La Cour des Comptes présente son ordonnance pour sauver l’hôpital public - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

finances publiques

ACTUALITÉS

Adrien Renaud

  

La Cour des Comptes a présenté mi-octobre 2023 son diagnostic sur la situation de l’hôpital. Un constat aussi clair qu’attendu : si l’on veut sauver les établissements publics, il faut, selon cette institution, davantage de restructurations et d’efforts budgétaires.

Il est une façon assez simple de prendre la mesure du degré de préoccupation de la Cour des Comptes face à la situation budgétaire de l’hôpital : au lieu de se perdre dans les méandres des bilans présentés par cette juridiction financière chargée de veiller à la bonne utilisation de l’argent du contribuable, il suffit de compter les rapports qu’elle consacre au sujet. Car mi-octobre, la Cour a présenté non pas un, ni même deux, mais trois rapports sur les établissements publics : l’un sur la Tarification à l’activité (T2A), un autre sur la concurrence et les complémentarités entre hôpitaux publics et privés, et le dernier sur la situation financière des hôpitaux après la crise sanitaire. Le moins que l’on puisse dire est donc que les magistrats de la rue Cambon sont préoccupés… Reste à savoir si leurs inquiétudes sont en phase avec celles de ceux qui travaillent au quotidien à l’hôpital.

Mais commençons par le commencement : pour Pierre Moscovici, premier président de l’institution, les choses sont claires. « Nous sommes tous attachés à la place particulière qu’occupe l’hôpital public dans notre pays, nous devons la préserver, et pour cela, le préalable, c’est que les fonds soient efficacement utilisés », a-t-il affirmé lors de la conférence de presse organisée pour dévoiler le contenu des trois rapports. Or, le tableau dressé par le haut fonctionnaire est particulièrement inquiétant. Ce qui le préoccupe n’est pas les services d’urgences qui ont eu des difficultés à rester ouverts cet été ou la pénurie infirmière qui sévit sur tout le territoire depuis plusieurs années, mais ce qu’il a appelé un « contexte de pertes financières sans précédent pour les hôpitaux : 1,3 milliards d’euros en 2022 ». Une situation qui n’est selon lui « pas tenable », et qui « appelle des réponses structurelles pour la garantie des soins et l’équilibre des comptes ».

Stop au saupoudrage

Dans son premier rapport sur la situation financière des hôpitaux, la Cour reconnaît cependant volontiers que le gouvernement a bien réagi à la crise sanitaire « en déployant des dispositifs exceptionnels de soutien financier », a expliqué le premier président lors de la conférence de presse. Mais ce soutien temporaire n’a pas permis, selon l’institution, de résoudre les problèmes structurels dont souffrent les hôpitaux. « La situation financière des hôpitaux apparaît toujours structurellement dégradée, les dispositifs ad hoc de financement mis en place durant l’épidémie de covid 19 n’ayant permis de la stabiliser que provisoirement », peut-on lire dans le rapport consacré à ce sujet.

Plus précisément, la Cour « regrette le manque de pilotage et de contrôle » des dispositifs de soutien aux établissements, a détaillé Pierre Moscovici, déplorant notamment qu’il ait été choisi « de saupoudrer les aides au plus grand nombre plutôt que de les concentrer ». Le rapport de la Cour pointe par ailleurs un certain laxisme, mettant notamment en lumière « des carences de pilotage et de contrôle de la gestion des concours exceptionnels aux établissements de santé durant la crise sanitaire, malgré les enjeux financiers ». Il met également l’accent sur la fâcheuse tendance de certains dispositifs provisoires à s’inscrire dans la durée. « La garantie de financement – qui s’est traduite par le versement d’aides financières destinées à compenser la baisse des recettes d’activité – a contribué à couvrir les charges fixes des hôpitaux, reconnaît le rapport. Le dispositif de sortie de la garantie de financement n’a cependant toujours pas été déterminé, plus d’un an après la fin de la crise sanitaire»

