Prendre soin des soignants - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Promotion de la santé

Dossier

Interview réalisée par Fanny Barbier  

Entretien avec Corinne Isnard Bagnis, néphrologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et professeure de néphrologie à la Sorbonne

En 2008, Corinne Isnard Bagnis découvre la méditation. Elle suit la formation de « Mindfulness Based Stress Reduction » (1) de Jon Kabat-Zin et ouvre en 2012 (après s'être formée à enseigner la méditation à l'école de Boston), dans le cadre des ateliers d'éducation thérapeutique de son service, un programme intitulé « Apprenez à mieux gérer votre stress pour mieux vivre au quotidien avec la maladie » pour les patients de la Pitié-Salpêtrière. C'est ainsi, sans la nommer vraiment, qu'elle introduit la méditation à l'hôpital en France, pays de Descartes et fort en retard par rapport à ce qui se passe aux États-Unis et au Canada, où Corinne Isnard Bagnis se rend souvent. En 2015, avec Patricia Dobkin, professeure de psychologie à McGill University (2), elle débute un enseignement de la méditation dédié aux soignants.

Sachant ou accompagnateur ?

« C'est une partie du plaisir dans l'enseignement de la méditation que de ne pas être le sachant, explique Corinne Isnard Bagnis. Il s'agit de faire découvrir une expérience. Par sa posture et sa présence, l'enseignant joue le rôle de catalyseur, il apporte un contenant que les participants s'approprient. Pour amener un malade au changement de comportements, la pédagogie cognitive est peu efficace. Alors que la méditation de pleine conscience, qui consiste à mobiliser son attention de façon focalisée sur l'instant présent, sur ses sensations internes et ses perceptions, permet d'apprécier son stress, sa fatigue, ses émotions positives et négatives, ses pensées et de devenir conscient de sa réactivité. Cette découverte est souvent un moteur de changement des comportements initié par la personne elle-même.

La pratique méditative est également intéressante pour former les soignants à observer les malades. J'ai moi-même remarqué que mon comportement de médecin avait changé, j'ai gagné en qualité de présence et d'écoute, ma manière de parler aussi a évolué : ``Et vous, comment allez-vous vraiment ?'' Lorsque je suis devant un patient, je l'écoute, j'ai une feuille blanche devant moi, je ne cherche pas à cocher des cases pour entrer dans un scénario déjà écrit. Ces dix minutes d'attention avec lesquelles je démarre un entretien changent beaucoup de choses. Ainsi, cette patiente que je suivais depuis longtemps m'a raconté que c'est suite à un épisode dramatique de sa vie qu'elle avait pris le pli de prendre les médicaments que j'essayais vainement de lui faire arrêter. Elle ne m'en avait jamais parlé et, sans cette information, je n'aurais pas pu trouver les mots susceptibles de la faire changer de comportement. »

Faire preuve d'une attention de qualité

Le travail sur les processus attentionnels, qui résulte de la pratique méditative, fait partie de l'enseignement de la méditation pour les soignants créé par Ron Epstein à la faculté de médecine de Rochester. Ron Epstein met en exergue le travail de méditation sur les processus attentionnels dans l'intention de pratiquer l'art de la médecine clinique. Il montre comment le manque d'attention peut gêner les médecins et entraîner des erreurs de diagnostic qu'il relie aux biais cognitifs. Ces pièges de nos raisonnements ne sont pas enseignés aux futurs médecins, qui sont formés à être certains de leurs connaissances et méconnaissent le risque de mauvais raisonnement. « C'est un sujet dont on ne parle pas en France, souligne Corinne Isnard Bagnis. Les étudiants en médecine sont exposés, comme chacun, à l'influence des biais cognitifs ; leurs études les transforment en petits sachants. »

Nécessaire autocompassion chez les soignants

La formation de Ron Epstein permet à Corinne Isnard Bagnis de découvrir l'Appreciative Inquiry et la médecine narrative. « Les soignants sont élevés dans la culture de ce qui ne va pas, précise-t-elle. Or ne travailler que sur ce qui ne va pas contribue à vous faire oublier vos qualités professionnelles. Même en cas de décès accidentel, porter attention à la famille, expliquer l'erreur commise, etc., est susceptible de favoriser la vie professionnelle et fait le lien avec les pratiques d'autocompassion dont les soignants manquent cruellement. Les ouvrages de psychologie de la formation médicale le soulignent, les soignants sont dans une relation d'aide, dans l'hétéro-empathie, ils s'oublient et ne s'écoutent pas. »

Ce qu'elle a appris à Rochester, Corinne Isnard Bagnis l'a inclus dans ses groupes de formation des soignants à Paris. « Par groupe de deux, je les invite à partager ``ce que vous faites pour prendre soin de vous quand vous n'allez pas bien''. Cela peut se traduire par des larmes chez les participants, chacun à son tour parle et écoute, puis nous débriefons. Le questionnement ouvert attire l'attention sur ce qui n'est pas habituellement recherché, il permet d'aller en profondeur en utilisant différents registres, le narratif, le curatif, etc. L'enseignement de Ron Epstein incite à porter l'attention à l'autre, à prendre soin de soi et de l'autre. On pourrait l'appeler ``care'', à la manière de Carl Rogers, ``méditation de pleine conscience'' ou ``Appreciative Inquiry''. Toutes ces approches utilisent les mêmes leviers : l'attention, l'empathie, la prise de recul, le ressenti. »

Bibliographie

    (1) Créé en 1979 par Jon Kabat-Zinn au sein de la Faculté de médecine du Massachusetts, le programme « Mindfulness-Based Stress Reduction » (« Réduction du stress basée sur la pleine conscience ») tire ses influences de deux grands courants : celui des traditions méditatives orientales (pratique bouddhiste de vipassana et yoga) et celui de la science occidentale (médecine et psychologie).

    (2) Professeure associée à McGill University, Montréal, créatrice du programme « Whole Person Care ».