Rémunération des études infirmières, une (fausse) bonne idée ? - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Actualités

Claire Pourprix  

Formation

La crise sanitaire a mis en avant le rôle essentiel des soignants dans notre société. Pour autant, la menace d'une pénurie d'infirmiers et d'aides-soignants plane toujours, la profession peinant à maintenir les nouvelles recrues dans le champ sanitaire. Est-ce que la rémunération des études en IFSI moyennant quelques années de service à l'hôpital pourrait solutionner le problème ? Les avis sont (très) tranchés !

La crise a mis en lumière le manque de personnels soignants et les dangers induits sur la prise en charge de la population. La Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) évoque 100 000 postes vacants dans les établissements publics comme privés, dont 34 000 infirmiers et 24 000 aides-soignants. La Fédération hospitalière de France (FHF) pointe pour sa part, dans une enquête intitulée « Attractivité paramédicale et difficultés de recrutement » publiée en octobre 2019, que 97 % des établissements (centres hospitaliers et Ehpad) rencontrent des difficultés de recrutement, notamment pour les métiers qu'ils jugent prioritaires en matière d'attractivité : infirmier et aide-soignant. Les difficultés sont variables selon le type d'établissement et le métier : à l'hôpital, seuls 2 % à 3 % des postes d'aide-soignant demeurent vacants en moyenne, contre 13 % des postes en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes. Pour les infirmiers, l'écart moyen de vacances de postes entre hôpitaux et Ehpad est moindre, puisqu'elle est de 3 % en milieu hospitalier contre 8 % en Ehpad.

Parmi les causes identifiées par les répondants pour expliquer ce « désamour » de la profession, arrivent en tête les questions des conditions de travail et de rémunération. En troisième position, le manque de professionnels formés, suivi du contexte local, puis de l'image négative des métiers paramédicaux, du contexte régional et enfin de l'organisation des formations paramédicales.

Est-ce que la rémunération des études en formation initiale permettrait d'attirer plus de candidats et surtout de les « attacher » à leur profession ? Cela existe dans certains corps de métier tels que l'ENS et les écoles militaires, en contrepartie d'un service dû à l'Étatpendant quelques années. Pourquoi ne pas adopter un tel mode opératoire pour ces professions essentielles au fonctionnement de notre système de santé ?

Retour d'expérience

Thierry Joutard, consultant formateur, a bénéficié d'un salaire en tant qu'étudiant infirmier psychiatrique de 1984 à 1987, à l'époque où il existait encore deux diplômes distincts. D'après lui, ce système était vertueux et lui a permis d'intégrer une branche professionnelle à laquelle il ne se serait pas destiné sans cela. « J'étais fils d'ouvrier, mes parents avaient des situations précaires et en fin de terminale mon choix s'est orienté vers une formation au minimum gratuite, au mieux, rémunérée : police nationale, infirmier psy, agent EDF... J'ai réussi le concours d'infirmier psy en premier et ai choisi cette voie. À l'époque ce n'était pas par vocation, je le reconnais, mais cela m'a permis de mettre le pied dans un monde nouveau, m'a sorti d'une forme de précarité qui me tendait les bras et a sécurisé financièrement mes parents. » Pour Thierry Joutard, le fait de bénéficier d'un salaire dès le départ – « 4 400 francs à l'époque, plus élevé que celui de son père ! » – a constitué un véritable tremplin dans la vie active : « j'ai pu acheter ma première voiture, louer un appartement, me mettre en couple... Surtout, dès l'âge de 18 ans, j'ai bénéficié d'une identité culturelle forte car j'ai eu la chance d'intégrer des équipes soignantes, en tant que salarié. » Les contreparties ? Servir la fonction publique hospitalière pendant 5 ans, et remplacer des personnels dans différents services pendant leurs congés, sous forme de vacation. À 54 ans, il travaille toujours dans ce milieu de la psychiatrie et de la santé mentale, dont il a embrassé bien des aspects : diplômé de l'école de cadres du CHU de Nantes en 1997, d'un DEA Sciences de l'éducation en 2001 puis d'un doctorat de Sociologie à l'université Rennes II – Haute-Bretagne en 2008, Thierry Joutard a exercé comme cadre de santé,formateur,directeur de l'IFSI/IFAS de la Croix-Rouge française à Rezé (44) et Saint-Jean-de-Monts (85), directeur du Centre d'Habitat de l'association l'Étape près de Nantes et enfin formateur consultant. « Si les études d'infirmiers psy n'avaient pas été rémunérées, je n'aurais pas choisi cette voie, confie-t-il.Comme moi, j'imagine que de nombreux jeunes pourraient découvrir nos métiers du soin et y faire carrière si on parvenait à les attirer pour faire des études dans de bonnes conditions. »

