Motivations des infirmiers pour la formation en pratique avancée - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Recherche et Formation

Dossier

Camille Lorenzo*   Karen Lacquit**  

Depuis la publication du décret du 18 juillet 2018 relatif à la création du diplôme d'état infirmier en pratique avancée (IPA) (1), plus de 1 500 infirmiers sont diplômés ou actuellement en cours de formation. La réalisation d'une étude quantitative, auprès d'étudiants ou de diplômés en pratique avancée infirmière a permis de décrire les motivations de ces professionnels.

Cette étude a été conçue pour aider les cadres de santé à encourager les infirmiers qui souhaitent se former à la pratique avancée (PA). Particulièrement s'ils partagent des motivations avec ceux qui se sont lancés dans l'aventure. Les profils brossés dans cet essai permettront peut-être aux cadres d'identifier les soignants susceptibles de s'épanouir dans cette nouvelle évolution professionnelle.

L'entrée en formation d'IPA se fait sur sélection dans l'une des vingt-six universités accréditées en France (2). Accessible en formation initiale ou continue, l'exercice nécessite néanmoins une expérience professionnelle de trois ans. Le soutien institutionnel et le financement du projet sont des éléments attendus dans la candidature. Il est important que les cadres soient en capacité de soutenir les projets des infirmiers motivés.

Présentation de l'échantillon étudié

Les répondants sont en grande majorité de sexe féminin (81,8 %), cela s'apparente à la proportion de femmes parmi les étudiants infirmiers en soins généraux (3). Ils ont entre 24 et 55 ans, pour une moyenne d'âge de 39,2 ans. Ils ont en moyenne 14 années d'expérience professionnelle infirmière. Les IPA ont un baccalauréat scientifique dans 48,50 % des cas, 21,9 % ont un baccalauréat sciences et technologies de la santé et du social, et 29,60 % viennent d'autres filières, majoritairement de baccalauréats généraux. 36 % sont en 1re année, 47 % en 2e, et 17 % déjà diplômés.

Enfin, un nombre significatif de répondants (8,30 %) a obtenu un master en sciences cliniques infirmières (master princeps des sciences infirmières en France) avant l'entrée en formation d'IPA.

Résultats

Nous avons organisé nos résultats selon 3 axes : les motivations générales à rejoindre la formation, les motivations en liens avec les compétences de l'IPA et les facteurs pouvant les impacter durant les études.

Découverte de la formation d'IPA

La majorité des répondants (55 %) a appris l'existence de ce nouveau métier en milieu professionnel. Internet apparaît ensuite comme le second point de départ de l'intérêt pour le métier (40 %). Une minorité a appris l'existence de la profession dans des revues professionnelles ou lors de séminaires (15 %).

Les motivations générales

L'immense majorité des infirmiers (84 %) dit s'être lancée dans l'aventure pour accroître ses connaissances. On retrouve également l'envie de :

• Sortir d'une « routine infirmière » (50 %) ;

• Augmenter ses responsabilités (44 %) ;

• Poursuivre ses études (39 %).

Certains ont présenté spontanément d'autres aspects de leurs motivations. Parmi les réponses libres, il apparaît l'envie de s'épanouir et de valoriser des compétences déjà acquises lors de l'exercice infirmier.

Sont évoquées notamment la volonté de faire évoluer la discipline infirmière ou encore d'améliorer la prise en charge des patients et des parcours de soin. Un quart des interrogés déclare être motivé par une augmentation salariale.

Une évolution des motivations

Certaines motivations ont évolué en cours de formation. En effet, avec la publication au Journal Officiel de la grille salariale des auxiliaires médicaux exerçant en pratique avancée le 12 mars 2020 (4) et la parution du 30 décembre 2019 de la nomenclature IPA libéral (5), un certain nombre d'interrogés déplore avoir connu un changement dans ses motivations. Sur 114 réponses, cela concerne 10 % des répondants. La revalorisation salariale insuffisante au vu de l'accroissement des responsabilités est une réponse récurrente.

