« Accompagner le manager à devenir facilitateur » - Objectif Soins & Management n° 280 du 01/04/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 280 du 01/04/2021

 

Sur le terrain

Dossier

Nadia Guiny  

Executive coach d'organisation, facilitatrice en intelligence collective, auteure et conférencière, Nadia Guiny dirige le cabinet Eyllance. Dans son dernier ouvrage, L'Entreprise Papillon, aux Éditions Management et Société, elle décrit la transformation d'une entreprise d'auxiliaires de vie en entreprise libérée, autrement appelée entreprise papillon. Et si la transformation du rôle des managers et la prise d'autonomie des collaborateurs au sein des équipes était la clé pour retrouver sens au travail dans le domaine du soin ?

Votre ouvrage, « L'Entreprise Papillon », porte sur une société de services à la personne qui emploie des auxiliaires de vie. Ce métier, réputé pour sa pénibilité, souffre d'un déficit d'image. Quels sont les enjeux du management pour parvenir à réduire l'absentéisme et rendre le métier attractif ?

Dans ce secteur, le turn-over est important. Il s'agit d'un métier en tension en raison de la faiblesse des salaires, de la pénibilité du travail, de la forte amplitude horaire, etc. L'enjeu pour l'employeur est de proposer un projet innovant porteur de sens pour permettre au personnel d'exercer dans des conditions de travail inédites. Le parcours de la société Autonhome décrit dans mon livre (elle s'appelait alors Adhap Services Rouen), en est l'illustration. Son dirigeant a proposé aux salariés de devenir véritablement acteurs de leur vie professionnelle et de mieux équilibrer vie professionnelle et personnelle, notamment en leur donnant la capacité de décider, en équipe, du planning de l'équipe (et non pas de laisser cette responsabilité au supérieur hiérarchique), de leurs congés, de leurs remplacements... Le principe de l'entreprise libérée, ou entreprise papillon, est de créer des équipes autonomes et responsables.

Attention, cela ne se décrète pas : les personnes sont en général conditionnées par le fait que le chef décide, la liberté peut faire peur à certains, pour d'autres elle fait briller les yeux. Il est donc très important d'accompagner la transformation car celle-ci n'est pas uniquement organisationnelle ; elle est aussi et avant tout culturelle. En effet, l'autonomie a toujours un corollaire indissociable : la responsabilité. Cela implique d'avoir un cadre très clair. Chez Autonhome, par exemple, trois règles simples sous-tendent l'ensemble du fonctionnement :

• L'intérêt du bénéficiaire doit passer en premier,

• Ensuite l'équipe a tout pouvoir pour prendre une décision afin d'exercer au mieux son métier à partir du moment où elle respecte son équilibre économique (elle sait chaque mois combien elle a rapporté et combien elle a coûté),

• Enfin l'équipe doit respecter la loi et la convention collective du secteur des soins à domicile.

Avec ce type de modèle, on change complètement de paradigme : ce n'est plus le haut de la pyramide qui décide pour le bas. Les encadrants se mettent au service des acteurs de terrain pour leur faciliter la tâche. On passe d'une approche hiérarchique verticale à un modèle plus concentrique qui délègue le pouvoir par subsidiarité. C'est un modèle fondé sur la confiance et la transparence.

D'une manière générale, quels sont les comportements propices à l'engagement des collaborateurs ? Qu'est-ce qui peut aider à donner du sens à leur travail ?

Parfois, les salariés sont en souffrance car ils considèrent que ce qu'on leur demande de faire va à l'encontre du bon sens, de leur connaissance du métier ou de leurs valeurs. À l'inverse, l'autodétermination – c'est-à-dire la capacité à décider et à agir conformément aux besoins de l'équipe pour le bénéfice du client – constitue un puissant facteur de motivation et donc d'engagement. Cela donne du sens au travail, notamment dans les professions de soin qui relèvent souvent d'une vocation forte ! À travers la confiance qu'il témoigne à ses collaborateurs, l'employeur leur adresse un formidable signe de reconnaissance !

L'entreprise papillon serait donc une réponse aux difficultés que rencontrent les entreprises dans le domaine des soins ?

L'approche de l'entreprise papillon est fondée sur une vision humaniste où les bénéficiaires (clients ou usagers) et les collaborateurs sont au centre des préoccupations. Ce sont eux qui motivent les décisions et non plus l'actionnaire, les process déconnectés de la réalité ou les seuls indicateurs financiers. Il est intéressant de noter que pendant le premier confinement, les organisations inspirées de l'entreprise libérée dans le domaine des soins à domicile s'en sont mieux sorties que les autres car les personnes sur le terrain ont su rapidement faire preuve d'agilité, elles ont immédiatement été force de proposition et novatrices car cette faculté d'innover et de prendre des initiatives était déjà dans leur ADN. Dans les Ehpad et à l'hôpital, la crise de la Covid-19 a également mis en lumière à quel point, dans l'urgence, quand les process habituels ne sont plus prioritaires mais que le bon sens prend le dessus, les personnels sont capables de développer des trésors d'ingéniosité incroyables. Cela montre à quel point il faut arrêter d'imposer des choses déconnectées du besoin réel, qui peuvent être sources de frustration et de burn-out de nombreux personnels de santé, et revenir au principal : ce qui compte c'est le service rendu... par du personnel épanoui et en bonne santé !

Antoine, le chef d'entreprise « héros » de votre ouvrage, découvre le modèle de transformation d'entreprise de Buurtzorg. Comment ce modèle permet-il de repenser ? l'organisation des soins ?

