Idel en terre inconnue - L'Infirmière Magazine n° 311 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 311 du 01/02/2015

 

Installation

Dossier

GÉRALDINE LANGLOIS  

S’installer, ou se réinstaller, c’est surtout s’implanter,choisir un lieu pour poser sa plaque et devenir un maillonde l’offre de soins locale. Pour trouver sa place dans un lieu nouveau, voire inconnu, on peut choisir d’improviser, au prix d’une perte de temps et au risque de difficultés, ou bien s’inspirer de l’expérience d’infirmières déjà installées…ou qui ont vu arriver des nouvelles.

On ne s’installe pas au hasard dans un secteur ou un autre. On choisit un lieu d’exercice en fonction de l’activité qu’il génère. « Certaines infirmières s’installent où elles habitent, d’autres préfèrent travailler là où on ne les connaît pas, constate Muriel Caronne, infirmière libérale depuis trente ans et auteure du Guide de l’infirmière libérale*. Surtout, il faut vérifier notamment avec l’outil CartoSanté (lire l’encadré p. 26) si la demande de soins est suffisante pour pouvoir en vivre. » Connaître des habitants parce qu’on est “du coin” ne suffit pas, insiste Claudine Gillant, présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS)-infirmiers de Lorraine. « Avec une injection à 3,15 euros, les relations personnelles ne suffisent pas pour vivre… », illustre-t-elle.

CHOISIR LE LIEU

Julien, 36 ans, connaissait la ville francilienne où il s’est installé il y a un an parce qu’il y travaillait déjà depuis plusieurs années. Non contraint par une clause de non-concurrence, il a pu y poser sa plaque. « Partir, c’était devoir tout recommencer à zéro, raconte-t-il, alors qu’ici, je connaissais déjà les médecins, les pharmaciens… En revanche, je suis parti sans patient. » Il a en effet développé son activité sur un tout autre secteur de la ville.

Karine, 41 ans, a eu la chance de trouver dans la petite ville de Lorraine où elle a déménagé un remplacement qui a débouché sur une collaboration au bout de deux ans. Quant à Alexandra, 37 ans, elle a tâté le terrain quand elle en a eu assez d’attendre la concrétisation d’une promesse d’association. « J’ai pris contact avec une infirmière que je connaissais dans cette ville et elle m’a dit qu’elle était débordée, explique-t-elle. Elle m’a également mise en relation avec une autre infirmière qui était aussi intéressée par le secteur. » Le courant est passé entre elles et elles ont choisi de s’installer ensemble. Beaucoup préconisent de commencer par travailler avec une infirmière libérale déjà implantée sur le secteur, en remplacement ou en collaboration. Notamment pour prendre la mesure de l’activité et vérifier si on est vraiment fait pour ce mode d’exercice… « C’est suicidaire de créer un cabinet quand on ne connaît pas le métier. Il vaut mieux commencer en travaillant avec quelqu’un qui est déjà installé », estime Julien. On peut par exemple goûter au libéral sur un territoire proche de celui qu’on convoite pour pouvoir s’y installer ensuite, suggère Claudine Gillant. Cela permet de ne pas être gêné par une clause de non-concurrence. Pour Karine, en tout cas, « le remplacement a constitué un palier vers la collaboration ».

VÉRIFIER L’ACTIVITÉ

Comme les statistiques officielles sur la dotation des cantons en infirmières libérales ne sont plus à jour, mieux vaut toujours, selon Muriel Caronne, contacter les infirmières libérales déjà installées avant de choisir un secteur. Elles seules savent si l’activité est suffisante. On peut aussi leur proposer de faire une tournée ou deux avec elles. Celles qui s’installent malgré une activité peu importante s’exposent à une certaine circonspection, voire une hostilité des cabinets existants… « S’installer “à la barbare”, ce n’est pas une démarche de long terme », estime Muriel Caronne. Cette prise de contact permet en prime de savoir si d’autres infirmières ont exprimé le même projet… voire d’entamer une collaboration !

Des Agences régionales de santé (ARS) et des URPS ont aussi mis sur pied des rencontres d’information pour les candidates à l’installation (lire l’encadré p. 27). Déjà libérale, Alexandra avait effectué toutes les démarches administratives préalables à son installation mais pas sa future collègue. Elles se sont donc rendues ensemble à la permanence proposée par les URPS d’Île-de-France. Cela a simplifié la tâche de la nouvelle libérale et confirmé Alexandra dans le choix de son lieu d’installation et dans sa propre démarche. « Cela nous a permis aussi de partir sur de bonnes bases concernant notre contrat, poursuit-elle, car nous avons appris que l’Ordre pouvait nous conseiller sur ce plan. » Julien s’est lui aussi rendu à la permanence sur l’installation organisée par l’URPS. Il a pu y vérifier qu’il était pertinent de s’installer dans la ville qu’il avait choisie.

