L’escape game pédagogique, une déclinaison ludique de la simulation - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

DOSSIER

Garry Laudren  

Infirmier anesthésiste, ingénieur pédagogique, certifié en et

Le jeu est un procédé qui est utilisé depuis longtemps en pédagogie. Cette forme d’apprentissage est même naturelle et instinctive, à l’image des animaux qui « jouent » pour développer des compétences fondamentales comme celles nécessaires au combat ou à la fuite. On lui prête de nombreuses vertus, dont l’idée répandue qu’il peut résoudre tous les problèmes et est adapté à tous les apprenants et à toutes les situations(1).

Bien que très utile en andragogie, le jeu souffre de nombreux mythes et légendes qui peuvent desservir l’apprenant. Sous son apparente simplicité et sous couvert de son universalité, il est parfois mis en place sans règle ni adaptation. Cependant, un jeu à visée d’apprentissage demande un minimum de structuration(2).

En santé, il existe plusieurs typologies de jeux avec différentes définitions et courants épistémologiques, la plus connue étant les serious games qui sont déclinés sous forme numérique (comparable aux jeux vidéo)(3). Selon Julian Alvarez(3), un procédé ludique peut être considéré comme un serious game ou non. Ainsi, nous classons les escapes games pédagogiques dans la catégorie des serious games. En effet, cette appellation est très large et n’est pas forcément numérique.

L’ et ses liens avec la simulation

Traditionnellement, l’activité d’escape game consiste à sortir d’une scène ou d’une pièce verrouillée en résolvant des énigmes liées à cet environnement. Les escapes games de loisirs disposent de plusieurs salles interconnectées. Dans les escapes games pédagogiques, une scène unique est préférée, pour des raisons de praticité logistique. À des fins de sécurité physique, mentale et affective, l’option la plus répandue est la résolution d’une problématique dans un temps donné, plutôt que la sortie d’une salle verrouillée.

L’escape game pédagogique peut être considéré comme une déclinaison ludique de la simulation. Il en reprend la même structure : briefing, activité et débriefing(4). Nonobstant, Il est important de nuancer cette similarité : l’homologie de structure n’est valable que si les objectifs pédagogiques sont similaires ou très proches.

Une différence notable entre l’escape game et la simulation haute technologie ou pleine échelle est le changement de posture des participants(5). En simulation en santé, l’apprenant, la plupart du temps, incarne sa réelle fonction et ne joue pas un personnage. La transposition didactique à sa propre pratique professionnelle est alors plus simple. Dans les escapes games pédagogiques, les apprenants incarnent d’autres rôles, souvent éloignés de leur quotidien (agents secrets, experts en tous genres, disciples de mages et sorciers exotiques). Cette prise de distance, volontaire, permet de gommer le gradient hiérarchique. Il n’y a alors plus de médecins, infirmiers ou aides-soignants, mais seulement les membres d’une seule et même équipe.

Objectifs et compétences sollicitées

Ce procédé ludique permet une totale liberté concernant sa finalité. Les conventions des escapes games en santé fixent tout de même des objectifs un peu différents de ceux d’une séance de simulation traditionnelle(6). Dans ce cas, il ne s’agit pas de transmettre un geste, une procédure ou encore des connaissances « pures »,  mais plutôt de développer des compétences non techniques. Nous pouvons citer la démarche en processus diagnostic, le raisonnement clinique et/ou en facteurs humains en santé (la communication en équipe essentiellement, ou le leadership) comme objectifs pédagogiques pour les joueurs apprenants. Bien sûr, certaines habiletés physiques comme la dextérité peuvent être nécessaires à la résolution des énigmes, mais elles ne constituent pas un objectif premier. La visée,  pour les formateurs, est d’évaluer les objectifs pédagogiques majoritairement définis en lien avec les compétences non techniques.

Réaliser un escape game (ou escape room) doit servir les fonctions exécutrices des apprenants. Le passage par le jeu nécessite une recontextualisation importante. En ce qui concerne les compétences techniques procédurales, il ne nous semble pas judicieux d’utiliser la ludopédagogie. Le jeu n’apporte aucune plus-value pédagogique et est même plus chronophage à mettre en place et à recontextualiser qu’une séance de simulation procédurale classique.

La première chose à retenir, c’est que le jeu doit servir l’objectif visé, et non l’inverse.

À la différence d’un serious game numérique, les escape games proposent une activité qui est réalisée en groupe, en général 3 à 6 personnes. Il ne permet pas de former un grand nombre d’apprenants dans un temps court. Il est très probable que si l’objectif est un apprentissage en masse (même sur des questions de raisonnement clinique ou de facteurs humains), l’escape game ne soit pas l’outil le plus adapté. Autre point important, le scénario doit impérativement éviter de recréer une hiérarchie, explicite ou implicite.

