INTERSEXUATION : COMPRENDRE LE TERME ET LES ENJEUX - Ma revue n° 012 du 01/09/2021 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 012 du 01/09/2021

 

JE ME FORME

SCIENCES HUMAINES

Léa Thibault  

faisant fonction d’interne en psychiatrie, master d’éthique en santé, lea.thibault.lt@gmail.com

Depuis le début des années 2000, nombre de voix s’élèvent contre les pratiques médicales normatives effectuées sur de jeunes enfants intersexes, sans leur consentement. Qu’est-ce que l’intersexuation ? Quels sont les enjeux ? Que faire devant une personne intersexe et les parents à l’annonce de la variation ?

DÉFINITION DE L’INTERSEXUATION

Selon le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « on qualifie d’intersexes les personnes qui, compte tenu de leur sexe chromosomique, gonadique ou anatomique, n’entrent pas dans la classification établie par les normes médicales des corps dits masculins et féminins. Ces spécificités se manifestent, par exemple, au niveau des caractéristiques sexuelles secondaires comme la masse musculaire, la pilosité, la stature, ou des caractéristiques sexuelles primaires telles que les organes génitaux internes et externes et/ou la structure chromosomique et hormonale(1) ».

Ces variations du développement sexuel, que l’on imagine plutôt rares, concernent pourtant une part non négligeable de la population. Certaines estimations évaluent même la proportion de naissances d’enfants intersexes à environ 1,7 %, soit presque autant que le pourcentage d’enfants roux(2).

DÉFINITIONS MÉDICALES

Dans la culture populaire, comme dans l’ancien vocabulaire médical, les termes d’hermaphrodisme ou de pseudohermaphrodisme désignent bien des exemples d’intersexuation. L’ancienne terminologie médicale décrivait l’hermaphrodisme vrai par la présence de tissu testiculaire et de tissu ovarien, et le pseudohermaphrodisme par des caractéristiques sexuelles à la fois masculines et féminines mais avec un seul type de gonade. L’hermaphrodisme est aujourd’hui une dénomination vieillie véhiculant une connotation de « bête de foire », de créature mythologique fantasmée bisexuée, qu’il convient de ne pas utiliser.

Les diverses variations de l’intersexuation sont aujourd’hui décrites dans la communauté médicale comme des « désordres du développement sexuel » (DSD), « troubles » ou « anomalies du développement sexuel ». Des termes qualifiés de pathologisants par les principales associations intersexes, et qui ont été listés et classifiés en 2005 lors d’une conférence de consensus(3).

Chez les personnes XX génétiquement femelles, l’intersexuation résulte majoritairement de la dysgénésie des ovaires ou d’excès d’androgènes. Ces excès d’hormones masculinisantes peuvent être dus à une hyperplasie congénitale des surrénales, à un déficit enzymatique au niveau fœto-placentaire ou à une tumeur maternelle. Ils pourront, par exemple, provoquer une hypertrophie du clitoris, un défaut d’ouverture du vagin sur le périnée, une atrésie vaginale, des grandes lèvres ayant un aspect de bourses, un hirsutisme apparaissant à la puberté et des troubles de la fertilité.

Chez les personnes XY génétiquement mâles, on retrouve également schématiquement des dysgénésies gonadiques (troubles du développement testiculaire) ainsi que des troubles hormonaux. Il s’agit ici d’un défaut de synthèse ou d’une insensibilité aux androgènes chez le fœtus. Cela pourra entraîner un défaut de descente des testicules dans les bourses, des cas d’hypospades, de micropénis, une gynécomastie persistante chez l’adolescent ou l’adulte jeune, des troubles de la fertilité. Dans certains cas, privé de l’action des androgènes, le corps génétiquement masculin se développe en un phénotype très féminin avec un développement mammaire et des organes génitaux externes d’aspect féminin, mais avec une absence d’utérus et un développement incomplet du vagin. L’intersexuation peut alors passer inaperçue dans un premier temps, avant de se manifester sous la forme d’une hernie « de l’ovaire », ou être découverte à l’occasion d’une virilisation pubertaire chez une jeune fille, ou encore d’examens motivés par une aménorrhée primaire.