Quatre mois après l’inscription de la collègue d’Alexandra à l’Ordre national infirmier (ONI), toutes les deux se sont installées au sein du rassemblement de cabinets qu’une ostéopathe créait au même moment. Une sage-femme, une psychologue, un podologue et une diététicienne s’y sont également installées. « On a sauté sur l’occasion, explique Alexandra. C’est vraiment sympa d’être dans une équipe. Et puis cela nous a aidées à nous créer un premier réseau. Les patients de chacun voient qu’il y a d’autres professionnels dans le cabinet. »

SE PRÉSENTER

Les deux infirmières se sont aussi pliées de bonne grâce au rituel de la visite aux pharmaciens de leur secteur. « Les gens aiment mettre des visages sur des noms, remarque-t-elle. On leur a expliqué notre parcours. J’ai fait par exemple des formations sur les pansements et j’ai travaillé en cancérologie. Cela permet aux pharmaciens de mieux orienter les patients. » Elles ont aussi rencontré les kinésithérapeutes mais elles ne se sont pas d’emblée présentées aux médecins. « On a hésité. J’ai travaillé un moment chez un prestataire et quand j’allais voir un médecin, j’avais souvent l’impression de déranger, raconte Alexandra. On ne voulait pas prendre la place des patients qui attendent. Nous avons préféré prendre contact au coup par coup, au sujet d’un patient. Je préfère qu’on m’envoie quelqu’un parce que je travaille d’une certaine façon. Une réputation se fait vite dans un sens ou un autre. C’était risqué mais, au final, cela s’est bien passé. Certains médecins nous ont juste dit après coup qu’on aurait dû venir les voir plus tôt… »

Les deux infirmières ont également rendu visite au laboratoire d’analyse local pour signer une convention. Cela a abouti à l’organisation d’un repas entre plusieurs infirmières libérales, les techniciennes et les secrétaires du laboratoire, le premier d’une série. « Cela nous a permis de faire connaissance avec les trois cabinets des alentours », note Alexandra.

Julien de son côté s’est tout de même présenté de nouveau auprès des pharmaciens, pour annoncer son installation en solo. Il a ainsi pu leur préciser qu’il a un DU de plaies et cicatrisation.

Karine, pour sa part, n’a pas jugé nécessaire de faire de démarches particulières auprès des médecins, des pharmaciens ou des laboratoires. Elle avait déjà fait leur connaissance lors de ses toutes premières tournées avec l’infirmière qu’elle remplaçait. « Le principal, c’est que les patients me connaissent », estime-t-elle. Au moment de devenir collaboratrice, elle a juste fait passer un encart dans le journal, seule démarche “publicitaire” admise par la loi.

D’expérience, Muriel Caronne a constaté que celles qui tissent très tôt des relations avec les autres infirmières et profitent de toutes les occasions pour les entretenir (réunions locales sur la santé, exercice professionnel, repas de professionnels de santé…) s’intègrent beaucoup plus facilement. Et puis « cela fait du bien aux anciennes », souligne-t-elle.

PENDRE LA CRÉMAILLÈRE

Organiser une “pendaison de crémaillère” ou un “pot d’arrivée” est aussi un bon moyen de faire connaissance, voire de tisser des liens. À condition d’inviter les professionnels de manière large, sans se limiter à un secteur restreint, et de le prévoir à un horaire compatible avec l’activité infirmière, conseille Muriel Caronne.

La petite fête commune à tous les professionnels du cabinet d’Alexandra a réuni quelque quatre-vingt dix personnes ! À celle de Julien, beaucoup d’infirmiers sont venus, ainsi que des pharmaciens, des salariés des laboratoires, de nombreux pompiers, des voisins, des représentants du Centre communal d’action sociale et le maire. Un vrai succès. « Je compte recommencer quand mon nouvel associé aura intégré le cabinet, prévoit Julien. C’est une occasion de se retrouver entre professionnels. Ce n’est pas forcément facile de trouver un moment mais, quand on se voit, on a toujours beaucoup de choses à se dire. »

SURMONTER LES RÉTICENCES

Ces rencontres constituent aussi une porte ouverte vers, éventuellement, plus tard, des relations plus ou moins étroites et vers des possibilités de coups de main en cas de difficultés de l’une ou de l’autre (problème de santé, accident, souci avec un patient…). « Il faut pourvoir compter les unes sur les autres, observe Muriel Caronne, et essayer de bien s’entendre. » Jouer le jeu de la confraternité. À défaut, on ne pourra pas soi-même en bénéficier…