Par ailleurs, les objectifs ne doivent pas nécessairement être réalisables par tous les membres de l’équipe. Toutefois, il faut rester vigilant à ce que chaque apprenant puisse constituer un support et ne soit pas en échec. Par exemple, en simulation en santé, il n’est pas licite de faire calculer une dose d’un médicament à un aide-soignant. Si tel était le cas, il y a fort à parier que l’apprenant soit en retrait et/ou en difficulté. Si un univers fictionnel et décalé de la réalité est utilisé, il est alors possible de travailler le calcul mathématique en générant un frein moins grand et un engagement plus important(7).

Contenu et mise en place

Concernant l’enchaînement des énigmes à proprement parler, la littérature rapporte trois grandes structures d’escape game pédagogique(8):

- une structure basée sur les chemins. Les équipes se voient proposer plusieurs chemins d’énigmes en même temps,  chacun conduisant à un résultat final. Cela permet aux membres de l’équipe de travailler sur différentes énigmes simultanément, passant des défis faciles aux plus difficiles au fur et à mesure ;

- une structure séquentielle. Les joueurs résolvent une énigme à la fois, chaque réponse débloquant la suivante. La dernière énigme entraîne la victoire. Cette méthode est préférée dans les petits espaces ou lorsque la collaboration de toute l'équipe est nécessaire ;

- une structure ouverte. Les joueurs peuvent résoudre plusieurs énigmes en même temps et obtiennent des indices pour la solution finale au fur et à mesure. Cela peut être plus compliqué à mettre en place pour une progression de difficulté progressive.

Il existe également des modèles hybrides qui combinent toutes ces approches.

Univers

Concernant le choix de l’univers, tout peut être envisagé, en restant ou non dans le monde du soin. Un des éléments fort, qui a déjà été cité, est la notion d’incarnation d’un rôle.

Pour mettre en place un univers décontextualisé (ce qui est recommandé dans les escape games), il faudra forcement passer par une phase de recontextualisation lors du débriefing(9).

Scénario et déroulement

Comme dans la simulation, l’escape game pédagogique doit respecter un scénario établi avec une temporalité précise(10). Là où, en simulation, des états avec des changements physiologiques sont utilisés, en escape game, c’est le temps qui sert de guide, ce qui impose le recours à un facilitateur qui va animer, dynamiser, relancer les participants pour rester dans la temporalité définie.

Quand l’équipe est bloquée ou en retard par rapport au scénario, le facilitateur doit donner des indices, plus ou moins fins, pour guider l’équipe vers la réussite. Il doit aussi veiller à ce que l’équipe reste dans le « flow »(11),  c’est-à-dire un équilibre entre un problème trop facile à résoudre et une tâche trop difficile à réaliser. Le rôle du facilitateur est capital. Ce rôle peut être détaché de celui de maître du jeu (game master). Si une seule personne assure les deux missions, il convient qu’une fiche récapitulative, à l’image d’une aide cognitive, soit établie afin de l’aider à adopter les deux postures distinctes.

Le scénario doit être écrit en amont en reprenant la totalité du déroulé du jeu, les solutions et les objectifs pédagogiques. L’improvisation n’est pas permise car les mécaniques et les enchaînements ludiques sont dépendants les uns des autres.

Matériel et budget

Un imprévu matériel et/ou humain peut mettre en péril le scénario et empêcher l’atteinte des objectifs pédagogiques. Concernant le matériel, il faut prévoir des doubles : si des systèmes comme des cadenas sont utilisés, il se peut que les nombreuses manipulations endommagent les mécanismes internes(12).

Le budget peut varier, il doit être calculé selon l’usage de l’escape game. Ainsi,  si ce dernier est fixe, c’est-à-dire dans un espace ou une pièce dédiée et/ou s’il n’a pas vocation à être déplacé ni à être pratiqué en grand volume, un matériel un peu plus onéreux et/ou très technologique peut être envisagé. En revanche, si le dispositif doit servir à un grand nombre d’apprenants et/ou doit être mobile, il vaut mieux du matériel standard et disponible facilement.

Par ailleurs, investir dans du matériel « bas de gamme » n’est pas rentable au long cours, car la périodicité des changements de dispositifs entraînerait un coût supérieur à l’achat du même matériel de meilleure qualité. Il est nécessaire d’investir un minimum dans le matériel et d’avoir un peu d’imagination et de compétences de bricolage.

Tests préalables

Avant de mettre en service un escape game, il est nécessaire de le tester. Il y a différentes phases de tests : en premier, un « crash-test », en deuxième voire en troisième, un équilibrage. Il faudra tester le temps de résolution des énigmes, le temps total de l’activité, la difficulté, la logique d’imbrication, le nombre d’indices nécessaires pour la résolution globale, la logique d’utilisation du matériel(13). Si plus de trois tests sont nécessaires et que ceux-ci concernent des changements majeurs, la structure de l’activité n’est probablement pas adaptée.