L’urgence, selon le rapport de la Cour, semble donc être d’éviter une « nouvelle dérive de l’endettement des hôpitaux, malgré l’enveloppe de 6,5 milliards d’euros consacrée à leur désendettement ». C’est pourquoi Pierre Moscovici demande de cibler les aides restantes « sur les établissements les plus en difficulté », et de leur demander « des contreparties ». Les recommandations du rapport sont d’ailleurs drastiques, et représenteraient, si elles étaient mises en œuvre, un sérieux tour de vis pour les établissements. Les magistrats demandent notamment de « prioriser ou étaler dans le temps la mise en œuvre des projets, y compris ceux déjà validés », ou encore de « fixer les modalités d’interruption du versement des aides à l’investissement ».

Le plus mauvais système à l’exception de tous les autres

De telles recommandations peuvent sembler au mieux sévères, au pire déconnectées de la réalité que vivent les soignants au sein des établissements, mais elles ne sont pas surprenantes de la part du gardien de l’orthodoxie budgétaire qu’est la Cour des Comptes. Elles sont par ailleurs alignées avec la volonté gouvernementale d’économies budgétaires, réitérée à chaque Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Il n’en va pas de même en ce qui concerne le rapport sur la T2A, qui avait été rendu public en juillet mais sur lequel la Cour est revenue lors de la conférence de presse du mois d’octobre. En effet, contrairement à la pensée dominante, exprimée au plus haut niveau de l’État au moins depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la Cour estime que cette méthode de tarification est un « outil utile », a indiqué Pierre Moscovici.

Les magistrats, qui ont calculé dans leur rapport que la T2A représentait en 2019, 64 % des ressources des hôpitaux publics et 81 % de celles des cliniques, estiment que celle-ci est, malgré les critiques dont elle fait l’objet, toujours « le plus mauvais système à l’exception de tous les autres ». Entre autres bienfaits, son application « s’est accompagnée d’un mouvement de rationalisation de l’offre de soins », elle a « favorisé la rénovation du pilotage des établissements », et a constitué « un facteur efficace de la régulation des dépenses d’Assurance maladie », détaillent-ils. Pas question donc, selon eux, de jeter le bébé avec l’eau du bain. À rebours du prochain PLFSS, qui entend réduire la part de la T2A et augmenter celle des dotations dans le financement des établissements, Pierre Moscovici a estimé lors de la conférence de presse qu’il faut que la T2A garde « une part prépondérante » dans le financement hospitalier.

La Cour reconnaît en revanche que la T2A telle qu’elle existe actuellement n’est pas entièrement satisfaisante, et qu’elle peut être améliorée. « Le système est devenu trop complexe, avec plus de 3600 GHM », a déploré Pierre Moscovici, se référant aux Groupes homogènes de malades, l’unité de base qui permet de calculer le prix d’un acte dans le cadre de la T2A. Il a par ailleurs souligné que les prix payés aux établissements ne correspondaient pas toujours aux coûts qu'ils supportent, ce qui conduit à des « distorsions excessives ». Enfin, a-t-il ajouté, la puissance publique a parfois tendance à « faire évoluer les tarifs en fonction d’objectifs de réduction des dépenses et non en fonction de la réalité des prix » : en clair, pour respecter l’Objectif national de dépenses d’Assurance maladie (Ondam), le gouvernement n’a qu’à baisser le prix de chaque acte. D’où les recommandations de la Cour, qui consistent non pas à en finir avec la T2A, mais à « réduire le nombre de GHM », à améliorer la transparence du mode de calcul du prix de chaque acte, ou encore à « éliminer les écarts de tarifs non justifiés ».

Public et privé main dans la main ?

