Le management appréciatif - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Management des soins

Dossier

Jean-Christophe Barralis  

Comment aujourd'hui un manager ou un dirigeant peuvent-ils susciter au quotidien l'engagement, la motivation et la coopération dans leur organisation ? Fondé sur deux courants, l'Appreciative Inquiry et la psychologie positive, le modèle de management dit « appréciatif » conçoit la vie au travail différemment des anciens systèmes : prêter attention à l'énergie produite et aux efforts déployés autant qu'aux résultats permet de renforcer la satisfaction au travail, une dynamique constructive et de maintenir une tension positive vers une performance qui se conjugue avec l'épanouissement des équipes.

Qu'entendent un manager et un collaborateur quotidiennement aujourd'hui ? De l'information médiatique aux discours politiques, en passant par les discussions sociales en entreprise ou chez soi, voici un échantillon de petites phrases récupérées ici et là, lues ou entendues :

« Dans notre monde en constant changement, aux composantes de plus en plus complexes... » ; « L'année a été marquée par des difficultés économiques et financières, des déficits, un chômage important. Dans ce contexte, des efforts sont demandés à tous... » ; « Dans un monde incertain en perpétuelle évolution où l'incertitude plane... et dans une société en crise... » ; « Dans une organisation à forte contrainte où les procédures règnent et où les moyens diminuent... »

Alors, sommes-nous condamnés à vivre dans la peur ? Ce florilège de petites phrases qui s'installent subrepticement dans nos cerveaux donne un aperçu de l'état d'esprit régnant dans les organisations et dans notre société. Un enjeu serait de faire pencher la balance un peu plus du côté de la joie que de l'inquiétude, de la satisfaction plutôt que du côté du manque, et d'imaginer aussi une autre réalité.

Dans cette morosité ambiante, comment un manager ou un dirigeant peuvent-ils susciter au quotidien l'engagement, la motivation et la coopération dans leur organisation ? Comment agir avec efficacité en préservant le bien-être individuel et collectif ? Comment identifier les forces d'une équipe, en comprendre le fonctionnement pour les développer ? Comment donner du sens à l'action dans la période incertaine que nous traversons ? Comment, enfin, redonner au travail sa noblesse ?

Un modèle de management pour penser la vie au travail autrement

Là où les anciens modèles peuvent trouver leurs limites, là où se présente toujours la contrainte de faire « du plus » ou « du mieux » dans un paysage où la menace des risques psychosociaux et de la « crise » plane, nous nous sommes posés la question de profiter des solides apports d'une discipline scientifique récente : la psychologie positive. Celle-ci étudie les « systèmes » lorsqu'ils fonctionnent de manière optimale et donnent des résultats. Nous avons donc pris appui sur ces travaux pour réfléchir sur un modèle de management original et provocant, qui pourrait permettre de penser la vie au travail différemment, tout en maintenant en vue les objectifs de performance. C'était ambitieux, mais dans un monde où l'économie positive prend son envol et où la responsabilité sociétale des entreprises se développe, être « appréciatif » nous a semblé un mouvement en mesure de contrecarrer, sans la nier, cette ambiance collective teintée de gris.

La forte promotion actuelle de l'idée de « bonheur au travail », qui reçoit un large accueil dans le public et répond à une aspiration croissante, nous engage aussi à réfléchir plus précisément sur notre pratique en milieu professionnel. Pas simple à appréhender, elle se confond parfois avec les notions de bien-être, d'épanouissement, de satisfaction, ce qui ne simplifie pas sa transposition dans le quotidien des managers et donc sa mise en œuvre dans les organisations.

Le manager « appréciatif » : une posture résolument positive

Nous posons qu'un manager est « appréciatif » quand il s'est construit une vision positive des êtres humains au travail et de leurs propres relations. Une vision qui le porte à rechercher et à percevoir la bonté des personnes, leur générosité, leur altruisme et leur solidarité. Il peut avoir besoin d'entraînement et d'endurance psychologique pour résister au modèle prédominant, celui de l'« Homo economicus », c'est-à-dire un individu censé viser son intérêt personnel, donc individualiste voire égoïste et qualifié de « rationnel » par certains économistes qui semblent penser que la rationalité pousse à penser à soi au présent, au détriment des autres et des générations à venir.

En outre, faire confiance à l'altruisme et à la coopération comme moteurs de l'activité humaine s'ils sont encouragés, nourrir les relations plutôt que favoriser de simples transactions sont des piliers avérés de la performance.

C'est une nouvelle anthropologie de l'être humain qui se dessine actuellement avec l'apport de l'Appreciative Inquiry et cela nous semble constituer un terreau fertile pour les futurs comportements managériaux.

Ainsi le « manager appréciatif » est un concept créé en 2009 par l'Institut français de l'Appreciative Inquiry (IFAI), à partir des travaux de deux courants scientifiques : l'Appreciative Inquiry et la psychologie positive.

Encourager et valoriser...

