ENTRE RISQUES ET OPPORTUNITÉS - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

BIG DATA

ACTUALITÉS

SANDRA MIGNOT  

Incarnation du Big Brother ou formidable outil de santé publique, l’analyse des données numériques de masse est porteuse de nombreux développements qu’il convient d’anticiper et de réguler.

L’Europe doit se dépêcher si nous ne voulons pas être soignés avec les algorithmes d’autres pays », a lancé Béatrice Falise-Mirat, déléguée générale de Medicen Paris Région, lors du colloque annuel TIC Santé, début février à Paris, consacré à l’apport du big data dans la qualité des soins. Le big data désigne ces données numériques collectées en masse au quotidien, et dont l’analyse est devenue une priorité de recherche et de développement. En matière de santé, ces données peuvent être produites par le système de soin lors d’une prise en charge - en médecine générale ou à l’hôpital - ou par le patient lui-même lorsqu’il utilise des objets connectés ou applications installées sur son smartphone, ou qu’il surfe sur Internet. « Par exemple, quand des patients présentant des troubles bipolaires vont bien, ils ont tendance à vouloir arrêter leur traitement, explique Manuel Gea, président du think tank Centrale santé. Mais ils mentent au médecin. Une analyse des données qu’ils produisent en allant sur le Net permet d’évaluer leur niveau d’anxiété, leur temps de réponse et de détecter une potentielle rechute. Il y a donc des données, qui ne sont apparemment pas de santé, mais qui ont une réelle valeur pour la santé. »

Mais beaucoup d’autres données peuvent également intéresser le secteur de la santé. Ainsi, l’enregistrement des variations météorologiques révèle l’influence du climat sur la distribution spatiale des épidémies et peut ainsi permettre d’adapter la répartition des équipes médicales. L’arrivée du big data dans le secteur de l’épidémiologie ouvre donc de nouveaux champs de recherche, jusqu’ici insoupçonnés.

Aide au diagnostic

Il faut néanmoins être vigilant sur la qualité et l’origine des données analysées. « Beaucoup de travaux portent actuellement sur des données qui n’ont pas été produites à des fins épidémiologiques, poursuit Manuel Gea. Il y a donc un biais de recrutement. » Les informations émanant de l’usage d’un téléphone portable n’ont pas été conçues à des fins diagnostiques. Pourtant, « leur analyse peut permettre de connaître votre humeur et de détecter un début de dépression », note Antoine Flahault, professeur de médecine et codirecteur du centre Virchow-Villermé. Par ailleurs, l’analyse de ces informations numériques ne révèle que des corrélations, pas une causalité. « Il faudra toujours le travail d’épidémiologistes pour apporter du sens aux données, ajoute le Dr Jean-François Thébaut, membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS). Et toujours revenir au traditionnel processus hypothético-déductif, qui fonde la recherche scientifique. »

Des recherches sont encore nécessaires avant de pouvoir profiter du plein potentiel du big data. Une autre question se pose quant à la qualité de la méthodologie d’analyse de ces données, à savoir la production d’algorithmes. « L’usage doit répondre aux attentes des usagers mais aussi à celles des professionnels de santé, précise Jérôme Béranger, expert en éthique du numérique et doctorant en sciences de la vie et de la santé. Ainsi, il ne faut pas, par exemple, craindre l’usage de l’informatique comme aide au diagnostic. Dès l’instant où l’usage des algorithmes est suffisamment régulé. » Le chercheur propose en effet une régulation pluridisciplinaire qui permettrait de réfléchir aux finalités et à la construction de chaque algorithme utilisé dans le domaine de la santé. Dans l’aide à la prescription, l’usage des données numériques apparaît également comme un autre enjeu majeur qui permet de faire diminuer drastiquement le nombre d’accidents médicamenteux. « Les algorithmes créent également des accidents, mais beaucoup moins que l’humain », a pointé Béatrice Falise-Mirat.

Enfin, tous les intervenants se sont accordés sur la nécessité d’un véritable débat citoyen sur l’accessibilité des données de santé et leur sécurisation, actuellement fortement protégées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). Que le médecin y ait accès oui, mais l’assureur ?