L’intersexuation comprend également les syndromes de Turner (45, X) et Klinefelter (47, XXY), des mosaïques génétiques qui entraîneront au niveau gonadique des ovotestis ou des mélanges dysgénésiques, et des variations anatomiques des organes génitaux sans support hormonal telles des aphallies, exstrophies vésicales.

NORMES SEXUÉES

L’intersexuation n’est pas une « troisième catégorie » uniforme. Chaque personne intersexe a une variation du développement sexuel, que l’on peut classer dans les cadres nosologiques décrits précédemment. Ces variations s’inscrivent dans un corps singulier et dans des contextes familiaux, sociaux et culturels uniques. Il paraît donc impossible de généraliser, tant sur les procédures médicochirurgicales à appliquer que sur le vécu intime de la variation et de son impact sur l’image corporelle, sur le vécu de la prise en charge et ses conséquences physiques et psychiques, sur le vécu familial, scolaire, social, etc.

Malgré la diversité des situations, les personnes intersexes ont toutes en commun de vivre l’écart à la norme sexuée binaire. Tout comme il y a des normes de genre désormais largement dénoncées, par les mouvements féministes entre autres, l’intersexuation révèle l’existence de normes sexuées génitales, mammaires et pileuses, voire hormonales dans le milieu sportif. Des normes qui témoignent de nos conceptions culturelles et personnelles du corps de l’homme et de la femme, excluant les possibles variations de l’intersexuation, pourtant naturelles. On attendra notamment d’un homme qu’il ait un pénis d’une certaine taille, qu’il puisse uriner debout, qu’il puisse pénétrer, qu’il soit fertile. À l’inverse, on exigera d’une fille, puis d’une femme, qu’elle n’ait pas un clitoris jugé trop proéminent, ni une trop forte pilosité, qu’elle soit pénétrable, fertile, etc. Ces conventions différentes, voire solidement cloisonnées et opposées pour chaque sexe, se projettent sur le corps dissemblable de ces enfants par le regard des médecins, des soignants et de l’entourage. Les parents peuvent alors éprouver des difficultés à accepter leur enfant dans son unicité, et à plus forte raison lorsque celle-ci est présentée comme une anomalie pathologique.

DES INTERVENTIONS NORMALISATRICES TRAUMATISANTES

Ainsi, lorsque ces variations sont détectées in utero, à la naissance ou plus tardivement, la personne intersexe est souvent considérée et qualifiée d’anormale. Les nourrissons sont exposés à une prise en charge médicochirurgicale parfois décrite comme maltraitante et illégale, aujourd’hui fortement remise en cause. Durant la seconde moitié du XXe siècle, le corps médical affirmait aux parents que la variation était pathologique, voire qu’il s’agissait d’une monstruosité unique et isolée qu’il fallait corriger, cacher et taire, parfois jusqu’à l’enfant lui-même. Désormais, le terme revendiqué d’intersexuation et les associations permettent de faire émerger et libérer de la parole sur le vécu de l’intersexuation et les pratiques médicales.

Actrices majeures du débat sur la prise en charge, les associations comme l’Organisation internationale des intersexués (OII) et, en France, le Collectif intersexes et allié.e.s (CIA) se sont créées à partir des années 2000 en réaction à une prise en charge interventionniste systématique normalisatrice des enfants intersexes. Des témoignages poignants (lire l’encadré ci-dessus) décrivent, durant l’enfance et l’adolescence, des chirurgies répétées des organes génitaux, de longues hospitalisations entraînant un absentéisme et des difficultés scolaires, des examens gynécologiques et autres manipulations des organes génitaux vécus dans la douleur, la détresse et l’humiliation. Les dilatations vaginales sont un exemple fort d’actes considérés comme maltraitants, voire qualifiés de viols quand pratiqués sur des enfants qui ne sont pas en âge de consentir(4). Elles consistent à insérer, dans le vagin, des doigts, des bougies chirurgicales ou des godemichés – lorsque les parents ou l’adolescent sont mis à contribution – de taille croissante dans le but d’allonger et d’élargir le vagin et/ou d’entretenir la cavité construite chirurgicalement chez l’enfant pour permettre la pénétration pénienne. Effectués jusqu’à une fréquence hebdomadaire par les médecins ou les parents, ils constituent probablement l’un des gestes les plus douloureux et traumatisants décrits.

