Motivation de quoi parle-t-on ? - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Ressources Humaines

Dossier

Cécile Debray  

Dans ces temps troublés par une crise sanitaire qui s'installe, les mots d'épuisement psychique, de perte de sens, de fatigue, de gestion de l'incertitude remettent en avant le concept de motivation. Peut-on favoriser, entretenir, susciter sa motivation et celles des autres, notamment d'équipes au travail ?

Selon le dictionnaire Larousse, la motivation est ce qui met en mouvement, explique, justifie une action quelconque. Issue des termes latins motus (mouvoir) et motio (mouvement), la motivation serait une force qui pousse à agir et penser d'une manière ou d'une autre. Formulé ainsi, on perçoit combien il devient utile de s'intéresser à ce concept pour comprendre les cognitions et comportements dans bien des champs de l'activité humaine : l'éducation, le travail, la santé, le sport...

Bien que les écrits de Platon en évoquant la notion de désir ou Kant, un des premiers à parler de motivation puissent laisser penser qu'il s'agit d'une notion ancienne souvent étudiée, il n'en est rien. En effet, il est à noter que cette notion ne se développe véritablement qu'au début du XXe siècle dans le contexte de division du travail qu'engendre le taylorisme puis le fordisme. Le lien entre motivation et implication, motivation et comportement y surgit avec force : peut-on susciter la motivation ? Peut-on l'entretenir ? En quoi les organisations du travail ou les techniques pédagogiques peuvent-elle générer de la motivation, c'est-à-dire de l'énergie pour produire, apprendre, créer ?

S'il existe une multitude de théories de la motivation (le chiffre de cent une a été évoqué !), posons dès à présent qu'aucune théorie ne permet complètement d'expliquer et donc de piloter ces comportements.

A chaque individu selon le moment, sa motivation.

La motivation serait donc individuelle, dépendante d'un contexte et d'un environnement et de ce fait, ni prédictible ni automatique.

La motivation est alors un processus psychologique qui cause le déclenchement, l'orientation et le maintien d'un comportement. Elle impliquerait un choix, un objectif et un sens.

Mais de quoi se nourrit ce processus psychologique ?

La réponse d'Abraham Maslow : satisfaire des besoins

Abraham Maslow (1943) élabore une théorie de la motivation basée sur la satisfaction des besoins. Sa théorie sera complétée en 1970 pour la deuxième édition de son ouvrage « Motivation and Personality » par la notion de hiérarchie des besoins.

Maslow met à jour cinq groupes de besoins fondamentaux qui seraient universels.

Hiérarchisés sous forme d'une pyramide, il faut satisfaire la base avant espérer pouvoir nourrir les étages plus élevés alors que ce sont ces niveaux supérieurs qui généreraient le plus de motivation.

Si cette théorie a eu le mérite d'identifier des facteurs différents comme source de motivation, elle est aujourd'hui remise en question. Beaucoup de recherches ont en effet démontré que plus on assouvit un besoin, plus on cherche à le satisfaire et que par ailleurs chacun d'entre nous, n'a pas le même niveau de satisfaction pour chaque besoin. N'est-il pas possible de nourrir un besoin supérieur en même temps qu'un échelon inférieur ?

La réponse de Frédérick Herzberg : satisfaire des besoins de satisfaction ou d'insatisfaction

Herzberg à travers sa théorie des deux facteurs ou théorie bi-factorielle de la motivation, va venir enrichir cette présentation de la motivation basée sur la satisfaction des besoins.

Pour lui, certains facteurs viennent nourrir une motivation intrinsèque, source de satisfaction et d'autres facteurs extrinsèques nourrissent une insatisfaction.

Ces deux pôles satisfaction et insatisfaction ne se réfèrent pas aux mêmes paramètres.

Ainsi les facteurs extrinsèques tels que les conditions de travail, les relations humaines, le mode de management sont sources d'insatisfaction si un niveau de base, variable selon les individus, n'est pas atteint. Pour autant si ce niveau est dépassé, il n'engendre pas une grande motivation supplémentaire.

Tel n'est pas le cas, pour le pôle satisfaction. Pour les facteurs intrinsèques que sont la reconnaissance, le niveau de responsabilité, l'autonomie, l'évolution professionnelle, ... plus ils sont satisfaits, plus la motivation augmente.

