La simulation in situ, un outil avancé pour la formation des professionnels de santé - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

DOSSIER

Mohamed Mouhajir  

Enseignant Iade, PhDc au centre de simulation de la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat (Maroc), responsable de l’unité de formation au service des affaires médicales du CHU Ibn Sina (Rabat, Maroc), enseignant formateur Cesu Samu 01, vice-président de l’Association marocaine des infirmiers anesthésistes et président du comité scientifique, secrétaire général de la Société marocaine d’hypnose et thérapies brèves

La simulation in situ, modalité spécifique de la simulation en santé, se distingue par la tenue de séances de formation directement dans l’environnement professionnel des équipes. Ainsi, ces sessions se déroulent sur les lieux de travail, dans les conditions réelles, aux heures de travail habituelles des participants. Ce dispositif permet d’atteindre un haut niveau de fidélité et de réalisme, et une immersivité complète des apprenants.

La simulation in situ (SIS) offre la possibilité d’identifier les lacunes dans les compétences individuelles et collectives afin de les corriger de manière proactive avec les propres ressources des participants. Son impact direct sur les patients reste encore à démontrer ; cependant, elle offre des avantages comme une transposition didactique facilitée, un réalisme valorisé par les participants, ainsi qu’une réflexion approfondie sur les aspects systémiques, qui n’est pas toujours réalisable lors de sessions de simulation off situ (simulation conventionnelle dans des centres dédiés). Dans cette mise au point, nous commencerons par présenter les atouts et la valeur ajoutée de la SIS, avant d’explorer ses limites et quelques applications pratiques.

Caractéristiques

La SIS, à l’image de la simulation conventionnelle dont elle est une déclinaison, est une méthode hautement efficace pour soutenir la formation initiale et continue. Elle permet de développer et de renforcer diverses compétences techniques et non techniques en plaçant les apprenants dans l’action et la réflexion, et en les amenant à établir des liens entre les éléments théoriques et la pratique clinique. De plus, elle responsabilise les apprenants en suscitant leur motivation et leur implication, tout en permettant la fixation des savoirs.

Le principal avantage de la SIS réside dans le fait qu’elle n’exige pas la disponibilité d’un espace dédié pour les activités de formation des apprenants sur une durée importante (tableaux 1 et 2). Dans une période de tension en ressources humaines et de difficulté à libérer les professionnels de santé, ce point est majeur pour le maintien de la formation continue des soignants. De plus, cela en fait une alternative attrayante pour les institutions qui ne disposent pas de locaux dédiés à la simulation(1). Cette approche permet de réduire les coûts de formation et d’optimiser les ressources. Calhoun et al., deux ans après avoir mis en place un programme de SIS (avec 166 sessions de formation interprofessionnelles pour 244 apprenants), ont constaté une réduction des coûts de formation de 3,5 fois par rapport à la simulation conventionnelle off situ en centre de formation traditionnel(2).

La SIS est généralement très bien accueillie par les professionnels de santé qui constatent, à la fin de leur formation, l’impact positif de cette approche sur l’amélioration de leurs performances en matière de prise en charge des situations critiques(3). Cette méthode permet d’accroître leurs connaissances, leurs compétences et leur expérience, dans le but d’améliorer la sécurité des patients(4). Une étude menée par Lavelle et al., portant sur 53 professionnels de santé après 8 demi-journées de SIS, a révélé une amélioration des connaissances, de la confiance en soi, de la gestion des situations critiques et de la communication(5). De plus, les participants ont développé une meilleure introspection, ont amélioré leur capacité à travailler en équipe et ont renforcé leur sens des responsabilités envers les patients.

Retombées cliniques associées

Au sein du service où elle est déployée, la SIS facilite la gestion des situations de crise, la détection des dysfonctionnements au niveau de la collaboration au sein de l’équipe (communication, leadership, etc.), ainsi que l’évaluation de l’efficacité du matériel et des ressources disponibles (tableau 3).

