LES HÔPITAUX À CRAN - L'Infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 362 du 01/07/2015

 

PLAN D’ÉCONOMIES

ACTUALITÉS

À LA UNE

HÉLÈNE COLAU  

Malgré les déclarations rassurantes du ministère de la Santé, les établissements sont inquiets. Et unanimes : c’est le personnel qui risque de faire les frais des efforts financiers qu’ils vont devoir réaliser d’ici à 2017.

Trois ans, trois milliards d’euros d’économies, le tout sans baisse d’effectifs. Tel est le défi lancé aux établissements de santé par Marisol Touraine en février dernier. Pour y parvenir, la ministre de la Santé évoque plusieurs pistes : la « maîtrise de la masse salariale » doit permettre d’économiser 860 millions d’euros – l’équivalent de 22 000 postes –, « la mutualisation des achats et l’obtention de meilleurs tarifs », 1,2 milliard, et « les rapprochements entre hôpitaux voisins quelque 450 millions d’euros ». Autres priorités, le développement de la chirurgie ambulatoire « doit générer 400 millions d’euros » et « la réduction des durées d’hospitalisation, 600 millions ». Ces objectifs sont « à la portée des établissements de santé et de leurs managers », a estimé en mai Jean Debeaupuis, le directeur général de l’offre de soins. « Il n’y aura pas de plan social dans l’hôpi?tal France », a renchéri Marisol Touraine, précisant que l’évolution de la masse salariale dans les années à venir était « compatible avec une stabilité globale des effectifs dans les hôpitaux ».

Au-delà des beaux discours, les établissements sont désormais priés de réaliser les économies demandées : pour 2015, il s’agit de réduire les dépenses de pas moins de 730 millions d’euros. Comment faire pour y parvenir sans pressurer davantage un personnel déjà épuisé ?

Bouts de chandelle

Pour l’heure, les directeurs d’hôpitaux se grattent la tête, repoussant la présentation d’une feuille de route précise à la fin de l’année. « Il est vrai qu’on peut faire des économies sur autre chose que le personnel, admet Michel Rosenblatt, directeur d’hôpital aux Hospices civils de Lyon et président du syndicat Syncass-CFDT. Sur dix ans, les coûts informatiques ont fondu, la téléphonie est devenue moins onéreuse… Dans ces domaines, on peut encore progresser à la marge. Sur les achats, par exemple, les groupements permettent de négocier les prix auprès des fournisseurs : aujourd’hui, par exemple, chaque CHU a ses enveloppes à fenêtre imprimées… En passant de 150 modèles à 20, on réalise des économies. Après, au lieu de changer le respirateur au bout de cinq ans, ce sera au bout de six… On peut tirer sur la corde… jusqu’à ce qu’elle casse ! »

Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF), ne se fait pas d’illusions sur les conséquences de cette injonction faite aux établissements. « Aucun politique ne peut assumer cette idée, mais réaliser de telles économies sans toucher aux effectifs est impossible. 68 % des dépenses des hôpitaux sont des dépenses de personnel. Développer l’ambulatoire [l’objectif est 62 % de chirurgie sur ce mode en 2020, NDLR] est une excellente chose, mais c’est une autre façon de réduire le personnel : qui dit moins de lits, dit moins de soignants. »

Chasse aux RTT

L’un des leviers d’économies qui risque d’avoir le plus d’impact sur le personnel est la renégociation des accords sur le temps de travail. « Dans les hôpitaux qui sont dans le rouge, il n’est pas étonnant que la direction tente de renégocier les accords, souligne Michel Rosenblatt. Le nombre de RTT a un impact direct sur le nombre d’emplois qu’on peut conserver. Le problème, c’est que les syndicats craignent de mettre un doigt dans l’engrenage. » « Si demain les agents travaillaient sept heures par jour, on récupérerait beaucoup d’argent, approuve Gérard Vincent, de la FHF. Mais le personnel a l’habitude d’avoir beaucoup de congés et c’est très difficile de revenir là-dessus. » En effet, le sujet est plus que sensible du côté des représentants du personnel. Plusieurs mouvements de grève ont déjà été organisés pour exiger le retrait du plan, notamment à Marseille ou encore à Paris (1). « On nous demande 150 millions d’économies en 2015, tempête Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de Sud-AP-HP. Or, nous avons déjà dû économiser 600 millions depuis 2010 ! On a tellement raboté sur les conditions d’accueil des patients qu’on ne peut pas aller plus loin. La direction a annoncé que 1 700 agents contractuels, dont des infirmières, allaient être mis en stage, mais c’est très peu sur les 8 000 à 10 000 qui travaillent actuellement. A la fin des CDD, les infirmières vont se retrouver en sous-effectif. »