Ces facteurs intrinsèques ou valorisants et extrinsèques ou d'ambiance sont indépendants entre eux. Pour être motivé, il faut à la fois l'absence de facteurs insatisfaisants et la présence de facteurs satisfaisants.

Ainsi, le contraire de la satisfaction n'est pas l'insatisfaction mais l'absence de satisfaction. De même, le contraire de l'insatisfaction est l'absence d'insatisfaction.

L'intérêt de cette formulation c'est qu'il est possible d'être à la fois satisfait et insatisfait dans son travail.

L'application au contexte du management ouvre une lecture à la fois organisationnelle et collective mais aussi individuelle, centrée sur l'adéquation entre le périmètre d'un poste et les compétences d'une personne.

Cela rappelle la nécessité pour un responsable d'une équipe de piloter à la fois une dynamique collective et une dynamique individuelle : prendre soin du collectif et de chaque individu.

La réponse de Vroom : satisfaire des attentes

Vroom (1964) ne s'appuie pas sur la notion de besoins. Nous agissons dans un contexte. La motivation est le fruit de l'interaction entre une personne et son environnement. Agir induit de dépenser de l'énergie et il en découle une évaluation sur l'intérêt ou les bénéfices que cette action peut générer pour son auteur. De ce fait, la motivation va se graduer en fonction de la satisfaction des attentes.

Notre action va engendrer un résultat et c'est ce processus qui peut être source de motivation. Et cela à trois conditions :

• Tout d'abord la valence (valeur) que nous allons attribuer à notre action. Si je fais quelque chose, je peux en attendre un gain. Plus ce gain aura de valeur pour moi, plus je peux être motivé. Le gain peut être de nature matérielle ou pas, porteur de reconnaissance, de valorisation sociale ou personnelle.

• Ensuite, il faut que je valide « l'instrumentalité » de cette action, c'est-à-dire la réalité du gain. Que vais-je obtenir si je suis performant ? Est-ce que cela en vaut la peine ? L'objectif que je ou que l'on me fixe est-il réaliste ? Atteignable ? Vaut-il les efforts que je vais consentir ?

• En troisième lieu, ai-je confiance en moi pour réaliser cet objectif ou cette action ? Ai-je des chances de réussir ? Est-ce à ma portée ?

Ces trois facteurs VIE (Valence, Instrumentalité, Expectation) sont en totale corrélation. Si un des facteurs est nul, le résultat le sera aussi et il n'y a pas de motivation. Il faut donc travailler simultanément sur les trois axes. Cela ouvre incontestablement des axes d'action pour entretenir sa propre motivation mais aussi celle des membres de son équipe :

• L'axe du cadre du travail, de l'intérêt du poste, de la cohésion d'équipe,

• L'axe de la fixation d'objectifs réalistes et atteignables ainsi que le développement de comportement de collaboration et de coopération,

• L'axe enfin du développement des compétences professionnelles, de la valorisation des compétences et de l'accompagnement des professionnels sur le terrain mais aussi de la confiance en soi et de son affirmation.

La limite de ce modèle est que ce triptyque VIE est totalement variable d'une personne à l'autre et peut même varier pour un même individu selon le moment de sa pondération. Une personne peut trouver très couteuse la réalisation d'une tâche alors qu'une autre la trouvera intéressante. Elle peut aussi accepter avec plaisir et satisfaction de la réaliser à un moment pour la trouver rebutante, sans saveur ou répétitive à un autre moment. Cela rend l'anticipation du résultat très aléatoire même si cela conduit au renforcement d'un cadre organisationnel connu et responsabilisant.

La réponse de Deci et Ryan : la théorie de l'autodétermination

La théorie de l'autodétermination a été présentée en 2002. C'est à l'heure actuelle une des présentations théoriques de la motivation jugée la plus opérationnelle.

Selon cette approche, différents types de motivation peuvent être repérés et classés en fonction de leur degré d'autodétermination (Deci & Ryan, 2000).

Une motivation est dite « autodéterminée » quand l'activité est réalisée spontanément et par choix. À l'inverse, la motivation est « non autodéterminée » quand l'individu réalise une activité pour répondre à une pression externe ou interne, et qu'il cesse toute implication dès que celle-ci diminue.