Wheeler et al. ont conduit 64 scénarios de SIS sur une période de plus de 21 mois. Au cours de ces simulations, ils ont identifié un total de 134 menaces pour la sécurité des patients et des lacunes concernant les connaissances relatives à l’utilisation et aux dilutions des médicaments d’urgence, des équipements et/ou des ressources(6). L’identification de ces erreurs a conduit à des améliorations dans les comportements, réduisant ainsi le risque d’erreurs. De plus, la SIS a favorisé une meilleure communication au sein de l’équipe de travail et a clarifié les rôles de chacun.

Le principal défi associé à la SIS réside dans la planification des sessions et la mobilisation de l’ensemble de l’équipe pour garantir la qualité de la simulation, tout en veillant à ce qu’aucun « vrai » patient ne soit impacté. Idéalement, les sessions devraient être réalisables à tout moment, en tenant compte de l’équipe en service. Certains auteurs proposent l’idée de simulations « surprises » pour évaluer le système de soins. Cependant, il est devenu de plus en plus difficile de trouver des moments propices dans les services d’urgence ou de réanimation, même en pleine nuit, sans que cela n’ait de répercussions sur les soins aux patients « réels ». Changer la composition de l’équipe de garde peut s’avérer compliqué tant pour les apprenants que pour les patients, car la durée de la session devrait être limitée, et le débriefing ne se déroulerait pas dans un climat serein en toute sécurité psychologique. Les perturbations dans les opérations courantes et la sécurité des patients peuvent représenter des obstacles à la mise en place de la SIS(7-8).

La SIS se révèle comme un outil éducatif significatif pour prendre en compte la totalité du domaine d’exercice infirmier, un objectif bénéfique à la fois pour les professionnels, les organisations de santé et les patients. La littérature répertorie diverses stratégies visant à promouvoir le développement d’une pratique professionnelle à son plein potentiel, ainsi que l’expansion des compétences(9). Plusieurs de ces stratégies poursuivent les mêmes objectifs, avec les mêmes avantages que la SIS. Elles cherchent à soutenir le développement professionnel continu dont le leadership clinique infirmier, à encourager la réflexion sur la pratique, à maintenir à jour les connaissances, à améliorer la collaboration en équipe et à cultiver une culture de formation continue, comme l’indique l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) : « La formation continue permet non seulement la mise à jour des connaissances et le maintien des compétences, mais elle est aussi intimement liée à l’évolution de la pratique infirmière, au développement de la profession et à l’amélioration de la qualité des soins ». La SIS constitue une stratégie de formation continue qui contribue à la réalisation de ces objectifs.

Conclusion 

La SIS apparaît comme une méthode pédagogique particulièrement pertinente, bénéfique à la fois pour la formation et la sécurité des patients. Elle ne vise pas à substituer la simulation off situ réalisée dans un centre dédié, mais plutôt à la compléter.

Les équipes soignantes sont confrontées à une charge de travail considérable en raison de la complexité croissante de l’état de santé des patients et des soins qui leur sont prodigués. Pour garantir la qualité et la sécurité des soins, les professionnels de santé doivent constamment développer et actualiser leurs compétences dans un environnement en constante évolution. La SIS est une partie intégrante de la solution. Elle favorise un apprentissage à la fois individuel, collectif (au sein de l’équipe de travail) et organisationnel. Le résultat de cette approche se traduit par une amélioration de la qualité des soins, de la sécurité des patients, et une plus grande flexibilité pour s’adapter aux évolutions du système de santé.

Des recherches supplémentaires seront nécessaires pour approfondir notre compréhension de la SIS et optimiser ses retombées pédagogiques en milieu clinique. Les organisations devraient soutenir le déploiement et la pérennité de cette méthode en investissant davantage de ressources et en encourageant de telles initiatives. Les infirmières ont un rôle essentiel à jouer dans le développement et la mise en œuvre de cette approche de formation, ainsi que dans la progression de la recherche dans ce domaine.

Plus-value de la simulation médicale (SIS)

- Perception positive des professionnels de santé quant à l’efficacité de la SIS dans l’amélioration de leurs compétences cliniques.

