LES RAVAGES DE L’ABSENTÉISME - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

CONDITIONS DE TRAVAIL

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À LA UNE

ADELINE FARGE  

Maladie ordinaire, congés longue durée, accident du travail… La fonction publique hospitalière affiche des tristes records en matière d’absentéisme. Si les conséquences sont lourdes pour les établissements, des pistes existent pour améliorer la qualité de vie au travail.

À l’hôpital, l’absentéisme est un cri d’alerte lancé par les agents », estime Frédéric Kletz, enseignant-chercheur à l’École des mines et co-auteur de L’absentéisme des personnels soignants à l’hôpital. Ce phénomène affecte de nombreux centres hospitaliers. Selon l’analyse de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) sur les bilans sociaux des établissements publics de santé 2013, le taux d’absentéisme était de 3,2 % pour le personnel médical et presque de 8 %(1) pour le personnel non médical, toutes causes confondues (maladie ordinaire, longue maladie et congés de longue durée, accident du travail, maladie professionnelle, congés parentalité). Au sein de l’hospitalisation privée, le taux d’absentéisme moyen des salariés en CDI était de 6,7 % en 2014(2). « Faute de méthodologie commune, les données sur l’absentéisme sont difficilement comparables entre elles. Mais, cette problématique semble plus toucher le milieu hospitalier. Les taux y sont plus élevés que dans le BTP,  l’industrie et les transports », constate Thierry Rousseau, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact).

Traduction de l’épuisement

Si le vieillissement et la féminisation du personnel (congés maternité) expliquent en partie ces chiffres, ce fléau serait symptomatique des maux dont souffre la fonction publique hospitalière (FPH). « L’absentéisme est un révélateur des dysfonctionnements organisationnels. Les agents ne s’absentent pas seulement pour des difficultés personnelles. Les arrêts de courte durée traduisent un épuisement et une souffrance au travail. Beaucoup veulent prendre de la distance face à un environnement professionnel qu’ils ne comprennent plus », justifie Frédéric Kletz.

L’institution connaît de profondes transformations ces dernières années : passage à la tarification à l’activité, basculement vers l’ambulatoire, diminution de la durée moyenne de séjour… Depuis l’instauration des 35 heures en 2002, les agents seraient confrontés à une intensification du temps de travail. « Face aux restrictions budgétaires, le personnel subit une dégradation des conditions de travail. Pour compenser le manque d’effectifs, ils courent sans cesse derrière l’activité. Ils n’ont plus le temps de rester au chevet des patients. Les agents ne se reconnaissent plus dans les valeurs de l’hôpital public », dénonce Didier Birig, secrétaire fédéral FO des personnels des services publics et des services de santé. Stress, burn-out, dépression, fatigue physique… Cette surcharge de travail peut affecter la santé du personnel soignant. En première ligne : les IDE, les AS et les ASH, qui sont aussi soumis à la pénibilité de leurs métiers (horaires atypiques, port de charges lourdes, contact avec des produits chimiques…) pouvant engendrer des maladies professionnelles comme des troubles musculo-squelettiques.

L’enfer des plannings

Pour les dirigeants d’hôpitaux en quête d’équilibre financier, la gestion des absences est au cœur des préoccupations. « Les conséquences économiques sont très nettes pour les hôpitaux. Si la personne ne vient pas, il faudra la remplacer par un contractuel, voire recourir à l’intérim, ce qui va générer des coûts importants. De plus, quand les agents sont moins nombreux dans les services, les établissements réalisent moins d’actes de soins et reportent certains projets », explique Annabelle Fadda, consultante RH au Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH). L’absentéisme est aussi un véritable casse-tête pour les cadres de santé, qui jonglent au quotidien avec les plannings pour assurer la continuité des soins. « Les cadres sont en souffrance face à l’absentéisme. Ils sont à la frontière entre les injonctions hiérarchiques, les restrictions financières et les absences des soignants. Celles de courtes durées annoncées juste avant la prise de poste déstabilisent l’organisation de travail et pèsent sur les autres membres du personnel. Il n’est pas toujours possible d’effectuer des remplacements du jour au lendemain », déplore Cécile Kanitzer, conseillère paramédicale à la Fédération hospitalière de France (FHF), qui regrette aussi la suppression du jour de carence en 2014(3) et le statut « trop » protecteur des fonctionnaires.

