Christophe Debout - Objectif Soins & Management n° 0296 du 14/12/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0296 du 14/12/2023

 

ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

Infirmier anesthésiste de formation, cadre supérieur de santé et docteur en Épistémologie et Philosophie des sciences, Christophe Debout est allé explorer la pratique infirmière outre-Atlantique et outre-Manche. Il en est revenu avec l’envie de s’investir dans le développement de la discipline des sciences infirmières et la conviction de la puissance et de la force collective des organisations professionnelles.

Infirmier diplômé d’État en 1988, Christophe Debout a été séduit, au cours de stages, par la complexité des situations des patients en réanimation et au bloc opératoire. Après une première affectation comme infirmier dans un service de réanimation, au Centre hospitalier de Compiègne (Oise), il s’engage dans une formation d’infirmier anesthésiste. « Après ma formation, j’ai été affecté en réanimation et non au bloc opératoire, ce qui était assez singulier. Cela m’a amené à identifier que j’avais besoin de compétences additionnelles pour exercer totalement mes missions, se souvient Christophe Debout. Il me fallait maîtriser la composante clinique, mais également savoir accompagner les équipes dans une pratique collaborative avec le cadre pour les aider à monter en compétences. »

Expérience américaine

Au milieu des années 1990, il décide de vivre une expérience à l’international pour « aller se tester » dans un autre environnement professionnel. Il obtient le certificat de la Commission on Graduate of Foreign Nursing School et une licence d’exercice aux États-Unis au sein du New Jersey Board of Nursing en 1995 (National Council Licensure Examination for Registred Nurses). « Aux États-Unis, j’ai constaté une reconnaissance plus marquée et une valorisation plus claire de l’expertise infirmière dans toute sa diversité. La profession est formée dans un contexte universitarisé depuis longtemps, et des responsabilités sont attribuées aux uns et aux autres en fonction de leur formation académique (bachelor, master et doctorat). Les infirmiers anesthésistes étaient déjà considérés comme des infirmiers en pratique avancée depuis des lustres. Il y avait une forte articulation entre la formation et la recherche, des postes partagés dans la clinique et la formation, un contact avec la littérature scientifique infirmière et un corpus de connaissance disciplinaire développé, auquel on n’avait pas accès en France. J’ai aussi pris conscience de la puissance des organisations professionnelles, de la force du collectif », se souvient Christophe Debout.

Dès son retour en France, il s’engage au sein de l’Anfiide (Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants), qu’il apprécie notamment pour son articulation entre le national et l’international, et dont il assure la présidence de 2002 à 2009. Au fil des années, son engagement ne faiblit pas : il préside le Groupement d’intérêt professionnel en soins infirmiers (Gipsi) de 2005 à 2009 et représente la France au sein du Conseil international des infirmières (CII). Il s’engage également dans la Fédération européenne des enseignants en sciences infirmières (FINE), dont il est secrétaire général de 2014 à 2021. Depuis fin 2022, Christophe Debout est président du Conseil national professionnel des infirmiers anesthésistes (CNPIA) et a intégré le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) la même année en tant que vice-président en charge des relations internationales.

Allier clinique et management

À la fin des années 1990, la question de la prise en charge de la douleur est reconnue comme un axe central dans la prise en soin des patients. Christophe Debout s’y intéresse de près et effectue un diplôme universitaire (DU) de prise en charge de la douleur en soins infirmiers, en 1996. Cela le conduit à intégrer une équipe mobile douleur qui intervient au sein du CH de Compiègne dans les unités de médecine et de personnes âgées. En 1998, il complète cette spécialisation par un DU de soins palliatifs.

