La simulation en santé, du passé vers l’avenir - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

Qualité et gestion des risques

DOSSIER

Sébastien Couarraze*   Guillaume Decormeille**  


*Infirmier anesthésiste MCF en sciences infirmières, faculté de santé, département de médecine, maïeutique et paramédical, Université Toulouse III Paul Sabatier, chercheur au Cerpop UMR 1295 Inserm
**Infirmier, PhD en psychologie cognitive, chercheur associé laboratoire CLLE, UMR 5263 CNRS, université Toulouse Jean Jaurès, Toulouse, qualifié en sciences infirmières, responsable des programmes pédagogiques de la Fondation Léonie Chaptal et expert en simulation

La simulation en santé a su, en quelques années, s’imposer comme une méthode d’apprentissage incontournable pour tous les professionnels de santé. En parallèle, le développement des technologies a fourni un matériel innovant, comme des mannequins de dernière génération intégrant l’intelligence artificielle, ou des dispositifs de réalité virtuelle. La recherche, comme la formation, bénéficie de cette nouvelle opportunité. Le pédagogue veillera au bon usage de la simulation, mise au service de l’apprentissage et du développement des compétences de l’apprenant.

Que de chemin parcouru depuis la publication des rapports de la Haute Autorité de santé (HAS) sur la simulation en santé en 2012, par Granry et Moll (2012) ! En effet, il n’est plus question de savoir s’il faut utiliser cette méthode pédagogique mais plutôt d’identifier comment la mettre en œuvre. Pastré (2010) avait déjà posé les jalons des avantages majeurs de la simulation. Les particularités de la santé ne font que rendre le recours à la simulation légitime voire indispensable. Il n’est plus acceptable d’envoyer les étudiants en pratique clinique sans avoir développé un minimum de compétences. Le « Jamais la première fois sur un patient » de Granry et Moll (2012) n’a jamais autant reflété toute l’éthique apportée aux programmes de formation initiale et continue. Couarraze (2022) a décliné cet adage en « Jamais la première fois pour le soignant ». Nous pourrions l’enrichir en « Toujours bien faire même la première fois ».

Dans une période où beaucoup se demandent comment fidéliser et/ou maintenir les soignants en secteur clinique, la simulation semble être un lieu d’échanges sécurisé sur ses pratiques professionnelles permettant de développer des ressources pour affronter les situations cliniques parfois critiques. La réforme du second cycle des études de médecine voit arriver les Examens cliniques objectifs et structurés (Ecos) comme une évaluation au cours de la formation. Modalité spécifique de la simulation, les Ecos ont également été intégrés dans le dernier référentiel des aides-soignants et ont une réelle place dans la formation en sciences infirmières (Couarraze, 2023). Ils sont une manière de réintégrer la pratique évaluative dans les formations académiques. Ce sera peut-être le cas dans le futur référentiel de la formation en sciences infirmières.

De la technologie à la pédagogie

Le développement de la simulation s’est accompagné d’une « explosion » de technologie concernant le matériel utilisé. Les simples mannequins utilisés pour l’apprentissage des gestes de réanimation cardiopulmonaire sont devenus de véritables concentrés de technologie. Les tous derniers modèles intègrent l’intelligence artificielle pour interagir avec les participants. Ce n’est pas exagéré de parler de cyborg ou d’humanoïde cybernétique. Comment ne pas être « bluffé » devant le réalisme de ces mannequins ? La texture même de la peau est particulièrement ressemblante.

Toutefois, cette débauche de technologie ne doit pas masquer la pédagogie. En effet, sans objectifs pédagogiques adaptés et pertinents, ces outils perdraient de leur intérêt. Le plus beau des mannequins de haute technologie ne remplacera jamais un programme de simulation pauvre. Le matériel n’est qu’un outil qui doit servir la pédagogie et non l’inverse. Certains mannequins, pourtant onéreux, restent parfois dans leurs cartons ou sont sous-utilisés car ils ne répondent pas aux besoins des formateurs. Il est important de partir des objectifs pédagogiques pour choisir le simulateur le plus adapté à ses besoins et au public cible.

Certains mettent en œuvre des programmes très performants avec très peu de moyens mais avec des résultats très intéressants. Des auteurs ont d’ailleurs montré que, en formation initiale, un réalisme extrême n’était pas forcément nécessaire pour que les apprenants développent des compétences : c’est l’art et la manière du formateur d’animer la séquence.