Le management appréciatif repose sur une posture appréciative singulière qui permet aux managers de :

• valoriser le travail et la relation de l'individu à son travail ;

• construire et partager un sens pour l'action ;

• diriger son attention sur les réussites ;

• repérer les forces et les atouts de son équipe ;

• reconnaître les efforts autant que les résultats ;

• veiller à l'existence d'un sentiment d'efficacité personnelle chez les personnes ;

• utiliser un langage appréciatif ;

• faciliter l'autonomie et la créativité ;

• susciter la coopération, l'entraide et la générosité ;

• cultiver l'optimisme.

Il valorise le travail en tant que tel et l'individu qui l'effectue. Il contribue, avec ses équipiers, à la construction du sens, de la finalité du travail. La personne qui exerce un métier, quel qu'il soit, est ainsi en mesure de dépasser la simple nécessité de travailler pour percevoir son utilité et son apport aux autres.

Prêter attention à l'énergie produite et aux efforts déployés autant qu'aux résultats permet de renforcer la satisfaction au travail, une dynamique constructive et de maintenir une tension positive vers plus de performance.

Cette attitude contribue au sentiment d'efficacité personnelle ou « self efficacy » (1), c'est-à-dire à la croyance de la personne en son pouvoir de réussir les travaux qui lui sont assignés.

Un sujet dont les capacités ne sont pas optimales mais qui ressent un fort sentiment d'efficacité personnelle produit de meilleurs résultats qu'une personne compétente en doute. Le manager appréciatif peut contribuer à développer ce sentiment d'efficacité personnelle, en favorisant notamment :

• l'augmentation des compétences de l'individu ;

• l'apprentissage social par observation et modélisation ;

• la persuasion par autrui ou l'influence positive d'une ou plusieurs personnes.

... pour maintenir « la vie bonne au travail »

Encourager l'autonomie et la créativité, voilà une belle manière de maintenir « la vie bonne au travail », expression empruntée à Jacques Lecomte, docteur en psychologie, qui nous aide en rendant finalement accessible cette notion de bonheur au travail.

Selon Edward Deci et Richard Ryan (2), qui font référence en matière de recherches sur la motivation au travail, l'autonomie est un des trois besoins psychologiques à la base de la motivation humaine. Les deux autres sont le besoin d'appartenance à un groupe social et le besoin de compétence. Savoir parfois remettre en cause les procédures quand celles-ci deviennent contre-productives est salutaire. On parle maintenant de déviance positive quand un individu prend une initiative.

Le langage utilisé quotidiennement retient l'attention du manager appréciatif. Il évite, par exemple, des phrases telles que : « Dans ce contexte difficile, il faut s'attaquer aux freins et gérer les risques, de plus il faut améliorer notre communication et être plus performant en résolvant les problèmes opérationnels... »

Ce type de langage n'est, bien sûr, en rien appréciatif et il induit une réelle pression dans les esprits. En revanche : « Nous souhaitons contribuer au bien-être de nos patients en leur apportant un confort et, pour atteindre cet objectif, notre ambition est de nous réunir et partager ensemble nos succès pour tirer le meilleur parti de la situation pour nous tous et notre entreprise... » Le langage utilisé permet de façonner les représentations mentales et les actions qui suivent : « words create worlds » (« les mots créent des mondes »), selon la formule de David Cooperrider, cocréateur de l'Appreciative Inquiry.

Un manager appréciatif ne nie pas les problèmes ; il consacrera le temps nécessaire à leur résolution et proposera d'en tirer des enseignements, mais il concentrera davantage ses efforts sur l'ambition et les objectifs porteurs de sens et fortement engageants.

Partager cette dimension a changé le regard que certains avaient sur leurs tâches, sur eux-mêmes et, par extension, leur image auprès de leur « chef » et autres collègues.

Lorsqu'un travail est accompli, un projet bien mené, une activité réalisée avec efficacité, il est riche d'enseignement de rechercher les causes de succès et de les partager. Partager les réussites en utilisant l'Appreciative Inquiry, repérer les forces mises en œuvre lors de ces succès permet d'identifier les points d'appui ainsi que les facteurs d'engagement et de satisfaction individuels et collectifs. Cela est non seulement utile pour la cohésion et le développement d'une équipe, mais aussi pour faire face aux difficultés conjoncturelles.

Vers une Organisation Appréciative ?

Loin de nous l'idée d'une posture héroïque du manager appréciatif ; son appartenance à un corps social et à une organisation et donc à un système humain est, bien sûr, à prendre pleinement en compte. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il est fondamental que l'organisation devienne elle-même appréciative.

Une telle organisation intègre un fonctionnement managérial socialement responsable vis-à-vis de l'ensemble des parties prenantes. Ses dirigeants réfléchissent à des fonctionnements participatifs structurés, à la meilleure réalisation des collaborateurs, qui trouvent du sens à leur travail et utilisent judicieusement leurs compétences et talents.

Elle ne perd pas de vue sa performance, notamment économique, qui est le garant de sa survie, tout en favorisant le bien-être des acteurs et des bénéficiaires de ses services.

(1) Albert Bandura, Auto-efficacité : le sentiment d'efficacité personnelle (traduction par Jacques Lecomte), 2e édition, Paris, De Boeck, 2007.

(2) Edward L. Deci, Richard M. Ryan, Intrinsic motivation and self-determination in human behaviour, New York, Plenum Publishing Co., 1985.