Parallèlement, il est de plus en plus attiré par l’encadrement. Il effectue un parcours « classique » de faisant fonction de cadre et intègre un service d’urgence et de Service mobile d'urgence et de réanimation (Smur). Son diplôme de cadre de santé en poche, en 1999, il rejoint la nouvelle équipe mobile ville-hôpital soins palliatifs mise en place par l’hôpital de Compiègne. « Ce n’était pas mon projet initial en entrant en formation cadre mais je me suis plongé dans cette aventure et je n’ai pas regretté !, témoigne-t-il. Tout était à construire sur les champs de la clinique, de la formation et de la recherche. L’équipe était de taille restreinte : un médecin, une infirmière, une psychologue et une secrétaire travaillaient à mes côtés. Ma mission relevait du management de cette équipe mais j’avais également une activité clinique auprès des patients. J’avais un ancrage hospitalier mais j’intervenais également dans les établissements d’accueil pour personnes âgées et je découvrais la réalité du soin à domicile. C’était pour moi une ouverture très intéressante. »

Conscient du besoin de se former encore pour aller plus loin dans sa pratique, Christophe Debout part alors en 2002 au Royaume-Uni suivre un Master in Science in Nursing (research), à l’université de Manchester et au Royal College of Nursing Institute. « Ce Master était inspiré de ce que j’avais vu aux États-Unis et j’ai absolument adoré l’approche, confie-t-il. Les sujets étaient très en lien avec la pratique et les besoins. Elle répondait à la réforme du NHS [National Health Service] et à l’introduction de l’exercice en pratique avancée. Cela m’a fortement sensibilisé à ce type d’exercice. » De retour au CH de Compiègne, c’est l’heure de la restructuration. On lui propose d’accroître son périmètre d’intervention pour couvrir, en plus de l’unité mobile de soins palliatifs et du réseau de soins continus, une fédération d’hémato-cancérologie. Cette évolution l’oblige à abandonner l’activité de consultation clinique pour se consacrer à 100 % à l’encadrement. Une expérience enrichissante : « À l’heure du premier plan cancer, la dynamique de projet était très active au niveau régional, de l’établissement, mais aussi de l’équipe, très motivée à engager ces évolutions. »

L’universitarisation, tremplin pour la recherche

Après 5 ans dans cette fonction, Christophe Debout s’engage à nouveau dans la formation. En 2003, il obtient un diplôme d'études approfondies (DEA) de philosophie, option philosophie des sciences, à l’Université de Picardie, et finalise en 2009 un doctorat de philosophie des sciences et épistémologie, à l’Université Denis-Diderot à Paris, avec une thèse intitulée : « Construction des savoirs infirmiers en France : entre art et science ». « Mon objectif était de faire évoluer les représentations de cette discipline à l’époque peu connue en France », précise-t-il.

Doctorat en poche, il candidate à un poste de professeur à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) en 2009 : « Dans le cadre de la transformation de l’ENSP [École nationale de la santé publique] en EHESP, l’école devenait un grand établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Un Département en sciences infirmières et paramédicales (DSIP) a été créé et j’ai été recruté comme directeur adjoint. » Tout était à construire, aussi bien dans le champ de la formation que de la recherche. « Ma première mission a été de concevoir et de mettre en œuvre le premier programme de master en sciences cliniques infirmières avec l’équipe d’Aix-Marseille Université. C’était une belle aventure car l’universitarisation se mettait en place dans la filière, on était au cœur du développement de la capacité de la recherche infirmière, avec la création du PHRI, le Programme hospitalier de recherche infirmière, devenu par la suite le PHRIP, le Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale. »

Promu directeur du DSIP en 2012, il quitte ce poste à la fermeture du département, en 2014. Désireux de rester dans le champ de la formation et de la recherche, en prise directe avec la filière infirmière, il prend alors la direction de l’Institut de soins infirmiers supérieurs de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) puis, en 2016, devient responsable pédagogique de l’école d’infirmiers anesthésistes diplômés d'État (Iade) et directeur de l’Institut de formation d'ambulanciers (IFA) de l’Institut de formation interhospitalier Théodore-Simon, à Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis). Parallèlement, il s’investit dans des activités de recherche au sein de la Chaire Santé à Sciences Po, et de l’Institut Droit et santé, qu’il met en œuvre concrètement à l’école d’Iade : « Au sein de l’école d’Iade, nous avons créé une équipe de recherche. Les étudiants Iade volontaires peuvent y valider un stage de quatre semaines. Ils contribuent à nos travaux et nous les acculturons à la recherche conformément aux attendus du grade master. Leur mémoire de recherche doit prendre la forme d’un article scientifique. Nous articulons nos travaux entre équipe de recherche et d’enseignement et cela contribue à faire vivre une synergie intéressante dans l’école. » Parmi ses axes de recherche privilégiés : le leadership infirmier, notamment dans sa composante clinique, le développement de compétences dans le domaine de la recherche pour les infirmiers en licence et master à orientation clinique, enfin l’articulation entre la pratique infirmière spécialisée et avancée. Des sujets au cœur de l’actualité et de l’évolution de la profession !

