Former aux compétences non techniques complexes, c’est possible ! - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

DOSSIER

Pierre Roda   Bénédicte Pucheu   Flor Pires   Corinne Gruelles  

Formateur Ifsi, Toulouse. M2 Éthique et recherche, Université Paul Sabatier, Toulouse. Diplôme universitaire Intelligence artificielle en santé, Université Paris-Descartes, ParisCadre de santé formatrice, Ifsi Toulouse. M1 Sciences de l’éducation, parcours professionnalisation de la formation et de l’accompagnement, Université Jean Jaurès, ToulouseCadre de santé formatrice, Ifsi ToulouseCadre de santé formatrice, Ifsi Toulouse. M2 Sciences de l’éducation, Université Jean Jaurès, Toulouse

Les situations de simulation rencontrées dans les instituts de formation en soins infirmiers ne servent pas uniquement les pratiques techniques. Elles peuvent également permettre aux apprenants d’appréhender des situations relationnelles complexes et ainsi, développer les compétences non techniques complexes comme la gestion des émotions. Elles permettent également de se confronter à la réalité des situations cliniques réelles.

Oser la complexité dans un objectif d’apprentissage

Les situations interpellantes choisies par les étudiants en soins infirmiers, dans le cadre de leur travail de fin d’études, ont souvent pour thématique la mort et l’accompagnement en fin de vie du patient et de sa famille. Au sein de la promotion 2020-2023 de l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) du Pôle régional d’enseignement et de formation aux métiers de la santé (PREFMS) de Toulouse, 24 % d’entre elles concernent ce thème.

D’après le philosophe Jankélévitch (1966), la mort est « la maladie des maladies ». Elle est angoissante parce qu’irreprésentable, elle est une « expérience qui n’a jamais été faite et que l’on fait pour la première et dernière fois » (p. 105). La fin de vie peut être vécue difficilement et renvoyer un sentiment d’insécurité et d’impuissance, rendant les professionnels de santé vulnérables. La confrontation aux patients en fin de vie et à l’accompagnement des familles nécessite des aptitudes relationnelles mais aussi expérientielles et réflexives. D’après une enquête réalisée par Gaborit, Poac et Piolot (2005), « La majorité des étudiants rencontrent des difficultés face à la fin de vie d’un malade […] La mort d’un malade est une situation vécue comme difficile pour la plupart des ESI [étudiants en soins infirmiers] et la rencontre avec les familles est un facteur angoissant. » Les différentes ressources pédagogiques à la disposition des étudiants ne suffisent pas toujours à apaiser leurs craintes et leur sentiment de solitude.

Une innovation par la simulation

Dans le cadre des unités d’enseignement des soins relationnels et des soins palliatifs en semestre cinq de la formation en soins infirmiers, un dispositif pédagogique basé sur la simulation a été créé au sein de l’Ifsi du PREFMS de Toulouse. Après une expérimentation fructueuse sur la conduite d’un entretien infirmier avec un patient présentant un risque suicidaire, nous avons choisi de développer encore la simulation vers ces thématiques complexes et difficiles à vivre en pratique clinique. Il ne serait pas envisageable de laisser des étudiants en première ligne dans ce type de situation. Toutefois, en simulation, la sécurité garantie par et pour tous permet de travailler ces situations émotionnellement impactantes. L’ensemble d’une promotion d’étudiants peut alors s’exercer sans risque de se tromper sur un « vrai » patient.