L'universitarisation avant tout

Interrogé, l'Ordre national des infirmiers a répondu ne pas être habilité pour répondre aux questions qui relèvent de la rémunération. Du côté de la Fnesi, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers, l'idée d'études rémunérées est totalement réfutée.« Depuis des années, nous nous battons pour que les étudiants en soins infirmiers soient reconnus comme des étudiants à part entière de l'enseignement supérieur avec leur intégration universitaire. Adopter un mode d'étude rémunéré reviendrait à nous faire basculer dans le champ de l'apprentissage, et notre ministère de tutelle ne serait plus l'enseignement supérieur. Nous perdrions le statut d'étudiant, c'est trop risqué », explique Bluenne Laot, sa présidente. Une solution pour financer en partie la vie étudiante est d'après elle de s'appuyer sur Pôle emploi : « en étant en formation initiale, si on travaille suffisamment d'heures sur les 2 dernières années, nous pouvons bénéficier d'une indemnité chômage. Personnellement, j'ai travaillé plus de 650 h avant ma formation, ce qui m'a permis de toucher 650 € par mois pendant tout mon cursus. Ce n'est pas assez pour vivre, mais c'est déjà beaucoup quand on est étudiant. »

Un argument qui vient nourrir le débat sur le revenu universel : « Faut-il permettre d'être rémunéré puis de partir en formation pour se professionnaliser ? Est-on prêts à ce changement de paradigme en France ? », interroge Thierry Joutard. Avant d'ajouter : « peut-on continuer à former des étudiants pour qu'ils travaillent si peu d'années dans le secteur ? »

Un mix avec l'apprentissage

Virginie Flamisset Schlier, présidente du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), cadre supérieur infirmier et adjointe à la direction filière IFSI de Colmar, apporte un autre regard.

« La formation en soins infirmiers est gratuite, car prise en charge par la Région et l'employeur, ce qui est quand même peu fréquent pour des études post-bac, avec un statut d'étudiant dans un circuit universitaire. Il est vrai que pendant les périodes de stage, la rémunération est peu conséquente mais elle a été revalorisée par le Ségur de la santé et est croissante à mesure des années de formation. Sur l'ensemble, cela représente 2 960 € par étudiant pris en charge par les Régions, sans compter les indemnités kilométriques de 25 centimes par km, valables pour les déplacements du domicile au stage ou de l'IFSI au stage. Ce sont des avantages non négligeables qui ne sont pas offerts à tous les cursus de formation par ailleurs. »

Comme Thierry Joutard, qui plaide pour la « coexistence de plusieurs logiques concomitantes » (une formation payée prise en charge par le secteur public, une autre par le secteur privé donnant lieu à un diplôme unifié), et surtout un plus grand mixage des parcours possibles comme cela se pratique notamment dans de nombreuses écoles d'ingénieurs, Virginie FlamissetSchlier n'exclut pas d'autres voies que celle de l'universitarisation. « La voie de l'apprentissage est en développement. Cela peut se faire dès la première année : l'étudiant se met en contact avec un Centre de formation des apprentis, trouve un employeur prêt à le prendre en charge et suit sa formation en travaillant chez cet employeur pendant ses vacances. En revanche, il n'a pas l'obligation de réaliser tous les stages chez ce même employeur afin de maintenir la diversité des stages professionnalisant, qui répond au référentiel de formation avec 4 typologies de stage à respecter. »

Revalorisation des indemnités de stage, et après ?

Cette année, à la suite du Ségur de la santé, les étudiants infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, ergothérapeutes et manipulateurs d'électroradiologie médicalesont obtenu une revalorisation de leur indemnité de stage (arrêté du 16 décembre 2020). Auparavant, l'indemnité de stage (fixée sur une base hebdomadaire de 35 heures) variait selon la formation et l'année du cursus de ces étudiants. Pour les étudiants en soins infirmiers, les montants étaient de 28 € nets par semaine en 1re année, 38 € nets par semaine en 2e année, 50 € net par semaine en 3e année. Depuis le 1er janvier dernier, ces indemnités sont alignées sur le montant le plus haut de l'année du cursus et revalorisées à hauteur de 20 % : 36 € nets par semaine en 1re année, 46 € nets par semaine en 2e année, et 60 € nets par semaine en 3e année.Par ailleurs, en novembre 2020, une indemnisation exceptionnelle de stage versée aux étudiants en soins infirmiers de 2e et 3e années a été mise en place durant la seconde vague épidémique, cumulable avec l'indemnité de stage classique. Elle s'élève à 98,5 € en 2e année et 86,5 € en 3e année de formation.

