Un nouvel angle de vue - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Sur le terrain

Dossier

Propos recueillis par Fanny Barbier  

Formés plus ou moins récemment, des cadres de santé et responsables des ressources humaines, exerçant dans différentes structures, témoignent de leur expérience de la démarche « Appreciative Inquiry ».

Carine Piotrowski (1) nous explique : « Cette formation m'a apporté une belle remise en question dans le sens où cela me permet de prendre du recul sur les situations et de trouver des formulations positives et constructives pour m'adresser à mes interlocuteurs. Je me sens plus sereine par rapport à certaines situations professionnelles.

Depuis que je suis devenue cadre en 2012, j'ai à cœur de préserver mes valeurs soignantes. Être cadre, c'est pourtant parfois être soumis à des injonctions paradoxales entre directives institutionnelles et réalité du terrain.

Récemment, nous avons été confrontés à des revendications véhémentes par les représentants syndicaux autour du bilan de la formation continue. L'encadrement y était excessivement stigmatisé. Un des représentants syndicaux qui avait été sensibilisé à la démarche appréciative a pris la parole pour déplorer que cette approche ne soit pas déployée à ce moment précis. J'ai saisi la balle au bond pour proposer que nous travaillions tous ensemble à la refonte de la feuille de demande de formations individuelles.

La démarche appréciative permet de développer la qualité d'écoute, elle nous permet de mieux nous connaître. C'est en adéquation avec la façon dont j'ai toujours considéré mon métier : être à l'écoute du patient pour construire avec lui son projet de soin. En cela, la démarche appréciative m'a confortée dans la possibilité d'être en accord avec mes valeurs, je ne veux pas imposer mon autorité et je veux permettre le bien-être de mes équipes au travail.

Ça m'a permis de me rapprocher de mes équipes. Le fait de s'ouvrir au travers des échanges et, d'une certaine façon, de se mettre en danger, ça fait tomber les barrières.

Ce que la démarche appréciative permet, c'est de partager nos différentes visions du monde en réussissant à se parler grâce au partage de nos histoires ; cela permet de ne pas rester enfermé dans son schéma à soi et ça développe notre capacité à prendre en compte les idées des agents. À mon sens, la démarche appréciative peut aider à aller vers la bientraitance des agents et des patients. Le terrain peut être plus entendu.

Je ne sais pas si ce que ça m'a apporté est quantifiable ou objectivable mais je sais que je suis plus sereine dans la manière d'aborder les choses. Cela a transformé la manière dont je vais à la rencontre des autres, dans la construction plutôt que l'affrontement. Il y a parfois des paroles tellement blessantes pour notre fonction que parfois je n'ai pas pu m'empêcher de monter au créneau. Désormais j'apprends à être plus constructive et à me départir de mes a priori sur les personnes pour écouter ce qu'elles ont à dire et à proposer. »

 

Pour Patricia Caïetta (2), « L'approche appréciative a été choisie pour accompagner le Pôle psychiatrie de l'AP-HM à l'occasion du changement de chefferie. L'ancien et le nouveau bureau de pôle se sont réunis pour travailler sur une aspiration commune, je faisais partie de ce groupe. Cela a déjà permis de renforcer le lien entre nous et de nous rendre compte de tout ce que nous avions de semblable. Cette ambition a ensuite été partagée avec un groupe d'agents qui l'ont à la fois questionnée et enrichie. Ce moment a été un temps très fort où tous les mots ont été considérés. Deux sujets d'exploration ont été choisis : l'innovation et la collaboration. J'ai vraiment eu la sensation de faire partie d'un collectif au travail. Ensuite plusieurs journées d'échanges et de propositions d'actions sur les thèmes de l'innovation et de la collaboration ont eu lieu entre janvier et juin 2019. Dès septembre prochain ces actions vont être mises en place, nous devons aller jusqu'au bout !

Lors des premières conversations entre nous, nous avons dû fouiller dans nos mémoires. Ça n'est pas allé de soi pour moi de retrouver des souvenirs de ce qui avait bien fonctionné. Pourtant j'ai participé à une belle aventure, celle qui a vu l'évolution de la prise en charge des soins de psychiatrie, le passage de locaux déplorables à des bâtiments neufs, l'arrivée de la psychiatrie au cœur de la ville de Marseille, la naissance du pôle. Ça a été une aventure collective, j'ai vécu cet engouement.

Puis se sont amplifiées les injonctions de restrictions. ``Serrer la vis'', comme une rengaine. En tant que cadre supérieur, j'ai toujours œuvré, avec d'autres cadres, pour que cela ne retombe pas sur le personnel. L'AI est arrivée à un moment où je n'en pouvais plus de porter ce seul message !