Nous ne retrouvons que très peu de réponses en lien avec la crise sanitaire de 2020.

Les motivations liées aux compétences de l'infirmier en pratique avancée

Ensuite, nous avons étudié la motivation des sondés en fonction de la compétence à laquelle ils s'identifient le plus. Lors d'une conférence du CEFIEC, Christophe Debout (6) a repris le modèle d'Hamric (7) et défini cinq compétences associées à l'exercice de l'IPA : la clinique, la consultation et le conseil, la recherche, la formation et le leadership. Les répondants étaient amenés à sélectionner la compétence qui les intéresse le plus.

• La clinique est le domaine de compétence qui présente le plus grand intérêt pour les futurs IPA : 43 % ;

• La consultation et le conseil sont présents au second plan et représentent 35 % des interrogés ;

• La formation : seulement 10 % ont répondu être d'avantage intéressés par la formation,

• Le leadership : 7 %

• La recherche : 5 %.

Les aspects techniques comme la pratique de la clinique et de la consultation sont de loin les éléments d'intérêts prioritaires dans l'envie d'accéder à ce nouveau métier. Ils ont une place prépondérante dans la représentation que les répondants ont de l'IPA. La recherche, la formation et le leadership sont des compétences peu mises en lumière, cela peut s'expliquer par leur caractère abstrait dans le contexte d'une nouvelle profession où toutes les applications restent encore à construire. 

Facteurs impactant la motivation des étudiants infirmiers en pratique avancée

Avec une moyenne d'âge proche de 40 ans, les infirmiers entrant en formation d'IPA ont souvent une expérience importante dans le domaine des soins. L'expérience auprès des patients (90 %), les connaissances cliniques (80 %) et la maturité (66 %) sont les points forts des infirmiers expérimentés les plus soulignés.

Ces éléments peuvent permettre un soutien des équipes, une crédibilité accrue sur le terrain et une compréhension meilleure des concepts directement en lien avec la pratique. Les connaissances acquises lors de l'expérience professionnelle offrent à ces infirmiers expérimentés une solide base de connaissances et d'habiletés pratiques.

Cependant, la maturité des infirmiers expérimentés peut engendrer certaines problématiques lors de la formation comme la difficulté à gérer simultanément une vie d'étudiant et une vie de famille (50 %). Plus de la moitié (54 %) déclare éprouver des difficultés à reprendre les études et à adopter de nouveau la posture d'apprenant. La plupart des IEPA poursuivent une activité infirmière en alternance de leurs études et 45,70 % rencontrent des embuches dans la gestion du changement de posture entre infirmier professionnel et étudiant en cours de formation. Cela est en partie expliqué par le fait que certains font face à une modification de comportement de la part de leurs collègues.

La reprise des études peut être source de difficultés selon 53,5 % des interrogés, la problématique financière est récurrente. Enfin, le manque de maîtrise des outils informatiques apparaît pour 28 % comme source de préoccupations. Tous ces éléments sont à prendre en compte car ils peuvent être à l'origine d'un émoussement des motivations chez les IEPA expérimentés. 

discussion

Facteurs intrinsèques et extrinsèques

Les motivations relevées dans le questionnaire relèvent essentiellement de facteurs intrinsèques, elles concernent le développement personnel de l'infirmier et lui apportent de la satisfaction liée à son évolution d'activité. La théorie de l'Autodétermination explique en partie les motivations des infirmiers souhaitant devenir IPA. En effet, d'après Vallerand (8) l'individu s'engage activement pour satisfaire ses besoins innés de compétence et d'autonomie. La formation d'IPA permettrait de combler ces aspirations qui émergent durant la vie professionnelle des infirmiers.

Les réponses choisies et expliquées par les infirmiers relèvent également de motivations extrinsèques où le plaisir tiré est indirectement lié à l'action (8). Elles concernent notamment l'amélioration de la qualité des soins et des parcours patients.