Nous aurions donc une motivation :

• Quand nous choisissons de faire une tâche ou une activité pour des raisons intrinsèques à celle-ci, que ce soit pour le plaisir que nous ressentons en la pratiquant, pour le sentiment de maîtrise ou d'accomplissement que nous en retirons ou pour la satisfaction d'apprendre quelque chose de nouveau.

• Quand nous acceptons une activité parce qu'elle est cohérente avec nos valeurs et besoins (motivation extrinsèque intégrée) ;

• Quand nous pensons que ces tâches sont importantes pour atteindre des buts personnels (motivation extrinsèque identifiée).

A l'inverse, la motivation devient non-autodéterminée :

• Lorsque nous concédons de faire des activités en lien avec des pressions internes comme la culpabilité (régulation introjectée) ;

• Lorsque nous nous engageons dans une activité avec un sentiment de contrainte, d'obligation pour obtenir par exemple des récompenses ou des contraintes matérielles et sociales (régulation externe) ;

• Et enfin lorsque nous ne percevons aucun lien ou sens à notre action et les résultats qui pourraient en découler, nous sommes dans un contexte d'a-motivation.

La motivation intrinsèque représente le niveau le plus autodéterminé, alors que l'a-motivation est la forme la moins autodéterminée. Les régulations « intégrée », « identifiée », « introjectée », et « externe » se situent entre ces deux extrêmes (Ryan & Deci, 2000 ; Vallerand, 1997), la régulation identifiée représentant le « seuil » de l'autodétermination.

Alors qu'apporte ce niveau d'autodétermination ? Pour ses auteurs, les différents types de motivation ont des conséquences cognitives, affectives et comportementales spécifiques.

Plusieurs études dans des contextes différents (professionnels et scolaires notamment) ont montré que les formes de motivation les plus autodéterminées étaient associées à des conséquences positives (créativité, détermination, persévérance, attention, plaisir, performances élevées), alors que les formes les moins autodéterminées avaient des conséquences négatives (perte de vigilance, manque de suivi, abandon précoce, faibles performances).

Comment favoriser alors l'autodétermination notamment dans les organisations de travail ?

La théorie apporte des réponses à cette question en octroyant aux facteurs sociaux une influence considérable.

En effet, selon cette théorie, les facteurs sociaux seraient à même de faciliter une motivation autodéterminée (ou non autodéterminée) en nourrissant ou au contraire entravant l'expression de trois besoins psychologiques fondamentaux :

• les besoins de compétence : le désir d'interagir efficacement avec l'environnement,

• les besoins d'autonomie : le désir d'être à l'origine de son propre comportement,

• les besoins de proximité sociale : le désir d'être connecté socialement avec des personnes qui nous sont significatives.

Tout environnement social qui permettrait la satisfaction de ces trois besoins, catalyserait en retour une motivation autodéterminée. Par contraste, tout environnement social qui entraverait l'expression de ces trois besoins, augmenterait la probabilité d'apparition d'une motivation non-autodéterminée.

A noter que cette approche s'avère opérationnelle dans beaucoup d'environnements autres que celui du monde du travail. Qu'il s'agisse du monde scolaire et de formation d'adulte ou par exemple, celui de l'éducation thérapeutique avec un accompagnement pour une responsabilisation du patient pour un suivi durable et accepté de son traitement.

Conclusion

Ce rapide tour d'horizon des principales théories de la motivation souligne combien ces théories ne sont pas indépendantes des contextes organisationnels et des relations sociales des périodes où elles ont été élaborées.

Dans le contexte actuel, où les valeurs de sens du travail, de réalisation personnelle, d'épanouissement professionnel, de coopération et peut être demain de résilience et de préservation des équipes sont régulièrement mises en avant, cela revient à mettre l'accent sur l'importance d'une approche systémique de la motivation.

Indéniablement ce que montre toutes ces théories c'est à la fois le poids de la trajectoire unique de chacun, l'interaction constante entre l'individu et son environnement ainsi que la prise en compte indispensable du vécu de chacun et notamment sa perception de sa place dans l'organisation et dans le groupe.

Cela ne fait qu'amplifier l'importance d'apporter des outils à tous pour comprendre son rôle en tant qu'acteur d'un système complexe, parfois valorisant, parfois broyeur d'énergie afin de redonner à chacun les marges de manœuvre et de compréhension nécessaire à la création d'énergie.

POUR ALLER PLUS LOIN

    (1) xxx