- Impact sur la réduction des erreurs en milieu hospitalier.

- Outil d’évaluation des compétences cliniques.

- Défis éthiques de l’utilisation de la SIS en tant que méthode d’apprentissage en milieu réel.

- Impact financier de l’intégration de la SIS dans les programmes de formation médicale et les établissements de soins de santé.

- Utilisation de la réalité virtuelle et de l’intelligence artificielle dans la SIS.

Une étude sur la chambre des erreurs

La chambre des erreurs constitue un outil de simulation en santé qui est à la fois ludique et innovant. Elle est particulièrement adaptée à la formation des équipes soignantes afin de promouvoir la culture de sécurité des soins et l’apprentissage par l’erreur.

Une étude prospective et transversale a été menée pendant un an au sein de la réanimation des urgences chirurgicales du CHU Ibn Sina de Rabat (Maroc). Elle a inclus 20 médecins résidents, 12 internes, 20 externes et 15 infirmiers. L’utilisation d’une chambre des erreurs (outil de simulation reposant sur l’apprentissage par l’erreur) a été précédée d’un pré-test et suivie d’un débriefing et d’un post-test selon le déroulement suivant :

- prébriefing collectif et prétest ;

- mise en situation : passage d’une équipe interprofessionnelle de 4 personnes pour un scenario avec un patient standardisé contenant 10 erreurs à trouver et corriger ;

 - débreifing collectif et post-test.

L’objectif de cette étude était de déterminer l’intérêt de la formation par simulation interprofessionnelle in situ (chambre des erreurs) dans la prévention des pneumopathies acquises sous ventilation mécanique (PAVM). L’âge moyen des participants était de 27 ± 7 avec un sex-ratio hommes/femmes de 0,80.

La différence moyenne des scores des apprenants entre le post-test et le prétest durant la formation était de 5,2 avec un minimum de 0 et un maximum de 10,4.

En ce qui concerne la définition des PAVM, le diagnostic microbiologique et la durée de l’antibiothérapie, une nette amélioration des réponses a été notée (facteur de significativité p < 0,05), ce qui n’était pas le cas pour les différentes questions sur les règles d’hygiène hospitalière. Les mêmes résultats ont été démontrés dans une étude réalisée au sein du département d’anesthésiologie et de thérapie intensive de l’Université Semmelweis à Budapest (Hongrie).

Enfin, l’ensemble du public cible s’est positionné en faveur de l’implémentation des formations par :

- simulation in situ ;

- chambre des erreurs pour tous les soins en réanimation ;

- simulation interprofessionnelle.

Une étude sur la simulation

L’escape room est un bon exemple de jeu interactif qui combine à la fois le plaisir et l’apprentissage. Il s’agit d’un jeu stimulant qui contribue à réduire l’écart entre la théorie et la pratique tout en favorisant l’amélioration du travail d’équipe.

L’objectif de l'étude « Contribution de la simulation in situ « Escape the trauma room » à la gestion des traumatismes graves au sein du service de réanimation chirurgicale » est de déterminer le rôle de ce type de jeu sérieux en tant qu’outil de formation dans les soins initiaux aux patients gravement traumatisés.

Il s’agit d’une étude prospective et transversale réalisée sur six mois. Les apprenants ont été invités à participer à un jeu sérieux intitulé « Escape the trauma room ». Les médecins internes et résidents du service de réanimation ont été inclus. Les apprenants ont passé un pré-test, ont joué en groupes, ont disposé de 30 minutes pour résoudre les énigmes, ont été briefés à l’extérieur de la salle « Escape room » verrouillée, et ont été confrontés à une série d’énigmes, suivies d’une séance de débriefing pour les participants et le public. Nous avons conclu l’activité par un post-test.

La première énigme portait sur les modes respiratoires et l’interprétation des gaz sanguins, la deuxième concernait l’échographie hémodynamique, et la dernière traitait de la physiologie des médicaments et de l’interprétation FAST (Function Analysis System Technique). L’ensemble du contenu a été validé par différents enseignants des services de réanimation des urgences chirurgicales.