Melissa DeCapua, Docteure en pratique infirmière (DNP), a publié un article sur un média américain qui traite des motivations des Nurses Pratitioners (9). Nous avons remarqué que la plupart des motivations étaient communes à celles que nous avions trouvées, telles que développer son autonomie, améliorer ses performances auprès des patients et sortir d'un rythme routinier. D'autres en revanche n'ont pas été mentionnées par les interrogés, telles que l'évolution de carrière ou encore le prestige lié à la profession.

Certains infirmiers ont déclaré souhaiter participer à l'évolution de la profession. Bien que les infirmiers soient conscients de l'évolution majeure que représente l'arrivée de la Pratique Avancée en France, le métier n'est pas encore suffisamment valorisé pour qu'il puisse être qualifié de prestigieux. De nombreux pays ont développé une extension des compétences infirmières, pour certains depuis déjà plusieurs décennies. La France rattrape doucement son retard et nombre d'infirmiers sont enclins à participer au développement du métier. Leur leadership, compétence phare de l'IPA (10), pourra permettre un rayonnement valorisant le métier pour qu'il puisse dans l'avenir rendre la profession infirmière, dans son ensemble, plus influente.

Enjeux et valorisation

Certains infirmiers expliquent être soutenus dans leur projet par leur famille, leur équipe, leur hiérarchie et parfois même par les patients. Vallerand (8) explique que les retours positifs sur l'activité que l'on a, renforcent notre motivation intrinsèque. L'expérience, le soutien de ses pairs et un entourage qui vous suit, créent un cercle vertueux qui potentialise le phénomène de motivation. Ainsi, on retrouve chez les I(E)PA des motivations semblables à celles des salariés en général (11). Le besoin de reconnaissance de ses pairs et de ses supérieurs est un élément essentiel dans le processus de structuration et de pérennisation des motivations, facteur de réussite des études. Le cadre de santé et plus largement la direction des soins ont un rôle essentiel dans la promotion de la pratique avancée et son implantation au sein des diverses structures. La motivation des futurs candidats dépendra de la réalité du terrain auquel seront confrontés les pionniers à leur prise de poste. Il est donc primordial d'en assurer leur bon déroulement.

La recherche semble pour le moment mise de côté. Cela peut s'expliquer par le manque de connaissance de cet univers par les infirmiers. Avec l'avènement des IPA et l'entrée des sciences infirmières au CNU (12, 13), cet axe pourrait devenir de plus en plus concret et intéresser d'avantage les paramédicaux.

Limites et perspectives

Notre travail est limité par la courte existence de la formation. Les étudiants et diplômés en PA ne bénéficient que de très peu d'exemples sur lesquels s'appuyer. Dans les années à venir, le profil de ces derniers pourra avoir changé et ne plus correspondre aux résultats de cette étude. D'autres points, comme la perspective de carrière ou des précisions sur l'expérience de l'infirmier pourraient être abordés. Une étude qualitative basée sur des entretiens pourrait donner plus de spontanéité et de véracité à notre enquête.

Conclusion

Les motivations des IPA expérimentés sont intrinsèques et extrinsèques. Les réponses que nous avons recueillies montrent une volonté d'évolution personnelle et un solide intérêt pour les autres. Ils ont saisi l'opportunité de s'épanouir en accroissant leurs capacités tout en conservant le statut de soignant. Les infirmiers interrogés cherchent à faire reconnaître les savoirs et les compétences acquises grâce à leur expérience. Malgré une expérience infirmière de plus d'une dizaine d'années en moyenne permettant le développement d'une expertise soignante, la formation reste difficile et demande un investissement important. Globalement, ils ont une représentation complète des compétences de l'IPA, bien que certains domaines restent à développer, notamment la recherche.