Quand je retrace le fil de ce qui s'est passé pendant le projet, ce qui ressort à chacune des étapes, c'est notre envie de travailler ensemble. Une envie qui a tendance à se mettre en sourdine quand elle n'est pas partagée entre nous et qui a donc vraiment besoin d'être dite.

Notre quotidien est de travailler autour de la maladie, de la souffrance, ça impacte notre façon de voir la vie. L'approche appréciative nous redonne de l'espoir, nous permet de prendre conscience de notre capacité d'agir positivement sur notre entourage. Chacun voit quelle est sa place et son importance dans l'organisation. Ces discussions ont mis en relief nos valeurs communes autour du soin et montré combien notre attention aux patients est un pilier de nos pratiques.

Je me suis très vite reconnue dans cette approche parce qu'elle a mis des mots sur ce que je ressentais et que je m'attachais à faire depuis longtemps : créer des collectifs au travail, encourager une dynamique participative. Je m'apprête à partir à la retraite. Je regrette que l'approche appréciative soit arrivée un peu tard dans ma carrière mais je suis heureuse d'avoir participé à son initiation dans le pôle de psychiatrie ! »

 

Marie-Odile Reynaud et Evolène Müller-Rappard (3) racontent : La première rencontre entre les Hospices civils de Lyon (HCL) et l'Appreciative Inquiry s'est produite en 2015, lors de la présentation des résultats d'un baromètre social. En faisant mention de l'AI, l'intervenant crée une curiosité chez Marie-Odile Reynaud et Évolène Müller-Rappard.

Toutes les deux sont séduites par cette démarche, qui « fait regarder les pleins et non les creux », pour reprendre leur expression, sachant, poursuit Marie-Odile Reynaud que « quand on est à l'étranger, on est frappé par le caractère des Français, qui sont beaucoup dans la plainte, à l'hôpital comme ailleurs ».

Par ailleurs, elles comprennent que cette approche qui permet à un grand nombre de contributeurs de faire entendre leur voix correspond à une volonté déjà perçue des équipes de managers. En effet, dès 2012, un séminaire réunissant l'ensemble des cadres soignants (plus de 500 personnes) faisait émerger leur volonté de participer plus activement à l'élaboration des politiques managériales, avec un leitmotiv qui pourrait se résumer ainsi : « Faites-nous confiance. » Trois ans plus tard, ce désir est confirmé par les résultats d'un baromètre social qui, précise Marie-Odile Reynaud, a été coconstruit avec les partenaires sociaux : « Cela nous a pris du temps car au départ les intérêts des uns et des autres étaient plutôt divergents. Nous avons été convaincues alors que nous avions besoin de quelque chose qui mette en énergie et non qui se limite au négatif. »

L'occasion s'offre quand il s'agit d'élaborer le volet managérial du projet d'établissement 2018-2023. La DRH décide alors de recourir à la démarche « Appreciative Inquiry » et demande à deux facilitateurs AI de les accompagner afin, précise-t-elle, que « ce volet managérial réponde aux souhaits et aux aspirations des managers, afin qu'il soit en lien avec leur quotidien et non construit à partir de notre seule vision à nous, direction des ressources humaines, et plaqué de manière artificielle sur leur réalité ».

Il faut rappeler qu'un projet d'établissement hospitalier comprend trois volets : la prise en charge des patients, le projet de gestion et le volet social et managérial. L'habitude veut que ce volet résulte de la mise en commun de trois projets élaborés séparément, d'une part, par la direction des affaires médicales, d'autre part, par la direction centrale des soins, et enfin par la direction du personnel et des affaires sociales, en lien avec les organisations syndicales, qui gère le personnel non médical. Chacune de ces trois directions écrivant sa partie.

« Notre ambition avec l'AI était d'embarquer les managers de ces trois directions ; l'objectif étant le même pour tous, il était paradoxal de ne pas les associer dans un même ensemble. Il restait à réfléchir aux moyens à mettre en place pour réunir les 2 000 cadres que comptent les HCL, pour 23 000 salariés. »

(1) Infirmière anesthésiste, cadre supérieur de santé au Pôle enfant, centre hospitalier de Mayotte, formée à la démarche « Appreciative Inquiry » en janvier 2019

(2) Cadre supérieure de santé au Pôle psychiatrie, pédopsychiatrie et addictologie de l'AP-HM, membre du bureau de pôle qui a initié un accompagnement avec l'approche appréciative en septembre 2018, et formée à l'Appreciative Inquiry.

(3) Marie-Odile Reynaud, directrice du personnel et des affaires sociales, et Évolène Müller-Rappard, directrice adjointe à la direction du personnel et des affaires Hospices Civils de Lyon.