Il en est de même, pour la réalité virtuelle (RV). Le recours à cette technologie pour rechercher uniquement l’effet « waouh » n’a aucun sens en andragogie. Intégrer des quiz dans un environnement virtualisé ne semble pas correspondre à l’effet escompté si l’apprentissage concerne le savoir-faire. L’usage doit être proche de la réalité clinique, tant dans son contenu pédagogique, dans l’interaction avec l’environnement que dans la posture d’usage du praticien, en réalisant réellement les étapes pour obtenir le bénéfice d’apprentissage à visée praxéologique.

Ce qui pose la question de l’intérêt du retour haptique en RV : les recherches tendent vers cet usage, mais faut-il aller vers du réel virtualisé ?

Nous pensons que l’intérêt majeur de la RV est d’immerger l’apprenant dans des situations cliniques ou environnementales qui seraient trop complexes à reproduire avec d’autres modalités de simulation, tout comme pour l’apprentissage de procédures de soins délicates ou trop coûteuses à enseigner.

Pratique simulée ou clinique, pourquoi choisir ?

Un autre élément a encouragé le développement de la simulation en santé : le côté aléatoire des cursus expérientiels en pratique clinique. En effet, il est impossible de garantir une confrontation aux mêmes situations cliniques à tous les étudiants. La diversité dans les typologies de stage et les structures de soins ne peuvent pas assurer à tous les apprenants de vivre exactement les mêmes situations et donc de développer les mêmes compétences : c’est une utopie ! Et c’est d’autant plus vrai avec l’accroissement du nombre d’étudiants en sciences infirmières et la raréfaction des lieux de stages. Le vécu de chacun sera aléatoire et différent.

Pour autant, les compétences sont situées (Le Boterf, 2012), c’est-à-dire que c’est à travers le vécu des situations qu’il est possible de développer des compétences. Il n’y a pas d’autre option que d’être immergé dans une pratique pour développer les compétences en soins. Ce faisant, ces situations peuvent être simulées. La différence entre la pratique clinique et celle simulée est le débriefing après la séance. C’est bien cette étape qui positionne l’apprenant dans une posture réflexive et qui permet le développement des compétences, nourries par le groupe.

Nous pouvons légitimement nous poser la question de la situation actuelle en pratique clinique, la pénurie de personnel rendant encore plus aléatoire l’encadrement des étudiants. Prenons l’exemple de la typologie de stage de courte durée pour les étudiants en sciences infirmières. Celle-ci comprend des services aussi différents que l’ambulatoire, les urgences ou les soins critiques.

Ainsi, si la formation doit garantir que tous les étudiants qui sortent diplômés maîtrisent la préparation d’un médicament au pousse-seringue électrique, se baser sur la typologie de stage pour cela est impossible. La simulation, quant à elle, permet de répliquer à l’infini les scénarios pour permettre à tous les participants d’être confrontés aux mêmes apports pratiques.

De plus, l’accès à des services très spécifiques peut varier sur le territoire, ce qui prive certains d’une possibilité de stage dans de tels services. Le dispositif « Parcoursup » permet à certains étudiants de suivre leurs études loin de chez eux, mais ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas accès à un service spécifique pendant leur formation initiale qu’ils n’auront pas cette opportunité une fois rentrés chez eux.

La formation doit, ainsi, les préparer à toutes ces éventualités. La diversité de la profession infirmière peut rendre complexe l’exhaustivité de la formation, mais les fondamentaux doivent être présents en lien avec les compétences définies, qui se veulent standardisées et évaluables.

Recherche sur et par la simulation

L’évolution des professions en lien avec le soin passe par la recherche. La production et/ou la convocation de données probantes sont fondamentales pour garantir la qualité des formations délivrées, la qualité et la sécurité des soins. À ce titre, il est nécessaire de réaliser des recherches sur les spécificités de la simulation en santé, en interdisciplinarité et en pluriprofessionnalité.

De nombreuses revues scientifiques existent sur la simulation en santé et constituent des sources fiables de données sur le sujet. Il existe même une revue spécifique sur la simulation en soins infirmiers (Clinical simulation in nursing). Elles sont sources d’inspiration pour tous les formateurs.