Ces petites fêtes ne permettent pas toujours de faire tomber la réserve de certaines anciennes face aux nouvelles… D’ailleurs, les nouvelles hésitent parfois à les organiser ou même à contacter les infirmières déjà installées, de crainte d’être mal reçues et de se voir reprocher de prendre l’activité de celles qui sont déjà installées. « Parfois, c’est une réalité, mais c’est la vie ! Certaines collègues le prennent mal. Une fois, elles en sont même venues aux mains », confie Claudine Gillant. Et d’en appeler à la courtoisie et au tact. Dire à une infirmière libérale déjà installée qu’elle partira de toute façon bientôt à la retraite, par exemple, peut être mal pris… Tout comme déposer des prospectus dans toutes les boîtes aux lettres, ce qui, en prime, n’est pas légal. « Il ne faut pas non plus arriver en terrain conquis mais plutôt rester modeste », ajoute Muriel Caronne. Au début, Alexandra et sa collègue ont été confrontées à l’attitude défensive de certains cabinets. « C’est normal, tempère-t-elle. En libéral, on a toujours la crainte de voir baisser notre chiffre d’affaires et de ne pas pouvoir payer nos charges. Au final, on tourne toutes et il y a une bonne entente entre nous, mais il faut un peu de temps pour prouver qu’on a notre place. »

DÉVELOPPER SA PATIENTÈLE

L’installation impose par ailleurs de développer son activité et de trouver des patients. En dehors de ceux qui la contactent après avoir obtenu ses coordonnées par les professionnels de santé ou par des connaissances, Alexandra intervient aussi auprès de patients du Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) de l’hôpital voisin, avec qui elle a signé une convention. Elle et sa collègue prennent aussi parfois le relais de l’hospitalisation à domicile pour l’aide à la toilette, que n’assurent pas forcément les autres cabinets, et travaillent avec un prestataire de soins qui a besoin d’infirmières pour assurer les soins nécessaires à l’utilisation de certains matériels. « Cela nous aide à nous faire connaître et à développer notre notoriété. Les patients que nous voyons par ce biais ont de la famille, des proches, et le bouche-à-oreille fonctionne. » Julien travaille aussi avec le Ssiad de sa ville et un prestataire de santé. Il a également pris contact avec les assistantes sociales des hôpitaux des alentours. « Elles sont bien contentes de nous connaître car elles ont beaucoup de difficultés à trouver des infirmiers libéraux. Elles font appel à nous pour des patients lourds mais, quand on monte un cabinet, on ne fait pas les difficiles. » Au bout de trois mois, le planning de l’infirmier, qui a travaillé seul sept jours sur sept pendant neuf mois, était si chargé qu’il a commencé à refuser des patients… « La meilleure publicité, résume Claudine Gillant, c’est de bien travailler. »

* Éditions Lamarre, 2010.

Analyse
PLATEFORMES D’APPUI AUX PROFESSIONNELS DE SANTÉ

Des infos sur l’installation

26 plateformes d’appui aux professionnels de santé (Paps), disponibles sur les sites des ARS, offrent des informations essentielles pour tous les candidats à l’installation en libéral. Celle du Nord-Pas-de-Calais, par exemple, présente le projet régional de santé et les priorités du schéma régional d’organisation des soins (Sros), des guides sur les aides proposées aux libérales installées ou en voie d’installation (exonérations fiscales, contrats incitatifs, aide à l’exercice coordonné, etc.). Les collectivités peuvent prendre en charge toutou partie des frais d’investissement ou de fonctionnement d’un cabinet, mettre à disposition des locaux ou verser une prime d’installation moyennant un engagement à exercer sur certains secteurs pendant plusieurs années. Les Paps détaillent les services à contacter pour bénéficier des différentes aides et dispositifs. Une mine d’informations à consulter sur les sites régionaux (www.nordpasdecalais.paps.sante.fr, www.iledefrance.paps.sante.fr, www.limousin.paps.sante.fr, etc.).

Point de vue

Le coaching à l’installation

• Abdel Iazza, infirmier libéral, est passé par tous les modes d’exercice (remplaçant, collaborateur, associé) avant de monter son cabinet de groupe. « Toutes les étapes n’étaient pas documentées, constate-t-il. Nous ne sommes pas formés à la comptabilité, on ne connaît pas la démarches et on perd du temps. » Il a donc monté un site Web sur lequel il a fait part de son expérience, puis organisé des réunions mensuelles (qui continuent) sur l’installation avec un expert comptable et un assureur… Et de proposer, fin 2013, un service de coaching personnalisé puisque beaucoup d’infirmiers le contactaient pour lui demander conseil. Pendant trois mois, les abonnés (pour environ 50 euros par mois) peuvent contacter l’équipe de inflib.com, par téléphone, par mail ou sur rendez-vous sur place (à Paris), pour lui poser toutes leurs questions sur l’installation. Problème de bail, de contrat, recherche de remplaçant, questions sur la facturation… « C’est du pratico-pratique », insiste Abdel Iazza. Il leur conseille, pour se faire connaître, de se présenter aux confrères, aux prestataires, à l’hospitalisation à domicile ou d’organiser une crémaillère, d’aller en mairie,bref, « d’être acteurs de la vie locale ».

