C’EST PAS DES SALADES ! - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

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Tout au long de notre formation, on nous répète qu’il faut créer un lien soignant-soigné mais aussi, garder une certaine « distance »… En somme, être impliqués dans ce que l’on fait mais pas trop, trouver un juste milieu. Difficile à déceler, ce juste milieu… Car comme dirait ma collègue Flora, « ce ne sont pas des feuilles de salade dans les lits ! ».

J’ai fait mes premiers pas d’IDE dans un service de réanimation, accompagnée par une fille qui disait sans cesse : « Ce qui est bien ici, c’est que tu ne parles pas aux patients, ils dorment ! » Elle était rapide, peu souriante, sûre d’elle. Oui, les patients dormaient et non, on n’était pas obligé de leur parler… Mais leurs proches avaient un besoin infini d’explications, d’être écoutés, entendus, rassurés. Avec l’expérience, je me suis dit qu’éviter les moments de dialogue était sans doute sa technique pour maintenir cette distance indispensable à notre équilibre émotionnel…

Jeudi matin. La chambre 11 est ouverte. Ma collègue discute avec le patient dont la jambe dépasse du drap. « Pliez ma jambe », me demande-t-il. En position demi-assise, seule sa tête est mobile et il a du mal à s’exprimer. Je devine qu’il a la maladie de Charcot. On l’installe. Il veut regarder la télé, les reportages géographiques. « Mais il me faut mes lunettes. » Je souris : « J’aurais pu deviner, vous avez deux petits pansements sur le nez ! ». On rit, le contact est pris. On l’aide pour tous les gestes du quotidien : repas, toilette, soins… Cela prend des heures, d’autant que c’est une pipelette !

10 heures. Arrive Mathieu, l’aide-soignant. Il craint d’être maladroit face à ce patient à la pathologie complexe. Je le rassure du mieux possible. Dix minutes plus tard, je passe la tête pour voir si mon collègue n’est pas tombé dans les pommes d’angoisse. Je les trouve en train de rire, petit clin d’œil à l’attention de Mathieu.

À sa sortie du service, l’équipe lui dit au revoir. Il nous a remerciés, les yeux pétillants derrière ses lunettes bien posées sur les pansements.

La larme à l’œil, Mathieu s’est isolé dans une chambre, et je suis allée discrètement essuyer les miennes dans le poste de soins. Vite, passer à autre chose, prendre ce recul vital par rapport à la situation. Et on est rentrés chez nous, enrichis d’avoir connu ce patient, satisfaits d’exercer un métier avec nos mains, nos têtes et surtout notre instinct. Trouver ses propres méthodes pour maintenir ce lien si précieux dans notre travail en se protégeant du trop-plein d’affect…

C’est qu’elles nous en font voir de toutes les couleurs, nos feuilles de salade !