« C'est une première avancée, mais cela nous semble trop peu », souligne Bluenne Laot. « Nous demandons une indemnité de 3,90 € par heure, comme c'est le cas pour les autres étudiants de l'enseignement supérieur. Des discussions sont engagées, les ministères connaissent nos positions... Tout le monde est conscient que les étudiants ont joué un rôle essentiel depuis le début de la crise de la Covid-19. Oui nous sommes encore en formation, mais nous avons servi notre pays : le gouvernement est conscient que nos métiers souffrent d'une perte d'attractivité. L'enjeu est de donner envie aux étudiants déjà engagés dans le métier d'aller jusqu'au bout, pas uniquement pour avoir une licence, mais bien pour travailler comme infirmier. En 2019 et 2020, « infirmier » a été la première formation demandée Parcoursup sur les 2 dernières années : cela prouve que le métier donne toujours envie sur le papier. Le problème, c'est que trop d'étudiants arrêtent en cours de formation et que le turn-over est important, les infirmiers restant peu de temps dans la profession, soit pour poursuivre leurs études, soit pour se reconvertir. »

Maintenir les étudiants dans le soin

D'après la Fnesi, il faudrait repenser la formation pour qu'elle soit mieux adaptée (le dernier référentiel date de 2009) et améliorer la qualité de vie au travail. « De trop nombreux étudiants arrêtent car ils sont victimes de maltraitance pendant leur stage, mais aussi parce que dans les services ils collaborent avec des professionnels exténués ; ils manquent de matériels, de moyens, alors qu'ils ont des vies entre leurs mains, ce qui est une lourde responsabilité. La rémunération est aussi une question centrale, nous sommes complètement à la traîne en France... »

Virginie FlamissetSchlierrappelle que déjà, du temps du concours, les étudiants démarraient leurs études sans avoir vraiment conscience de ce qu'est ce métier, la prise de conscience venait lors de la confrontation avec le lit du malade. « Avec Parcoursup, ce phénomène est renforcé car les étudiants sont en moyenne plus jeunes de 3 ans lorsqu'ils démarrent leurs études en IFSI, remarque-t-elle. Il me semble qu'il n'y a pas plus d'interruptions d'études qu'auparavant, mais la principale cause aujourd'hui est la prise de conscience de la responsabilité qui incombe à ce métier. C'est pourquoi, en 2e année, certains étudiants préfèrent se réorienter et aller travailler comme aide-soignant. Il faut d'ailleurs souligner que l'IFSI offre un cursus exceptionnel : il donne la possibilité d'interrompre ses études pendant 3 ans, puis de les reprendre au même stade si les unités d'enseignement avaient été validées, ou de repartir à zéro après 5 ans d'interruption. Ce cursus est donc aménageable, ce qui facilite le projet professionnel au regard du projet de vie ou des événements de vie que peuvent connaître les étudiants. »

Quand on l'interroge sur la précarité des étudiants en soins infirmiers, l'adjointe à la direction de l'IFSI de Colmar tempère également. « Nos étudiants ne sont pas plus précaires que les autres, c'est un phénomène général auquel il faut bien sûr être attentif. Toutefois, les étudiant en IFSI ont un avantage : ils peuvent travailler facilement au sein des établissements sanitaires médico-sociaux, les week-ends et pendant les vacances, et ces expériences de terrain contribuent à enrichir leur parcours et leur projet professionnel, ce qui n'est pas le cas de tous les étudiants. »

L'enjeu de l'attractivité ne se situerait donc pas tant au niveau des études que dans la poursuite de l'activité. « Face à la dégradation des conditions de travail, à la perte de sens à l'hôpital, à la maltraitance institutionnelle induite par le sous-effectif, 30 % des jeunes diplômés abandonnent la profession infirmière dans les 5 ans qui suivent le diplôme », indiquait Thierry Amouroux, le porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC, en février 2019.

« Pour continuer à remplir nos IFSI et garder les professionnels dans le champ sanitaire, il nous faut obtenir une reconnaissance par les salaires et garder le droit à l'expression avec le maintien des directions des soins et des commissions des soins sans quoi nous reviendrons à une gouvernance médicale, ajoute Virginie FlamissetSchlier. Ce sont les mêmes revendications qu'il y a 30 ans... et pour autant il y a toujours des jeunes qui s'engagent car ils ont la fibre altruiste et empathique. On ne fait pas ces métiers par hasard, en revanche il nous faut nous adapter à un tournant sociétal : les nouvelles générations sont prêtes à s'engager dans leur profession mais revendiquent aussi le droit à disposer d'une vie personnelle à côté. »

Aujourd'hui, des travaux sont en cours dans le cadre du Ségur de la santé pour permettre la revalorisation des rémunérations des personnels soignants dans les établissements de santé et revaloriser les perspectives de carrière en sortie d'école. Tant que la question des conditions de travail, de la rémunération, de la reconnaissance ne seront pas réglées, l'attractivité du métier d'infirmier sera malmenée. En attendant... le débat sur la rémunération et le format des études reste ouvert !

(*) https://www.fhp.fr/1-fhp/7-espace-presse/2088-communiques-de-presse-2020.aspx