Sortir des injonctions paradoxales

Pour Christophe Debout, si le système « tient et ne s’effondre pas complètement, c’est parce que les infirmières œuvrent. Cela passe par beaucoup de dépassements de fonction, d’arrangements locaux qui permettent une continuité de l’offre de soins mais qui rendent les infirmières invisibles lorsqu’elles ne sont pas reconnues ». Il relève aussi la tension existant entre polyvalence et hyperspécialisation. « Dans un centre de référence, on attend de l’hyperspécialisation dans une équipe pluridisciplinaire. En réalité, lorsqu’on a plus de postes vacants qu’on le souhaiterait, on met des rustines : on privilégie la mobilité et la polyvalence, ce qui ne favorise pas le développement de l’expertise dans un environnement apprenant. » Il lui semble essentiel de continuer à considérer la fonction infirmière à haut potentiel qui existe dans une grande diversité de lieux : à l’hôpital, à domicile, à l’école, à l’université, au travail, en protection maternelle et infantile (PMI). « Pour cela, il faudrait que les ministères de tutelle conservent un nord magnétique qui ne change pas avec la succession des ministres. Il faut aborder les problèmes de manière systémique, repenser le système dans sa globalité, avec une approche centrée sur la personne, et sortir des injonctions paradoxales. »

Donner toute sa dimension au savoir infirmier

Bien conscient des difficultés rencontrées par la profession, il souligne néanmoins les accomplissements réalisés. « L’autonomie de la profession est reconnue et en France, nous avons la chance que le niveau d’entrée dans la profession infirmière soit le niveau grade licence, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays. Nous avons pu porter au grade master les formations infirmières des Iade, IPA [infirmière en pratique avancée] et Ibode [infirmière de bloc opératoire diplômée d'État]. On espère demain pouvoir en faire autant pour les puéricultrices et les cadres de santé. La pratique avancée a mis du temps à trouver sa place en France mais globalement, on y est arrivé ! Côté recherche, on a vu les crédits publics alloués à la recherche infirmière augmenter depuis le premier PHRI. Et la création de la section Sciences infirmières au sein du Conseil national des universités (section CNU 92) constitue un progrès. » Il reste encore du chemin à parcourir. D’importants travaux sont par exemple menés au sein du Cefiec, pour accompagner la mise en œuvre de la phase 2 de l’universitarisation de la formation initiale des infirmiers : « Comment repenser les rapports existants entre les formateurs et enseignants chercheurs infirmiers ? Comment articuler la formation, la pratique infirmière et la recherche ? Ce ne sont pas des sujets faciles », souligne Christophe Debout.

À ses yeux, une autre étape importante serait de sensibiliser les étudiants dès la formation initiale pour que le raisonnement clinique et les données probantes soient indissociables alors qu’en France, « Certains infirmiers sont encore hermétiques aux données probantes ». La question du recyclage des données cliniques dans le cadre de recherches est aussi selon lui un axe important à travailler. Bien souvent, les données recueillies quotidiennement par les équipes infirmières ne sont pas interopérables d’un hôpital à l’autre car les systèmes d’information n’utilisent pas les classifications internationales. Il est également nécessaire de multiplier les collaborations internationales au-delà de la communauté francophone, notamment au sein de l’European Academy of Nursing Science. Pour Christophe Debout, ce sont autant de freins à lever pour continuer à faire croître la capacité de recherche infirmière en France et lui permettre de contribuer pleinement aux travaux internationaux.