Grâce à son environnement sécurisé et sécuritaire, la simulation peut permettre de mener des recherches sur les pratiques, des organisations, des procédures, etc. La pratique étant simulée, les démarches de mise en conformité vis-à-vis de la réglementation en bioéthique peuvent être plus simples. Nous pouvons citer l’exemple de l’étude Simushock ayant servi à développer un score de performance d’une équipe de déchocage grâce à des séances de simulation.

La simulation procure ainsi une zone d’expérimentation sécurisée pour innover, tester des prises en charge et/ou des procédures. Cependant, toute recherche (même en simulation) doit impérativement être approuvée par un comité éthique de la recherche. L’investigateur ne peut être observateur ni évaluateur, il doit conserver sa posture épistémologique de praticien-chercheur.

En tout état de cause, la recherche en simulation prend une place de plus en plus importante dans les différents projets de recherche en soins. Le groupe recherche Coresim de la Société francophone de simulation (SoFraSimS) peut accompagner les soignants qui désirent mener à bien leur projet de recherche.

Et demain…

Si nous faisons un pas de côté pour regarder le chemin déjà parcouru par la simulation en santé, nous ne pouvons qu’être admiratif de son déploiement. Mais ce n’est qu’un début, et dans le domaine de l’aéronautique par exemple, la simulation est ancrée depuis encore plus longtemps et est incontournable dans la qualification initiale et continue des pilotes. Cette méthode pédagogique fait également partie de leur maintien de compétences.

La future re-certification des professionnels de santé pourra inclure la simulation pour s’assurer qu’un soignant conserve les compétences nécessaires à l’exercice de sa profession, celle-ci pouvant être tracée, évaluée et analysée. La technologie évolue : elle permettra de recréer des environnements de soins en réalité virtuelle ou augmentée dans lesquels les participants seront immergés. Nous pourrons passer d’un environnement de soins critiques à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), puis enchaîner sur un service de santé mentale ou un domicile.

Si le nombre de places en stage reste inchangé voire diminue par  manque de professionnels, le quota dans les différentes filières augmente tous les ans. Il faudra donc trouver une solution pour confronter les étudiants à des typologies de stage particulières, comme le suggère Roberts et al. (2019).

À n’en pas douter, la simulation va perdurer dans la formation de tous les soignants car elle répond avec efficacité aux enjeux éthiques et d’universalité de leurs enseignements. La technologie peut favoriser le savoir et le développement des compétences au sein des territoires décloisonnés.

Enfin, dans une approche andragogique, le pédagogue doit être vigilant à l’effet de la charge cognitive sur les étudiants, imposé par l’ensemble de ces dispositifs. Il doit veiller à l’harmonisation, à l’articulation et à l’usage de toutes ces modalités adaptatives qui composent sa boîte à outils, mises au service du parcours d’apprentissage expérientiel individualisé.

Ainsi, la simulation peut et doit être utilisée sans modération, dans un objectif d’excellence des programmes de formation et des soignants de demain.

Bibliographie

- Couarraze, S., & Decormeille, G. (2023). Les Ecos chez les étudiants en soins infirmiers. Soins, 68(872), 26‑28.

- Couarraze, S. (2022). La simulation en santé. Qualité de vie au travail et changement. Dispositif pédagogique et prévention chez les professionnels de santé. L’Harmattan.

- Delamarre L., Marhar F., Abaziou T., Geerearts T. (2017) Development of a trauma team performance score: The simushock-score study. Poster, conférence SESAM https://www.researchgate.net/publication/317499425_Development_of_a_trauma_team_performance_score_regarding_the_initial_care_of_the_polytrauma_patient_in_healthcare_simulation_The_SIMUSHOCK-SCORE_study/citations

- Granry, J. C., & Moll, M. C. (2012). Rapport de mission : État de l’art (national et international) en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé dans le cadre du développement professionnel continu (DPC) et de la prévention des risques associés aux soins. Rapport de mission. https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2013-01/guide_bonnes_pratiques_simulation_sante_format2clics.pdf

- Le Boterf, G. (2015). Construire les compétences individuelles et collectives. Agir et réussir avec compétences, les réponses à 100 questions. Eyrolles.

- Pastré, P. (2011). La didactique professionnelle. Presses universitaires de France.

- Roberts, E., Kaak, V., & Rolley, J. (2019). Simulation to Replace Clinical Hours in Nursing : A Meta-narrative Review. Clinical Simulation In Nursing, 37, 5‑13.

- https://www.sofrasims.org/articles/tag/7670-comite-recherche-scientifique