LES CLINIQUES EXCLUES DU SERVICE PUBLIC ? - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

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Estimant que le projet de loi de santé « signe la mort de la médecine libérale et la fin de l’hospitalisation privée », la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) a lancé un appel à la grève illimitée de ses 1 100 établissements adhérents à compter du 5 janvier.

*Bernadette Devictor : « Nous souhaitons une coopération optimum entre acteurs du privé et du public »

Le projet de loi de santé prévoit la définition de critères, jugés trop restrictifs par la Fédération de l’hospitalisation privée, pour la participation des cliniques au « service public hospitalier ». Quelles en seraient véritablement les conséquences ?

Le projet de loi prévoit simplement un rétablissement du service public hospitalier tel qu’il existait avant la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de juillet 2009. C’est une réponse à une forte demande de la part de l’hospitalisation publique, qui ne voulait pas voir son activité tronçonnée en différentes missions. L’option choisie par le projet de loi est donc de rétablir le service public hospitalier comme un bloc d’obligations qui concernerait l’ensemble des activités.

Les établissements privés devront-ils choisir entre assurer l’ensemble de ces obligations ou ne pas concourir au service public ?

La difficulté aujourd’hui est que le projet de loi parle exclusivement du service public. Mais il ne fait pas référence à des possibilités de participations ponctuelles au service public hospitalier. Autrement dit, oui, les établissements qui voudront faire partie intégrante du service public hospitalier devront accepter le bloc des missions en entier, en particulier l’absence de dépassements d’honoraires. Néanmoins, des modes d’association du privé au service public existaient déjà avant la loi Bachelot et continueront à exister. Je crois sincèrement qu’il y a un besoin de clarification pour rassurer les cliniques, mais la difficulté peut être surmontée. La Conférence nationale de santé avait d’ailleurs souligné dans son avis qu’il était dommage que la loi ne traite que du service public.

Par exemple, les cliniques pourront-elles continuer à participer à la prise en charge des urgences, sans pour autant répondre aux autres obligations du service public ?

Il n’a jamais été question du contraire, sous réserve qu’elles respectent les obligations légales ! D’ailleurs, je ne vois pas comment on pourrait faire autrement du jour au lendemain. Ce serait très compliqué sans les cliniques, d’abord pour les patients. La grève annoncée, déjà, va poser problème.

Selon vous, à quels types de missions peuvent participer les cliniques ?

Il faut qu’on sorte d’une vision cloisonnée de notre système de santé, qui est un peu historique. Il y a des acteurs du privé et des acteurs du public. En tant qu’usagers du système, nous souhaitons qu’il y ait une coopération optimum entre les deux pour l’amélioration du service. Par exemple, dans les missions de formation, d’enseignement et de recherche : même si celles-ci sont pilotées par les CHU, les établissements privés peuvent aussi, pourquoi pas, prendre leur part.

*Nicolas Bouzou : « Si le système ne gagne pas d’argent, la France va passer à côté d’une révolution thérapeutique »

Le projet de loi de santé prévoit une redéfinition du secteur public hospitalier qui pourrait exclure les cliniques privées si elles ne répondent pas à un bloc d’obligations. Qu’en pensez-vous ?

Cette mesure est assez idéologique. Pour ma part, je suis pour la biodiversité, la coexistence d’un secteur privé et d’un secteur public, mais il faut absolument laisser le privé se développer selon des règles libérales. Aujourd’hui, avec des prix très bas et une réglementation stricte, c’est difficile pour une clinique de se développer comme une entreprise. Or, je défends le modèle de l’hôpital-entreprise car notre système de santé est en pleine mutation technologique. Il faut que des réorganisations puissent se faire dans de bonnes conditions. Les cliniques privées doivent pouvoir être à niveau pour investir, faire du marketing, trouver de nouveaux clients.

L’un des critères pour faire partie du service public hospitalier est l’absence de dépassements d’honoraires. Est-ce possible pour les cliniques de s’en passer ?

La grosse difficulté est que les dépassements d’honoraires sont l’une des variables d’ajustement du secteur privé, mais aussi de certains médecins du secteur privé qui ne pourraient pas faire autrement. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les honoraires remboursés par l’Assurance maladie sont à un niveau extrêmement bas. Donc soit le gouvernement autorise les dépassements et est tolérant avec cette réalité, soit il met en place un plan important de revalorisation des offreurs de soins. Je pense également aux infirmières, dont les niveaux de rémunération ne sont pas sérieux aujourd’hui.

La FHP estime que le projet de loi de santé pourrait faire perdre aux patients leur liberté de choix. Partagez-vous ce point de vue ?

?Non, je pense que les patients auront toujours le choix, puisque le projet de loi vise plutôt à égaliser les conditions entre le public et le privé. En revanche, si on n’améliore pas le fonctionnement global du système, le risque, c’est le nivellement par le bas du secteur de la santé. Des progrès techniques importants sont devant nous. Si le système ne trouve pas les moyens de gagner de l’argent, la France va passer à côté de cette révolution thérapeutique. En réalité, le privé et le public sont sur un même bateau !

Les cliniques redoutent également une mainmise accrue des ARS. Ont-elles raison ?

L’état se mêlera toujours du système de santé et c’est normal. Mais le problème est que les ARS sont des préfets sanitaires, des administrations qui peuvent être tatillonnes, au risque d’étouffer l’innovation. Quand un secteur est en mutation, il est important de laisser se faire des expérimentations au niveau local.

BERNADETTE DEVICTOR PRÉSIDENTE DE LA CONFÉRENCE NATIONALE DE SANTÉ

→ Auteure d’un rapport sur le service public territorial de santé, remis en avril 2014 à la ministre de la Santé

→ Présidente du Collectif interassociatif sur la santé Rhône-Alpes de 2004 à 2014

NICOLAS BOUZOU ÉCONOMISTE

→ Enseignant à l’université Paris-II Assas

→ Fondateur du cabinet de conseil Asterès

POINTS CLÉS

→ Projet de loi Le 15 octobre, Marisol Touraine présente en Conseil des ministres son projet de loi de santé, qui sera examiné au Parlement d’ici à avril. Il stipule que les établissements assurant le service public hospitalier garantissent la permanence de l’accueil et de la prise en charge, l’égal accès aux soins, l’absence de dépassements de tarifs et d’honoraires. Les cliniques seront habilitées par l’ARS si elles s’engagent à remplir ces conditions et « si leur activité est nécessaire », « au regard des besoins de la population et de la situation de l’offre hospitalière » publique.

→ Grèves Le 7 novembre, la FHP appelle à un « mouvement illimité de cessation d’activité » des cliniques à compter du 5 janvier 2015 et jusqu’au retrait du projet de loi. Les spécialistes libéraux sont incités à fermer leur cabinet entre le 23 et le 31 décembre.

→ Réactions La FHF réclame le retrait des autorisations d’urgences aux cliniques grévistes. Le Collectif interassociatif sur la santé (usagers) défend le projet de loi : l’hospitalisation privée « lui confère des intentions qu’elle n’a pas, ce n’est pas la destruction des cliniques privées », selon Christian Saout, le secrétaire général du Ciss. Le ministère de la Santé serait prêt à revenir sur la condition d’absence de dépassements d’honoraires.