En résultent parfois, tout au long de l’existence, des douleurs physiques à la miction et lors des rapports sexuels, des infections génitales récurrentes, des cicatrices fragiles provoquant des saignements, des défauts de sensibilité des organes génitaux, parfois l’impossibilité d’avoir des rapports sexuels. Sur le plan psychosocial, on retrouve des difficultés socio-économiques, une image corporelle fortement perturbée, des troubles anxieux et/ou dépressifs, des conduites à risque, des addictions, des troubles relationnels, etc.(5)

S’opposant frontalement au corps médical, la communauté associative française milite donc « pour l’arrêt des mutilations des enfants intersexes(6) ». Elle dénonce une approche médicale datant des années 1950 et l’utilisation des termes « troubles », « anomalies », « désordres », qu’elle qualifie de pathologisants. Le CIA affirme qu’« il n’y a aucune urgence à agir médicalement sur un corps sain d’enfant. Il n’est pas du ressort du corps médical ou des parents de décider d’attenter à l’intégrité physique d’un mineur sans nécessité vitale(6). » Pour le milieu associatif, maintenant soutenu par un nombre croissant de médecins et d’instances de défense des droits de l’homme (voir Autres sources dans Références p. 40), il faut attendre que l’enfant puisse décider lui-même s’il souhaite avoir recours à des actes médicaux pour modifier son corps.

DES PRATIQUES NON RÉVOLUES

Déclarées moins systématiques et radicales que par le passé, les prises en charge font toutefois toujours l’objet de fortes critiques de la part des associations. Notons qu’il existe encore un manque de transparence du côté des centres de référence concernant leurs actes(7). Dans les recommandations de 2011 concernant la prise en charge de l’hyperplasie congénitale des surrénales publiées par la Haute Autorité de santé, on peut lire que « les chirurgiens français opèrent les petites filles […] le plus souvent dans les premiers mois de vie » et qu’« à la puberté », soit vers 10 à 13 ans, « il peut être nécessaire, en cas de sténose de l’introitus, de réaliser un nouveau geste chirurgical ou des dilatations vaginales ». Les actes médicaux de conformation sexuée précoces non consentis par l’enfant semblent toujours effectués dans certains centres de référence tout comme dans certains hôpitaux français, hors centres. En 2018, des partisans de cette prise en charge pratiquant dans les centres de référence ont exposé les principaux objectifs de ces actes, à savoir : « réduire le risque de stigmatisation liée à l’anatomie atypique », « permettre des rapports sexuels de pénétration », « favoriser le développement d’identités “personnelles” et “sociales” en fournissant une anatomie qui concorde avec l’identité de genre » et « répondre aux souhaits des parents pour leur enfant »(8).

Toutefois, selon les témoignages, il semble que les actes médicaux non consentis ne font pas entrer dans la norme les personnes intersexes, comme si la variation n’avait jamais existé. Majorant l’idée de difformité honteuse, ces actes renforcent le vécu délétère du stigmate de l’altérité et, comme vu précédemment, y ajoutent parfois de grandes difficultés physiques cicatricielles et psychologiques post-traumatiques(9).

Si le sujet de la prise en charge de l’intersexuation a récemment fait l’objet d’un avis du Comité consultatif national d’éthique(10) et a été abordé lors de la précédente révision des lois de bioéthique, aucune mesure suffisamment ferme satisfaisant les attentes des associations et instances évoquées n’a été prise.

