SEPT ANS APRÈS, OÙ EN SONT LES UHSA ? - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

PSYCHIATRIE

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Sandra Mignot  

Un rapport d’information sénatorial rendu public fin juillet se penche sur le fonctionnement des unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA), destinées à la prise en charge psychiatrique des personnes incarcérées. Après une première tentative d’évaluation, il laisse les professionnels sur leur faim.

Michel David « Des personnes très perturbées ne devraient pas rester incarcérées »

Globalement, comment appréciez-vous ce rapport ?

C’était bien d’en avoir eu l’idée. Mais quand on voit que seuls trois en­tretiens ont été réalisés avec des personnalités, on peut se demander si les sénatrices ont eu assez de moyens… Néanmoins, nous pouvons le considérer comme une première étape qui confirme qu’une évaluation complète des unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) est nécessaire.

Faut-il lancer la deuxième tranche de construction ?

Le sujet des UHSA est très complexe. On ne peut pas ne pas demander le lancement de la deuxième tranche, il y a des besoins. Mais il n’en est pas moins nécessaire de penser l’ensemble de l’organisation des soins en médecine pénitentiaire. Or, ce rapport ne replace pas suffisamment les UHSA dans un contexte où la majorité des soins sont réalisés par le secteur. Il faut interroger l’ensemble du dispositif de soins. Enfin, il faut saluer le fait que les auteurs semblent repousser l’idée que ces structures aient à prendre en charge les problèmes de radicalisation religieuse, une idée qui revient de manière récurrente dans l’actualité.

Quel serait le système de soins en santé mentale idéal ?

Des personnes très perturbées ne devraient pas rester incarcérées. J’ai eu connaissance de patients pour lesquels des suspensions de peine avaient été sollicitées, bien argumentées par les professionnels de santé et soutenues par le juge d’application des peines, mais au final, le procureur s’est opposé. À cause de ce fantasme sur l’insécurité, on préfère se couvrir et garder quelqu’un en prison que de se voir reprocher un potentiel trouble à l’ordre public. C’est un vrai problème de société. Dans les indications de la circulaire de 2012 définissant les comportements pouvant inciter l’orientation d’un détenu vers la maison centrale de Chateau-Thierry(1), on note qu’il s’agit de troubles graves avec lesquels on estime que les gens peuvent rester en prison. Alors qu’ils devraient être en hôpital psychiatrique, en longue maladie, en suspension ou aménagement de peine pour raison médicale. Les troubles les moins sévères doivent, eux, pouvoir être pris en charge en ambulatoire.

Les différences architecturales sont-elles justifiées ?

Chaque projet doit jongler avec les spécificités du terrain sur lequel il est implanté. Pour ma part, je n’aurais jamais accepté de travailler en UHSA. Même si les détenus y sont actuellement bien soignés, je considère qu’il s’agit de l’aboutissement d’une filière ségrégative. Néanmoins, en tant que chef de service SMPR en Guadeloupe, j’ai dû préparer l’ouverture d’une telle unité. C’est un travail considérable d’allers-retours entre la pénitentiaire et la santé. Et pour négocier chaque détail : taille des fenêtres, place des barbelés ou des grilles, possibilités de promena­de… Pour le lancement de la seconde tranche, il faudra que ce dialogue soit facilité, qu’un ou deux modèles puissent être proposés et représenter la synthèse des exigences des uns et des autres. Les équipes des UHSA de la deuxième tranche devraient aussi pouvoir, au préalable, visiter les unités qui existent et en extraire les bonnes pratiques. Tous les projets ont eu des histoires et des difficultés différentes.

Jean-Luc Rognard « La psychiatrie et la justice ne feront jamais bon ménage »

Globalement, comment appréciez-vous ce rapport ?

La démarche qui consiste à venir nous rencontrer et à se confronter à la réalité est louable. Mais ce rapport enfonce un certain nombre de portes ouvertes et comporte même des contre-vérités. Lorsqu’il est dit que le nombre de soignants est le même que celui du secteur ordinaire, c’est faux, nos effectifs sont bien plus confortables. Pourtant, nous avons un turnover important. Rien que sur la nuit, j’ai constaté environ 65 départs en 7 ans d’existence du service. Nous recrutons beaucoup de jeunes IDE qui viennent tester la fonction et qui repartent rapidement. Et puis, on reçoit aussi des jeunes boursiers qui sont fléchés vers nos services sans avoir vraiment le choix. Or, une fois passée la fascination, se confronter à des violeurs, des pédophiles, des meurtriers, on peut vite s’en lasser.

La prise en charge en UHSA peut-elle permettre de concilier l’exigence de sécurité et la qualité du soin ?