Durée

L’escape game ne doit pas durer trop longtemps, car il y a un risque de désengagement de la part des apprenants. De plus, enchaîner les séquences de jeu est faisable, mais l’investissement en amont est considérable, car l’ajustement entre les différentes situations ludiques doit être calibré de façon très fine. Il doit être inséré dans un curriculum de formation.

L’équipe de conception

La conception d’un escape game est chronophage et le recours à cette méthode pédagogique doit être raisonné pour éviter une perte de temps et de moyens. Le travail d’équipe est essentiel dans la conception ludique. Il existe un risque très important de créer un dispositif qui « fait plaisir » aux concepteurs plutôt qu’aux apprenants. Ce risque est d’autant plus grand que les concepteurs prennent goût à l’utilisation du jeu. Solliciter, au sein de l’équipe de conception, un « avocat du diable » pour remettre toujours en perspective (constructive) les éléments ludiques, peut s’avérer très utile pour éviter de faire fausse route. Les tests permettront aussi de réduire ce risque.

Une grande appétence pour les jeux de la part des concepteurs peut constituer un élément défavorisant : quand elle est très marquée, elle risque de donner lieu à un dispositif difficile et ou assez peu pédagogique. À l’inverse, peu d’appétence pour le jeu risque de mener seulement à une « couche de gamification » sur des éléments pédagogiques existants, ce qui donnera un faible caractère ludique au dispositif. C’est ce qu’on appelle la « ruse pédagogique » : l’équipe de conception et de testeurs doit contenir différents profils.

Conclusion

L’escape game est un outil puissant dont l’utilisation doit être raisonnée et la conception réfléchie en fonction des publics cibles et des objectifs pédagogiques. Ce dispositif, très complémentaire à la simulation clinique, est particulièrement intéressant pour travailler les compétences non techniques. Il favorise la cohésion d’équipe, mais également la reconnaissance des compétences de chacun. Il a de l’avenir aussi bien en formation initiale, pour engager plus activement les jeunes apprenants de la nouvelle génération, qu’en formation continue pour les qualités qu’il apporte.

Développer des compétences non techniques

Dans l’univers ludique de l’escape game, les compétences techniques et académiques peuvent être intégrées en fonction des objectifs pédagogiques, mais ne doivent pas être au centre du dispositif. C’est l’ensemble des compétences non techniques comme la communication, la conscience de la situation ou encore le leadership qui vont permettre la résolution des énigmes. Par exemple, nous avons déjà observé, en situation de jeu, qu’un aide-soignant avait la solution à l’énigme, or il n’a pas été entendu ou n’a pas su se faire entendre. L’équipe est restée bloquée et a perdu de précieuses minutes jusqu’au moment où le facilitateur (maître du jeu) a fait remarquer qu’un membre de l’équipe avait la bonne piste. Cette situation de communication a été reprise en débriefing et recontextualisée vis-à-vis de la vie professionnelle. Si les compétences non techniques ne sont pas majoritaires et/ou si elles ne sont pas nécessaires à la résolution des énigmes, alors l’escape game n’est probablement pas adapté.

Bibliographie

1. Caillois R. Les jeux et les hommes: le masque et le vertige. Paris : Gallimard ; 2009.

2. Brougère G. Jouer / Apprendre. Paris : Économica ; 2005.

3. Alvarez J, Djaouti D, Rampnoux O. Apprendre avec les serious games? Futuroscope : Canopé éditions ; 2016.

4. Haute Autorité de santé (HAS). Guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé. 2012.

5. Perron B. L’attitude ludique de Jacques Henriot. Sciences du jeu 2013 ; 1.

6. Abensur Vuillaume L, Laudren G, Bosio A, Thévenot P, Pelaccia T, Chauvin A. A Didactic Escape Game for Emergency Medicine Aimed at Learning to Work as a Team and Making Diagnoses: Methodology for Game Development. JMIR Serious Games 2021 ; 9 : e27291.

7. Schaeffer J-M. Pourquoi la fiction? Paris : Seuil ; 1999.

8. Nicholson S. The state of escape: Escape room design and facilities. Meaningful Play, conference, octobre 2016.

9. Lépinard P. La décontextualisation par le jeu des situations d’apprentissage simulées comme stratégie pédagogique inclusive. XXIXe Conférence internationale de management stratégique, Association internationale de management stratégique, juin 2020.

10. Bernard L. Guide pratique de formation par la simulation. Versailles : VA press ; 2014.

11. Csikszentmihalyi M. Flow: The psychology of optimal experience. New York : Harper Perenial ; 2009.

12. Davis K, Lo H-Y, Lichliter R, Wallin K, Elegores G, Jacobson S, et al. Twelve tips for creating an escape room activity for medical education. Med Teach 2022 Apr ; 44(4) : 366-371.

13. Adams V, Burger S, Crawford K, Setter R. Can You Escape? Creating an Escape Room to Facilitate Active Learning. J Nurses Prof Dev 2018 ; 34 : E1–5.