Le plaidoyer de la Cour des Comptes en faveur de la T2A, s’il peut aujourd'hui sembler déconnecté tant du ressenti des soignants que des objectifs politiques du gouvernement, se situe dans la continuité des travaux précédents des magistrats de la rue Cambon, qui ont toujours défendu ce mode de financement. Mais le troisième rapport présenté par la Cour mi-octobre, qui concerne la concurrence et la complémentarité entre les établissements publics et privés, est peut-être plus « explosif ». Car sans le dire, les auteurs prennent dans ce document une position très favorable au secteur privé. Selon eux en effet, il ne faudrait pas craindre les effets délétères d’une concurrence débridée entre hôpitaux et cliniques : cette concurrence est d’ailleurs, d’après leurs analyses, limitée aux zones urbaines les plus denses, et ne concerne presque que les activités chirurgicales. D’après eux, il faut en revanche, dans bien des cas, mieux organiser les coopérations entre les deux secteurs.

« Les soins hospitaliers sont très inégalement accessibles selon les patients, les territoires et les spécialités », écrivent les magistrats, et ce en raison notamment « de règles et de fonctionnement hétérogènes entre établissements de santé ». En clair, les tarifs et la règlementation favorisent parfois le public aux dépens du privé, ce qui a pour conséquence, dans certaines circonstances, de réduire l’offre de soins. Voilà qui est gênant dans le contexte d’accessibilité aux soins plus que difficile que nous connaissons actuellement, et c’est pourquoi la Cour invite les pouvoirs publics à agir. Notant que « la stimulation concurrentielle est un facteur nécessaire à l’amélioration de la qualité des soins et de la satisfaction du patient », elle estime que « l’administration de la santé doit mieux utiliser, ou renforcer, ses moyens d’intervention pour susciter, voire contraindre, les opérateurs et les praticiens à coopérer davantage face aux difficultés rencontrées en matière d’offre hospitalière dans une grande partie du territoire ».

Un point risque tout particulièrement de susciter la controverse. Alors que « dans certains cas, les cliniques privées sont exclues du champ d’application du service public hospitalier », elles pourraient répondre à des besoins dans des zones où l’hôpital public n’est pas présent, a en effet estimé Pierre Moscovici. Celui-ci indique que la Cour invite, « dans un cadre contractualisé », les Agences régionales de santé (ARS) à « développer les autorisations d’activité » à destination des cliniques privées. « Il ne s’agit pas de privatiser l’hôpital, a tenté de déminer le premier président de la Cour des Comptes. Il s’agit de faire en sorte que le service public puisse être étendu à des acteurs privés à but lucratif»

Qui étrille qui ?

Reste à savoir comment les trois rapports de la Cour des Comptes et leurs prescriptions pour le moins sévères peuvent être reçues dans un monde hospitalier aux abois. « Il y a un biais quand on lit nos rapports : les journalistes écrivent toujours que "nous étrillons", que "nous épinglons", alors que ce n’est pas le but ! Nous nous basons sur l’analyse des faits, et nous n’hésitons pas à rappeler que certaines évolutions vont dans le bon sens », a tenu à souligner un Pierre Moscovici désormais habitué à ce genre de critique. Il n’empêche qu’on a du mal à imaginer comment les préconisations de la Cour, si elles étaient mises en œuvre, pourraient ne pas déclencher un conflit social d’une ampleur inédite chez les soignants.

Il faut notamment remarquer que les trois rapports semblent en grande partie déconnectés de la principale préoccupation des établissements, qui n’est depuis quelques années pas tant leur équilibre financier que le recrutement. Certes, en ouverture de la conférence de presse présentant le travail de la Cour sur l’hôpital, Pierre Moscovici n’a pas omis de préciser que « les ressources humaines constituent une préoccupation majeure », mais il n’a plus reparlé de ce thème par la suite. Interrogée sur le sujet, Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des Comptes (celle qui s’occupe de la santé), a répondu que la Cour « ne sous-estime pas les tensions » sur le plan des ressources humaines, et a estimé que « cela se ressent dans [ses] rapports »… mais elle n’a pas cité de recommandation précise permettant de s’attaquer au problème.