L’organisation de la séquence passe chronologiquement par les apports théoriques universitaires, puis la simulation est utilisée comme phase applicative pour mettre en œuvre ces savoirs. Cet apprentissage expérientiel, ainsi que la pratique réflexive du participant et des observateurs, permettent d’analyser collectivement la séquence produite et les émotions ressenties. « L’objectif étant de permettre aux participants de comprendre comment ils font face aux situations critiques, de développer une certaine réflexivité et ainsi d’améliorer à la fois leurs compétences et leur résistance au stress. » (Couarraze, 2022). Une enquête menée auprès des étudiants en 2023, après les séances sur le thème de la santé mentale citées supra, a mis en évidence la pertinence et la plus-value de cette innovation pédagogique. La crise suicidaire, comme les thématiques de mort et de fin de vie, sont des préoccupations constantes chez les étudiants en soins infirmiers. Nous nous sommes servis de ce modèle pour construire un scénario de simulation ayant pour thème un entretien infirmier avec un membre de la famille dans un contexte de prise en soins d’un patient en fin de vie. Nous avons choisi la relation avec un proche aidant standardisé plutôt que celle avec un patient, pour limiter la difficulté potentielle ressentie par les apprenants. De plus, en soins palliatifs, il est aussi important de travailler le lien et la relation avec le proche aidant que ceux avec l’usager lui-même.

Des questionnements individuels et collectifs

Nous avons élaboré le scénario suivant : une patiente de 80 ans est atteinte d’un cancer multi-métastatique évoluant de façon péjorative, entraînant une prise en soins palliative. Devant une altération de son état général, une hospitalisation est réalisée. Dans ce contexte, le proche aidant simulé interroge l’infirmier(e) sur le bien-fondé des soins mis en œuvre. Son questionnement porte sur l’alimentation et l’hydratation en fin de vie et les dilemmes éthiques que cela peut générer.

Nous avons sollicité des infirmier(e)s en soins généraux, exerçant dans des spécialités prenant en charge des patients en fin de vie, pour tenir le rôle du participant simulé. Ces professionnels ont une double posture en permettant la réalisation du scénario et en apportant leur expertise de la discipline lors du débriefing. L’étudiant en soins infirmiers de troisième année est placé dans la posture de l’infirmier lors de l’entretien.

Au moment du co-débriefing, les formateurs et les professionnels amènent les étudiants à verbaliser et interroger leurs émotions, leurs ressentis, à relater et questionner les faits, puis à analyser leurs aptitudes relationnelles dans une posture réflexive. Ils peuvent ainsi revisiter leur pratique professionnelle. Les formateurs assurent l’animation et la structure du débriefing, les professionnels apportent leur feedback et leur vécu de ces situations cliniques.

Former aux réalités des situations cliniques

Des épreuves que vivent les patients et leur famille dans un contexte de prise en soins palliative peut naître une vulnérabilité soignante. Cette séquence pédagogique s’inscrit dans une thématique en lien avec la démarche palliative qui accorde une place à l’accompagnement des proches aidants. Les étudiants sont ainsi sensibilisés à l’accompagnement de ces derniers et ils peuvent aussi « développer des ressources personnelles de gestion du stress » (Couarraze, 2022). Lors de la rencontre d’une situation similaire dans la réalité, les étudiants disposeront de ressources pour se sentir plus sécurisés face à la détresse des familles, la fin de vie et la mort. La réalisation de ce type de séquences de simulation s’inscrit aussi dans une stratégie préventive de l’usure professionnelle des futurs professionnels de santé. Ce dispositif permet également une étroite collaboration entre l’Ifsi et les professionnels de santé, garantissant un ancrage dans une pratique professionnelle réelle. Il est nécessaire d’intégrer ce type d’innovation pédagogique dans la formation des étudiants en soins infirmiers afin de garantir leur professionnalisation la plus aboutie et la plus complète possible.

Bibliographie

- Couarraze, S. (2022). La simulation en santé, qualité de vie au travail et changement. L’Harmattan.

- Gaborit, B., Poac, C., Piolot, A. (2005). Enquête auprès d’étudiants en soins infirmiers confrontés à la mort lors de leurs stages hospitaliers. Médecine Palliative, Vol. 4 (5), 229-233.

- Jankélévitch, V. (1966). Penser la mort ? Liana Lévi Piccolo.

- Saint-Jean, M., Bastiani, F. (2014). Soin et fin de vie, Pour une éthique de l’accompagnement. Seli Arslan.