Le vrai problème, c’est que la psychiatrie et la justice ne feront jamais bon ménage. Nous ne travaillons pas dans le même sens. En psychiatrie, on estime avoir bien bossé quand le patient peut repartir vers une vie sociale et affective normale. Là, de toute façon, il repart en prison, alors… En outre, avant le début des UHSA, et même à notre ouverture, nos grands schizophrènes étaient à l’hôpital psychiatrique et non en prison, car ils étaient jugés irresponsables assez vite. Aujourd’hui, je pense que parmi 20 patients, 3 ou 4 n’ont rien à faire en prison. Prenons l’affaire Moitoiret(1) où, lors d’un premier procès, il a fallu pas moins de 11?expertises pour décider que l’homme devait être considéré comme responsable de ses actes. Condamné à perpétuité, il a fait appel. Les médecins ont interrompu son traitement et au vu de son état quand il a comparu, sa peine a été réduite à 30 ans, dont 20 incompressibles. À sa sortie de prison, qu’aura-t-on fait de ses soins ? Il devrait être en hôpital psychiatrique, dans une unité protégée. Ce n’est pas le seul exemple… Le problème est sociétal. On veut protéger la société de nos fous – même si la plupart ne sont pas dangereux – et on incarcère des gens alors qu’ils ont besoin d’une prise en charge à long terme. Par ailleurs, pour ce qui est de la qualité du soin, les patients sont en prison dans l’UHSA. Certes, ils sont exposés à moins de risques de violence que dans un établissement pénitentiaire. Mais ils sont dans leur chambre, ne peuvent sortir que selon notre bon vouloir, il est difficile d’y avoir une vie sociale, etc. Nous sommes loin d’une prise en charge adéquate notamment pour des patients psychotiques.

Former les magistrats, notamment pour un meilleur contact avec les équipes soignantes, peut aider à améliorer la prise en charge ?

Ils ne dialogueront jamais avec les chefs de service des UHSA. Dans les annexes du rapport, un sénateur évoque d’ailleurs une formation qui a eu lieu pour faire connaître l’UHSA : aucun magistrat n’y a assisté. Il faudrait que cela soit obligatoire. Sinon, les magistrats restent dans leur bulle, où ils sont d’ailleurs sous forte influence politique.

1- Un établissement bénéficiant de moyens sanitaires et pénitentiaires renforcés destiné à la population pénale condamnée présentant des troubles du comportement mais ne relevant ni d’une hospitalisation d’office, ni d’une hospitalisation en service médico-psychologique régional, ni d’une UHSA.

1- Une affaire criminelle dans laquelle Stéphane Moitoiret a tué Valentin Crémault, 11 ans, en 2008 à Lagnieu.

MICHEL DAVID PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES SECTEURS DE PSYCHIATRIE EN MÉDECINE PÉNITENTIAIRE (ASPMP)

→ 1987 : intervient en milieu pénitentiaire

→ 1988 : diplômé de psychiatrie

→ 2002-2011 : chef de service du SMPR de Baie-Mahault (Guadeloupe)

→ Depuis 2012 : président de l’ASPMP, il exerce actuellement à la Fondation Bon Sauveur de la Manche

JEAN-LUC ROGNARD INFIRMIER DE SECTEUR PSYCHIATRIQUE

→ 1975 : formation d’infirmier en secteur psychiatrique

→ 1978 : exerce dans les différents services du centre hospitalier de Saint-Cyr au Mont d’Or

→ 2010 : intègre la première UHSA créée en France à l’hôpital du Vinatier (Rhône)

POINTS CLÉS

 Instaurées par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (dite loi Perben), les premières UHSA ont été créées en 2010. Actuellement, 9?unités existent (la dernière ouvrira bientôt ses portes à Marseille) et proposent 440 places.

Une 2e tranche de construction devrait concerner 8 autres régions et 265 places. Placées au sein d’un établissement de santé mais sécurisées par l’administration pénitentiaire – qui assure aussi les transferts, le contrôle des entrées et des sorties –, elles représentent une forme de collaboration inédite entre secteurs de la santé et du pénitentiaire.

→ Le rapport d’information des sénatrices Laurence Cohen, Colette Giudicielli et Brigitte Micouleau, fondé sur la visite de trois unités et des entretiens avec trois personnalités, fait état de cinq recommandations : favoriser les échanges et l’élaboration de bonnes pratiques entre les équipes soignantes des UHSA ; mettre les moyens en personnel et en transports de l’administration pénitentiaire en adéquation avec les besoins des unités ; renforcer la formation et l’information des magistrats sur le rôle et le fonctionnement des UHSA ; lancer la deuxième phase du programme de construction des UHSA prévue lors de leur création en 2002 ; renforcer la possibilité de recours aux aménagements de peine pour les personnes détenues atteintes de troubles mentaux dans le cadre d’une obligation de soins.

→ Aucun des trois auteurs de ce rapport n’a accepté notre demande d’interview.