Interview
Claudine Gillant, présidente de l’URPS- infirmiers de Lorraine

« Si les patients sont contents… »

Quelle forme d’exercice conseillez-vous pour commencer en libéral ? Je conseille toujours aux infirmières de commencer par des remplacements, plutôt dans un autre secteur que celui où elles veulent s’installer. Ou bien dans le même secteur mais avec une promesse d’association. On a énormément de demandes de remplaçantes.

Faut-il selon vous privilégier les zones sous-dotées ? Pas forcément. Très souvent, les cabinets qui s’ouvrent dans des zones sous-dotées bénéficient d’aides et cela crée un appel d’air. Plusieurs infirmières s’installent. Or il n’y a pas forcément assez d’activité. Les nouvelles galèrent et les autres ouvrent un cabinet secondaire dans un autre secteur, ce qui annule leurs droits aux aides.

Quelles sont les conditions de la réussite d’une installation ? Établir de bonnes relations avec les autres infirmières dès le départ, cela permet de s’entendre entre cabinets et de se rendre service. Il faut créer cette solidarité du monde libéral. Vis-à-vis des patients, la meilleure publicité, c’est de bien travailler. Il faut prendre son temps, réaliser des actes propres, assurer la traçabilité, faire un dossier de soins, transmettre les informations… Tout cela se remarque, tant du côté des professionnels que des patients. Et si les patients sont contents, ils en parlent autour d’eux.

OÙ S’INSTALLER ?
CARTES DE DOTATION EN INFIRMIÈRES LIBÉRALES

Attention à leur fiabilité

L’Assurance maladie offre un service qui permet, via une carte interactive, de connaître la dotation d’une commune en infirmières libérales. Disponible sur son site (tinyurl.com/communesameli), il permet de connaître les communes très sous-dotées, où le contrat “santé solidarité” peut être appliqué, et les communes surdotées, dans lesquelles l’installation est limitée.

Mais le service CartoSanté (carto.ars.sante.fr/cartosante) donne des informations plus précises sur le nombre d’infirmières dans une région, leur densité, leur répartition, leur activité moyenne, mais aussi sur le recours de la population aux soins libéraux de proximité. Pour aller plus loin, le service CartoSanté Pro permet aux professionnels qui le souhaitent d’approfondir leur étude de marché par un entretien individuel avec un représentant de la CPAM. Le hic : ces données datent pour la plupart de 2012. Depuis, la situation de certaines zones a bien changé. Il vaut mieux dans tout les cas vérifier en interrogeant les professionnels du terrain.

CANDIDATS À L’INSTALLATION

L’aide des URPS et des ARS

Les URPS d’Île-de-France proposent depuis 2012 des permanences mensuelles dans chaque département francilien pour les candidats à l’exercice libéral avec des représentants de l’ARS, de la CPAM, des ordres professionnels et des URPS. 160 infirmières s’y sont rendues, indique Marion Gaucher, de l’URPS-médecins. « Elles sont assez peu informées, voire pas du tout, ajoute-t-elle. Nous leur conseillons souvent de commencer par le remplacement. Et de sonder les infirmières du territoire. » Les infirmières peuvent, entre autres, examiner la dotation des zoneset faire vérifier leurs contrats par l’ONI. En juin 2014, l’ARS de Picardie a mis en place dans l’Aisne un “guichet unique” un peu similaire. Deux fois par mois, elle réunit les ordres, les URPS, l’ARS, la CPAM, l’Urssaf (par téléphone) et l’association Aisne Initiative qui peut aider les professionnels à trouver des financements auprès des banques, voire octroyer des prêts d’honneur, indique Yves Duchange, délégué territorial de l’Aisne à l’ARS. Les infirmières peuvent effectuer toutes leurs démarches auprès des différents acteurs eten profitent pour faire connaissance. En Lorraine, l’URPS-infirmiers est informée tous les trimestres des nouvelles installations et elle invite toutes les nouvelles infirmières libérales à venir rencontrer ses membres lors d’une permanence hebdomadaire, indique sa présidente, Claudine Gillant. 20 % des nouvelles installées y participent. Elles s’y informent sur les démarches administratives, les conditions de l’exercice libéral mais également sur la déontologie.