Ce modèle, créé par un infirmier néerlandais en 2006, est en effet révolutionnaire. Excédé par la situation – hyper-rationalisation des soins, diminution du temps dédié au soin, démarche commerciale avec incitation de vente de produits aux bénéficiaires, hyperspécialisation, contrôles permanents... – il a mis en place le système Buurtzorg qui met la relation humaine au cœur de la relation de soins. Par exemple, l'infirmier va s'appuyer sur l'entourage du patient pour le rendre plus autonome plutôt que d'essayer de vendre des prestations complémentaires. Au final, les bénéficiaires sont ravis car la qualité de leur vie sociale s'en trouve renforcée. Cette façon de remplir leur mission donne plus de sens au travail des infirmiers, qui se recentrent sur leur cœur de métier.

En outre, cela se révèle bien moins coûteux pour le système de santé néerlandais. En 12 ans, Buurtzorg est passé de 10 infirmiers à 14 000, répartis en 1 200 équipes autonomes. Cela correspond aux deux tiers des effectifs infirmiers des Pays-Bas ! Ce modèle est très attractif pour toutes les parties prenantes. C'est pour cela qu'il s'exporte dans d'autres pays et qu'il commence à faire des émules dans le secteur privé des soins à domicile en France. Malheureusement, il ne semble pas encore avoir trouvé d'écho dans le secteur public. Quand on voit que rien n'a changé à l'hôpital depuis le premier confinement, avec un système à bout de souffle et du personnel en souffrance, cela pose question...

Que devient le rôle du manager dans ce type d'organisation où l'on place l'empowerment et l'autonomie des infirmiers au cœur de la réussite ?

L'encadrant n'a plus pour mission de dire aux équipes ce qu'elles doivent faire ou ne pas faire. Il devient un facilitateur, c'est-à-dire qu'il se met au service des équipes pour les aider à fonctionner de manière autonome. Son rôle reste fondamental mais change de nature : il permet aux collaborateurs de se mettre d'accord pour parvenir à travailler ensemble, il se place en observateur pour faire des retours sur la manière dont les équipes se parlent, prennent des décisions, afin de s'assurer que chacun est bien entendu. Le manager n'est plus centré sur le « quoi » mais sur le « comment ». Avec cette nouvelle posture, le cadre endosse donc un rôle plus humain qui s'apparente à un rôle de coach pour aider les équipes à monter en puissance et en compétence relationnelle.

Pour les managers, il est fondamental de comprendre ce qui nourrit la motivation au travail des personnels de leur équipe, ou le manque de motivation. Doivent-ils en discuter ouvertement avec les équipes ? Est-ce que le rôle de facilitateur plutôt que de « superviseur » facilite la compréhension de ce qui anime les collaborateurs ?

Le manager superviseur prend ce qu'on appelle une posture haute (il incarne celui qui sait ou croit savoir et celui qui décide pour les autres). À l'inverse, le manager facilitateur occupe une posture basse (sa valeur ajoutée n'est plus dans le savoir mais dans le soutien aux opérationnels qui agissent sur le terrain). Ce dernier est par définition à l'écoute des collaborateurs et disponible pour les aider à se parler, à décider et à agir en équipe. Cette posture humble du facilitateur n'est pas naturelle et peut déconcerter. Elle implique un vrai changement identitaire du cadre et doit à ce titre, être accompagnée dans son acquisition. Je décris ce processus progressif dans l'Entreprise papillon. Cela passe par une remise en question de ses croyances limitantes, de son rapport au pouvoir, mais aussi par un travail personnel pour développer son potentiel. C'est une remise en question qui fait grandir !

Pour ce qui concerne la motivation, je suis convaincue qu'on ne motive pas de l'extérieur. En revanche, on peut créer les conditions qui génèrent la motivation. Un bon moyen consiste à arrêter de prendre des décisions d'en haut et de les imposer sans concertation ni explication. Plus on associe les professionnels de terrain à la réflexion et la prise de décision pour des choses les concernant, plus ils vont se sentir pris en compte, considérés, et plus ils vont s'investir. Mieux encore, dans les équipes autonomes, on demande aux équipiers de prendre eux-mêmes, et collectivement, les décisions qui leur paraissent les plus appropriées pour rendre le meilleur service possible. C'est une responsabilité mais c'est aussi très motivant. Cela peut paraître utopique, mais ça fonctionne déjà, là où il y a des dirigeants qui ont décidé de changer les choses.

Point de vue d'Antoine Blondel, dirigeant de Autonhome

« Les activités médico-sociales sont profondément humaines et complexes, justement parce qu'elles comportent de nombreuses interactions humaines. Croire que la pyramide hiérarchique peut gérer la complexité est un leurre : seuls les gens qui font savent. Le monde de la santé est fortement paralysé parce que nous sommes pilotés par des personnels administratifs qui ne sont pas sur le terrain. Ils pensent savoir et, pire, disent aux gens de terrain ce qu'ils doivent faire. Cela renvoie une image très dégradante aux auxiliaires de vie, aux aides-soignants et aux infirmiers qui sont sur le terrain. Cela les infantilise, leur renvoie l'idée qu'ils n'ont pas de cerveau, ce qui est source de burn-out ! Il est temps de changer de paradigme en mettant en place de nouveaux modèles de fonctionnement tel celui de Buurtzorg. Partager la vision commune, partager la richesse, faire confiance aux collaborateurs sont selon moi les trois piliers essentiels pour redonner du sens au travail tout en permettant à l'organisation de bien fonctionner. »