En conclusion, les cadres de santé ont un rôle majeur à jouer dans l'identification et le soutien des soignants susceptibles de se former à la PA en collaboration avec le corps médical. La plupart des étudiants travaillent partiellement dans leur établissement, les cadres peuvent représenter une source d'encouragement pour les infirmiers en cours de formation. Enfin, une fois les IPA diplômés, les cadres seront amenés à travailler en collaboration avec ces professionnels sur divers projets tels que l'évaluation des pratiques professionnelles et la formation des équipes.

Le métier d'IPA va s'implanter progressivement dans le paysage de la santé. Les prochaines années seront déterminantes pour définir leur activité. Les cadres de santé sont des partenaires essentiels à leur déploiement, la collaboration et le soutien mutuel semblent essentiels pour une meilleure qualité des soins.

Méthodologie de l'enquête

L'étude a été réalisée sous forme de questionnaire anonyme diffusé auprès d'un groupe rassemblant les professionnels infirmiers en pratique avancée sur un réseau social populaire.

Les sondés avaient plusieurs choix de réponses et la possibilité de créer une réponse libre. Le questionnaire était disponible du 6 au 14 octobre 2020 et a permis de récolter 264 réponses. Les questions ont été formulées sur la base d'entretiens informels et d'une revue de la littérature.

Les critères d'inclusion de l'échantillon analysé étaient les suivants :

• Être en cours de formation IPA ou avoir obtenu le diplôme

• Avoir au minimum trois ans d'exercice infirmier.

(1) Décret no 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée. 2018-629 juill 18, 2018.

(2) LORENZO C. Tableau récapitulatif des Universités proposant la formation menant au Diplôme d'État d'Infirmier en Pratique Avancée. France : ANFIPA ; 2020.

(3) Casteran-Sacreste B. Profil des infirmiers en formation en 2014. DREES ; 2016 p. 6. (Études et Résultats). Report no. 0982.

(4) Décret no 2020-245 du 12 mars 2020 relatif à l'échelonnement indiciaire du corps des auxiliaires médicaux exerçant en pratique avancée de la fonction publique hospitalière. 2020-245 mars 12, 2020.

(5) Arrêté du 30 décembre 2019 portant approbation de l'avenant no 7 à la convention nationale organisant les rapports entre les infirmiers libéraux et l'assurance maladie, signée le 22 juin 2007.

(6) DEBOUT C. Pratique Avancée en soins infirmiers. CEFIEC ; 2016 mai.

(7) HAMRIC A, HANSON C, TRACY M, O'Grady, Eileen. Advanced practice nursing : an integrative approach. 5e éd. Philadelphia (USA) : Saunders ; 2014.

(8) Carré P, Fenouillet F et al. Traité de psychologie de la motivation. Dunod. Malakoff ; 2019. 404 p. 

(9) DE CAPUA M. 5 Reasons to Become a Nurse Practitioner (from an NP) [Internet]. Top Schools Offering Nurse Practitioner Programs. 2020 [cité 4 janv 2021]. Disponible sur : https://www.nursepractitionerschools.com/blog/5-reasons-to-become-an-np/

(10) Ambrosino F, Barrière C, Danan J-L, Lecointre B, Hue G, Meury P et al. Compétences attendues de l'infirmière de pratique avancée en France : recommandations d'experts à partir d'une étude Delphi modifiée. Rev Francoph Int Rech Infirm. mars 2018 ; 4(1) : 5-19.

(11) Diez R, Carton P. De la reconnaissance à la motivation au travail. Expans Manag Rev. 2013 ; no 150(3) : 104-12.

(12) Muller A. Création d'une section en sciences infirmières au sein du Conseil national des universités : enjeux et perspectives. 2020 ; 4.

(13) Décret no 2019-1107 du 30 octobre 2019 modifiant le décret no 87-31 du 20 janvier 1987 relatif au Conseil national des universités pour les disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques. 2019-1107, oct. 30, 2019.