QUESTIONNEMENT ÉTHIQUE

Le consentement de la personne, et donc l’ultraprécocité de la prise en charge, fait le cœur du débat. Arguant que les tissus sont plus malléables les premières années et qu’effectuer les chirurgies le plus tôt possible évite à l’enfant de s’en souvenir, de nombreux chirurgiens prônent aujourd’hui encore une prise en charge précoce, sans attendre le consentement ou la demande de l’enfant(8, 11).

Faut-il alors pratiquer à répétition des vaginoplasties suivies de dilatations vaginales sur des fillettes qui n’ont ni le besoin, ni l’envie d’être pénétrables, alors que ces actes sont réalisables ultérieurement ? Est-il acceptable de réduire la taille du clitoris d’un nourrisson, lui faisant ainsi perdre en sensibilité ? Faut-il systématiquement précocement augmenter de taille les micropénis et opérer les hypospadias pourtant fonctionnels ? Autrement dit, compte tenu de tous les risques biopsychosociaux que cela implique, est-il acceptable de pratiquer de la chirurgie esthétique sur les organes génitaux des enfants sans leur consentement ? Plutôt que de « répondre aux souhaits des parents », ne faudrait-il pas plutôt les accompagner à accueillir l’unicité de leur enfant qui pourra choisir par et pour lui-même ?

Ce sont à toutes ces questions qu’il faut appliquer un raisonnement éthique. Outre le principe de non-malfaisance, celui d’autonomie de la personne est tout aussi central. S’il ne s’applique instantanément chez le nourrisson, on peut estimer qu’à la perspective des lourdes conséquences, le respect du principe d’autonomie chez l’enfant imposerait l’attente. Il serait ainsi préférable de patienter pour laisser le choix à la personne dans une vraie démarche de décision médicale partagée, ou du moins de ne pas laisser les chirurgiens et les parents seuls décisionnaires en soumettant les demandes d’actes à des comités pluridisciplinaires.

L’interventionnisme systématique normatif traditionnel ne fait désormais plus l’unanimité dans la communauté médicale et semble perdre en partisans au profit d’une prise en charge reposant sur l’accompagnement biopsychosocial personnalisé. Utiliser une terminologie et une approche médicale non pathologisantes, proposer systématiquement des suivis psychologiques et sociaux aux parents et aux personnes intersexes au sein des centres de référence, former les professionnels aux enjeux éthiques, obliger les centres de référence à émettre des rapports d’activité, conditionner légalement certains actes au consentement éclairé de l’enfant, former des comités composés de pédiatres, de chirurgiens, d’endocrinologues, de psychiatres, de psychologues, d’éthiciens et de juristes pour examiner les demandes d’actes, mais également sensibiliser la société civile sont autant de pistes d’amélioration qu’il conviendrait, aujourd’hui, d’explorer en urgence(4, 12).

RÉFÉRENCES

Notes

1. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « Droits de l’homme et personnes intersexes », 2015. En ligne sur : bit.ly/36doaiX

2. https://www.unfe.org/fr/ intersex-awareness/

3. Lee P. A., Houk C. P., Ahmed S. F. and al., “Consensus statement on management of intersex disorders. International Consensus Conference on Intersex”, Pediatrics, 2006 Aug;118 (2):e488-500.

4. Thibault L., « Prise en charge de l’intersexuation, problèmes éthiques et perspectives d’amélioration des pratiques actuelles en France », mémoire de master 1 Santé parcours éthique en santé, Université Caen Normandie, 2019. En ligne sur : bit.ly/2UkDSpX

5. Petit L., « De l’objet médical au sujet politique : récits de vies de personnes intersexes », mémoire de master 2 en sciences humaines et sociales, Université Paris 8 Vincennes-Saint Denis, 2018. En ligne sur : bit.ly/3hgKheT

6. Collectif intersexes et allié.e.s (CIA), septembre 2018. En ligne sur : bit.ly/3wf2jm5

7. Blondin M., Bouchoux C., « Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions », Rapport d’information n° 441 enregistré à la Présidence du Sénat, 23 février 2017. En ligne sur : bit.ly/3dNdxYo

8. Gorduza D. B., Quigley C. A., Caldamone A. A., Mouriquand P. D. E., “Surgery of anomalies of gonadal and genital development in the ’post-truth era”, Urologic Clinics of North America, 2018 Nov;45 (4):659-669.

