œuvre, quels sont les talents, capacités, ressources pour y arriver ?

• Qu'est-ce qui vous a procuré de la satisfaction, du plaisir ? Qu'est-ce qui a donné vraiment vie à cette expérience ?

• Quels sont les trois souhaits que vous formuleriez pour revivre ce genre d'expérience ?

Bibliographie

    Le processus des « 5 D »

    1. Définition : décider du projet positif et optimiste.

    2. Découverte : apprécier nos talents, réussites, ressources, piliers.

    3. Devenir : exprimer nos souhaits, élaborer une vision partagée du futur en lien avec le projet.

    4. Décision : coconstruire des projets et des actions inspirés des souhaits.

    5. Déploiement : mettre en œuvre et soutenir les projets et les actions.

    Deux exemples de questionnements contextualisés

    Sur le sujet de l'autonomie

    • Racontez une histoire dans laquelle vous avez été amené à prendre une initiative et à faire preuve d'autonomie et dont le résultat de cette prise d'initiative fut positif. Que s'est-il passé ? Sans fausse modestie, qu'est-ce qui a marché et quels ont été les résultats ?

    • Comment avez-vous procédé pour exprimer votre autonomie et votre prise d'initiative vis-à-vis des responsables ? Quelles compétences et qualités ont été mises en œuvre pour lancer cette initiative et contribuer au succès de cette histoire ?

    • Qu'en avez-vous retiré sur le plan de votre satisfaction personnelle ? Qu'est-ce qui vous a plu et procuré un sentiment agréable, voire du plaisir ?

    • Quels sont vos trois souhaits pour rendre plus systématique l'expression de votre autonomie, de votre initiative et de votre prise de responsabilité ?

    Sur le sujet des différends dans une équipe

    • Repensez à un moment où vous avez travaillé dans un contexte difficile et tendu mais où chacun a quand même pu se sentir respecté et considéré et dont l'issue a été positive. Racontez ce moment. Qui étaient les parties prenantes ? Que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui, dans cette situation, demandait une attention particulière et comment vous et les autres l'avez-vous géré ? En quoi cette situation a-t-elle renforcé les liens entre vous ? Qu'avez-vous appris de ce qui s'est passé ? À propos de vous-même ? Des autres ? De la confiance ?

    • En repensant à cette expérience et à d'autres que vous avez pu vivre, quels sont selon vous les facteurs clés qui ont contribué à la réconciliation et à la confiance ? Quels sont les éléments clés que vous apportez à cette équipe au service de la réconciliation et de la confiance ?

    • Qu'est-ce que vous pouvez faire spécifiquement dans le futur pour renforcer la capacité de votre équipe à traverser ses temps de différends ?

    (1) http://ifai-appreciativeinquiry.com/