Effet boule de neige

Les rappels inopinés lors des repos et les reports de congés sont monnaie courante en période de disette. « L’absentéisme s’auto-alimente et crée une boucle d’épuisement. Pour limiter les rappels, certains établissements ont créé des pools de remplacement. Contrairement à l’intérim, les infirmières sont habituées au fonctionnement de l’hôpital et elles vont être performantes », assure Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC). D’autres leviers permettent aux établissements d’agir sur l’absentéisme : se doter d’outils de suivi en temps réel des absences pour faciliter les remplacements, élaborer des indicateurs statistiques pour concevoir des actions adaptées aux réalités du terrain, assurer une meilleure coordination entre les médecins et le personnel soignant. « La lutte contre l’absentéisme s’inscrit dans une démarche d’amélioration de la qualité de vie au travail. Si les agents sont épanouis dans leur fonction, ils seront plus impliqués dans leur service et seront donc moins absents », rappelle Matthieu Girier, vice-président de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess).

À l’écoute

Si cette prévention doit être menée de concert entre la direction, la médecine du travail, les cadres de santé, les syndicats et les RH, la priorité reste, selon Nathalie Pain, secrétaire fédérale à la CFDT santé-sociaux, d’associer les agents : « Dans des groupes de travail, les professionnels pourront s’exprimer sur les difficultés rencontrées dans leurs missions et le contenu de leur travail. Ils se sentiront soutenus et valorisés. »

Depuis 2014, le CH de Compiègne-Noyon (Oise) se mobilise sur le sujet en investissant dans du matériel ergonomique, en misant sur l’accueil des nouveaux arrivants et en édictant des règles de bonne conduite. « Les agents doivent prévenir leur cadre le plus rapidement possible par téléphone et anticiper leurs congés. L’objectif est de gagner en visibilité sur les plannings et de les responsabiliser face à l’organisation du travail », raconte Loïc Delastre, son DRH.

Entretien de retour avec le cadre, aménagement du poste de travail ou des horaires, reclassement sur des postes administratifs en cas d’inaptitude… Veiller à la bonne reprise du travail de l’agent et ménager un temps de réadaptation après un arrêt longue durée sont des étapes cruciales pour éviter des absences futures. « Les managers doivent être à l’écoute du personnel en difficulté et se soucier de leurs problèmes de santé, insiste Marc Taillade, DRH du CHU de Nîmes (Gard). Pendant plusieurs mois, nous pouvons placer les agents en sureffectif dans les services pour les aider à reprendre pied au travail. Si le retour est mal organisé, vous êtes sûr que la personne repartira rapidement en arrêt maladie. »

1 - Quotient du nombre d’heures d’absence/nombre d’heures de travail.

2 - D’après une étude de l’institut Alma Consulting Group, il s’élevait en 2014 à 4,59 % dans l’ensemble du secteur privé.

3 - En 2012, le jour de carence avait été instauré pour les agents de la fonction publique. Il a été supprimé le 1er janvier 2014. Les sénateurs ont tenté à plusieurs reprises, en vain, de le réintroduire.

PALMARÈS

Limoges, un bon élève

→ En février, la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap) a présenté un premier palmarès de l’absentéisme dans 30 CHU. Les CHU de Limoges (avec 21,35 jours toute cause en moyenne par agent), de Caen (21,69 jours) et de Nîmes (22,49 jours) figurent sur le podium des bons élèves. Les CHU de Lille (30,99 jours), de Rouen (30,94 jours) et d’Amiens (29,37 jours) font, eux, office de lanternes rouges.

→ Pour le dresser, ce think tank a analysé les bilans sociaux 2013. Premier constat : l’écart entre les taux d’absence du personnel médical et du personnel non médical. Pour la première catégorie, il est de 3,12 % (soit 11,38 jours) et pour la seconde, de 7,48 % (27,29 jours). Parmi ces absences, 20 % sont liées à la parentalité, 30 % à la longue maladie, maladie longue durée, accident du travail et maladie professionnelle et 50 % sont dues à une maladie ordinaire. Pour les limiter, la fondation préconise de « revenir sur la suppression du jour de carence (…), une mesure qui en un an avait permis de faire économiser près de 90 millions d’euros ».