9. CIA, « Les mutilations ne sont pas favorables à la santé mentale des enfants intersexes ! », Mediapart, 10 octobre 2019. En ligne sur : bit.ly/2STUpkq

10. Comité consultatif national d’éthique (CCNE), « Questions éthiques soulevées par la situation des personnes ayant des variations du développement sexuel », avis 132, septembre 2019. En ligne sur : bit.ly/3xylbxX

11. Collectif, « L’absence systématique d’intervention chirurgicale précoce aurait de graves conséquences », Le Monde, 4 juillet 2019. En ligne sur : bit.ly/3yG2W9Z

12. Thibault L., Boisgontier A., Charvin M. and al., « Prise en charge de l’intersexuation en France », La Revue du praticien, décembre 2020. En ligne sur : bit.ly/3hDDr22

Autres sources

• Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, CRC/C/FRA/CO/5, 23 février 2016. En ligne sur : bit.ly/3AzcDbW

• Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales concernant le rapport de la France valant septième et huitième rapports périodiques, CEDAW/C/FRA/CO/7-8, 25 juillet 2016. En ligne sur : bit.ly/3xkTbh9

• Comité contre la torture, Observations finales concernant le septième rapport périodique de la France, CAT/C/FRA/CO/7, 10 juin 2016. En ligne sur : bit.ly/3yr2VGv

• Human Rights Watch, « États-Unis : des opérations chirurgicales nocives pratiquées sur des enfants intersexués », 25 juillet 2017. En ligne sur : bit.ly/3wqN75u

• Amnesty International, « Cinq fausses idées sur les personnes intersexes », 31 octobre 2018. En ligne sur : bit.ly/36eLIUC

• Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Le droit des enfants à l’intégrité physique », résolution 1952, 1er octobre 2013. En ligne sur : bit.ly/3hGwBZw

• Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes », résolution 2191, 12 octobre 2017. En ligne sur : bit.ly/3hjvKPJ

• Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, « Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT », décembre 2016. En ligne sur : bit.ly/2SOVBp4

• Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux », 22 mai 2018. En ligne sur : bit.ly/3dJrMNN

• Conseil d’État, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », juin 2018. En ligne sur : bit.ly/3hlJ3ig

Intersexuation, transidentité, non-binarité : des confusions fréquentes

L’intersexuation concerne le corps, le sexe biologique de la personne. Elle est à différencier de la transidentité et de la non-binarité qui qualifient l’identité de genre, laquelle est psychosociale. La transidentité est le fait d’avoir une identité de genre différente du sexe assigné à la naissance. Elle concerne surtout des personnes n’ayant pas de variations du développement sexuel.

L’intersexuation n’est pas non plus synonyme de non-binarité. Une personne se décrivant non-binaire peut avoir un corps correspondant parfaitement aux normes sexuées mais se reconnaître psychiquement et socialement ni dans le genre masculin, ni dans le genre féminin. Une personne intersexe, quelles que soient sa variation biologique et sa prise en charge médicochirurgicale, peut se sentir pleinement fille ou garçon, homme ou femme, ou, au contraire, ne se reconnaître dans aucune des deux identités et donc se décrire comme « non-binaire » ou « gender fluid ».

De même, on préfère le terme d’« intersexuation » à l’ancien terme d’« intersexualité » pour ne pas porter à confusion avec l’orientation sexuelle de la personne. Un individu intersexe peut être hétérosexuel, homosexuel, bisexuel ou asexuel.