Du côté des soignants, certaines solutions, comme le travail en 12 heures, qui permet de réduire les déplacements, sont plébiscitées. « C’est une solution de facilité, nuance Michel Rosenblatt. J’émets des réserves quant à sa soutenabilité dans le temps et ses effets sur la santé et la qualité de la prise en charge… Cela peut créer des problèmes de vigilance. Je considère que c’est une fuite en avant (2). »

Fermeture de service

Les directeurs d’établissements semblent davantage séduits par des solutions de réorganisation des soins, permettant une meilleure articulation entre le médical et le paramédical (voir encadré). Mais il est des établissements où ces principes sont plus difficiles à mettre en application. « Dans les ex-hôpitaux locaux, le plan va se traduire par une baisse d’environ 10 % de la dotation annuelle des services de médecine, explique Dominique Colas, directeur du CH de Lamballe (22) et président de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux. Quand on perd 10 % d’une dotation déjà serrée, c’est très difficile. D’autant que ce plan arrive en milieu d’année : en 2015, il faudra donc redoubler d’efforts ! J’ai conseillé à des confrères de se mettre en déficit. » Car pour les petits CH, le moindre imprévu peut avoir des conséquences dramatiques. « Une remise aux normes des ascenseurs ou une mise à jour informatique suffit à balayer tous nos efforts », déplore Dominique Colas. Qui s’inquiète pour l’avenir des petits établissements : « Tous vont devoir toucher à la masse salariale, mais c’est plus sensible quand on n’a déjà qu’un agent par lit. Ceux qui peuvent supprimer du personnel garderont leur activité, mais les autres fermeront des services. Et moins de services, ça veut dire moins de rentrées d’argent… Quant à la mutualisation des administrations dans le cadre de groupements hospitaliers de territoire, à terme, elle condamne l’hôpital : d’abord, on transfère des activités, puis c’est la fermeture. » Et de conclure : « La vision selon laquelle on pourrait faire des économies facilement car il y aurait un gaspillage permanent me gêne… Ce qui est sûr, c’est que ceux qui vont souffrir, ce sont les soignants. C’est sur eux que portera la pression. »

1– Lire aussi page 9.

2– Lire aussi pages 18-19.

LEAN MANAGEMENT

Rationalisation à tous les étages

Une expérience de lean management – un système d’organisation du travail inspiré de l’industrie, qui vise à éliminer les gaspillages – a été mise en place au CHU de Grenoble. « Grâce à une réorganisation de l’accueil des urgences, nous avons pu diminuer de 30 % le temps d’accueil, soit un gain de 0,7 poste, détaille Benjamin Garel, directeur de la qualité de l’établissement. Par ailleurs, la cadre effectue désormais un point quotidien sur les problèmes de programmation du jour et les moyens d’augmenter le nombre d’opérations en répartissant différemment le personnel ou les interventions. Ces quinze minutes quotidiennes nous ont fait gagner 9 % d’opérations par Ibode et 30 % d’opérations par salle. »

3 QUESTIONS À

Philippe Leduc, président du think tank Économie santé

1- Était-il nécessaire de mettre en place un plan d’économies pour l’hôpital ?

Cela s’inscrit dans un contexte général de diminution des dépenses publiques… Et c’est sans doute une posture, notamment vis-à-vis de l’Union européenne, qui exige que les États fassent des efforts. Mais en dix ans, il y a eu une explosion des personnes accueillies à l’hôpital, qui rend urgente une refonte du système de soins. Depuis 25 ans, beaucoup de mesures ont été prises : le SROS, la T2A, les plans Hôpital, la loi HPST… Or, les dépenses sont toujours là. En France, l’hôpital représente 38 % des dépenses de santé, contre 31 % en Union européenne et 29 % en Allemagne. Donc oui, il faut faire des économies à l’hôpital et oui, c’est possible.

2- Les objectifs de ce plan sont-ils réalistes ?

La ministre ne veut pas entrevoir qu’il y aura des baisses d’effectifs, mais ça va être difficile d’atteindre ces objectifs dans le temps imparti sans toucher au personnel. Le problème, c’est que les économies à l’hôpital ne se font pas qu’à l’hôpital ! Si, en amont, la médecine de ville prenait mieux en charge les patients, notamment ceux atteints de maladies chroniques, ils ne seraient pas si nombreux à se rendre aux urgences ! Sans réforme de la médecine de ville, on n’arrivera pas à tenir ces objectifs. Ca prendra du temps. Pour faire des économies, il faut commencer par investir.

3- Que recommandez-vous ?

Les pouvoirs publics doivent cesser leurs injonctions contradictoires : ils ne doivent pas entraver la recherche d’efficience des hôpitaux. Par ailleurs, les équipes de direction et médicales devraient avoir une vraie autonomie de gestion, avec la possibilité de mettre en place des incitations et des sanctions. Enfin, on ne pourra pas éviter les fermetures d’hôpitaux. Sur ce point, il faudra être transparent vis-à-vis du public, lui expliquer que c’est pour des raisons de sécurité…

PROPOS RECUEILLIS PAR H. C.

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