L’âge moyen des participants (internes et résidents) était de 28,5 ans, avec un ratio hommes/femmes de 0,70. De plus, 96 % des participants ont déclaré avoir trouvé l’expérience très bénéfique et souhaiteraient y participer à nouveau.

La différence moyenne entre les scores des pré-tests et des post-tests pendant la formation était de 7,1, avec un minimum de 1 et un maximum de 10. Cela démontre la contribution de cette technique éducative à l’apprentissage du traitement des patients gravement traumatisés. Nous avons constaté une nette amélioration des réponses des participants au post-test concernant la physiologie respiratoire et les paramètres du ventilateur (facteur de significativité p < 0,001), l’interprétation de l’échographie FAST et de l’échographie hémodynamique (p < 0,004), ce qui n’était pas le cas pour l’utilisation de médicaments vaso-actifs.

L’objectif principal de l’étude était de garantir l’efficacité de la simulation et l’amélioration des réponses des participants au post-test. Les mêmes résultats ont été démontrés dans une étude menée au département de médecine d’urgence de Springfield (États-Unis), où 82 % des participants ont évalué l’activité comme très éducative, et 94 % ont déclaré que les sujets abordés étaient très pertinents pour la médecine d’urgence. Tous ont répondu qu’ils souhaiteraient participer à nouveau à cette activité.

Le jeu sérieux est un outil de formation et de recherche utilisé dans les séances de simulation in situ. Par conséquent, cette étude constitue une première étape vers la généralisation de la formation à travers le concept « Escape Room » dans la gestion d’un traumatisme grave, et vers une validation académique de son contenu et de sa procédure.

Références

1. Kurup V, Matei V, Ray J. Role of in-situ simulation for training in healthcare: opportunities and challenges. Curr Opin Anaesthesiol. 2017;30(6):755‑760.

2. Calhoun AW, Boone MC, Peterson EB, Boland KA, Montgomery VL. Integrated In-Situ Simulation Using Redirected Faculty Educational Time to Minimize Costs: A Feasibility Study. Simulation in Healthcare: The Journal of the Society for Simulation in Healthcare. 2011;6(6):337‑344.

3. Zimmermann K, Holzinger IB, Ganassi L, Esslinger P, Pilgrim S, Allen M, et al. Inter-professional in-situ simulated team and resuscitation training for patient safety: Description and impact of a programmatic approach. BMC Medical Education 2015;15(1). http://www.biomedcentral.com/1472- 6920/15/189

4. Paige JT, Kozmenko V, Yang T, Gururaja RP, Hilton CW, Cohn I, et al. Attitudinal changes resulting from repetitive training of operating room personnel using of high-fidelity simulation at the point of care. Am Surg. 2009;75(7):584‑90; discussion 590-591.

5. Lavelle M, Attoe C, Tritschler C, Cross S. Managing medical emergencies in mental health settings using an interprofessional in-situ simulation training programme: A mixed methods evaluation study. Nurse Educ Today. 2017;59:103‑109.

6. Wheeler DS, Geis G, Mack EH, LeMaster T, Patterson MD. High-reliability emergency response teams in the hospital: improving quality and safety using in situ simulation training. BMJ Quality & Safety. 2013;22(6):507‑514.

7. Møller TP, Østergaard D, and Lippert A. Facts and fiction, Training in centres or in situ, Trends in Anaesthesia and Critical Care. 2012;2: 174-179.

8. Walker ST, Sevdalis N, McKay A, Lambden S, Gautama S, Aggarwal R, and Vincent C. Unannounced in situ simulations: integrating training and clinical practice. BMJ Qual Saf. 2013; 22(6):453-458.

9. D’Amour D, Dubois CA, Déry J, Clarke S, Tchouaket E, Blais R, Rivard M. Measuring actual scope of nursing practice: a new tool for nurse leaders. J Nurs Adm. 2012;42(5):248-55.