Témoignages

Les interventions normalisatrices systématiques des enfants intersexes laissent des traces physiques et psychologiques.

« Moi, j’étais à poil, sous la chemise en papier d’hôpital, j’avais froid, je pleurais. Ils regardaient la taille du vagin, fallait tout le temps l’entretenir pour que je sois pénétrable… jusqu’à ce que j’aie ma(1). »

« En m’examinant, ils se rendent compte que, en fait, la première opération n’a pas marche? parce qu’ils ont enlevé la mèche trop tôt […] et ils se rendent compte aussi qu’au passage, ils m’ont troué la vessie pendant l’opération […]. Du coup, ils me réopèrent, ils me recousent la vessie, ils me recréent un passage vaginal et je rereste à l’hôpital, genre 10 jours(2). »

« Je voulais plus aller voir les médecins, c’était un traumatisme, c’était hyperviolent et je le vivais super mal, j’y allais en chialant, je disais : “Non, je veux pas que le monsieur il touche…” […] Les pédiatres, à 10-11 ans, ils ont demandé à ma mère d’aller dans des sex-shops pour aller chercher des godes. […] On l’a jamais fait, elle pouvait pas. […] Les médecins disaient : “C’est hyperimportant pour son développement de femme.(2) »

« J’ai eu une montée d’angoisse et la pensée qui m’a apaisée ça a été : “Cette partie de moi qu’on m’a trafiquée, cet endroit qu’on m’a trafiqué, ça ne m’appartient pas.” À l’arrivée, je n’ai jamais accepté cette partie de mon anatomie, jamais. […] Cette zone, sexuelle on va dire, en ce qui me concerne, c’est une extraterritorialité. […] C’est un truc que la société m’a fait faire, mais qui ne m’appartient pas(2). »

1. Lorriaux A., « L’histoire de M., première personne intersexe au monde à porter plainte pour mutilations », Slate, 10 avril 2019. À lire sur : bit.ly/3xybobb

2. Petit L., op. cit.

EN PRATIQUE

→ S’informer et se renseigner en variant les sources : reportages(1), site internet du Collectif intersexe et allié.e.s, avis du CCNE, rapport sénatorial, publications médicales… (voir Autres sources dans Références p. 40).

→ En parler autour de soi : donner de la visibilité peut permettre de faire évoluer plus rapidement les pratiques et leur cadre légal, si nécessaire. De plus, la libération de la parole peut renseigner de futurs parents qui ne seront pas pris de court, comme cela peut être le cas devant la pression et le sentiment d’urgence parfois imposés par certaines équipes médicales.

→ Avec des parents ou une personne intersexe :

• Écouter les inquiétudes et les demandes, ne pas minimiser le vécu, ne pas insister si la personne ne souhaite pas en parler. Utiliser les termes non pathologisants d’« intersexuation », de « variations du développement sexuel », et éviter les notions d’« anomalie », d’« ambiguïté », d’« hermaphrodisme », de « désordre ».

• Rassurer : la variation n’est pas synonyme de pathologie. Il est parfois nécessaire d’intervenir lorsque le pronostic vital est en jeu, comme dans l’hyperplasie congénitale des surrénales avec « perte de sel » qui nécessite des traitements hormonaux pour la survie de l’enfant. Mais il est probable que l’équipe médicale propose précocement aux parents des actes non nécessaires.

• Orienter les personnes intersexes et les parents vers le Collectif intersexe et allié.e.s.

• Renseigner les parents sur l’existence de la brochure « Soutenir son enfant intersexe » proposée par l’Organisation internationale des intersexués (OII Europe) ou leur imprimer un exemplaire, ainsi que sur l’existence du réseau Parents d’enfants présentant une variation du développement sexuel ou intersexes (Pevi) : reseau.pevi@gmail.com

1. Entre deux sexes, de Régine Abadia (2017) ; N’être ni fille ni garçon (2017) et Intersexe : Vincent Guillot, l’écorché vif (2016), de Barbara Lohr.