LES GRANDS CHANTIERS DE LA RENTRÉE - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

POLITIQUE SANTÉ

ACTUALITÉS

À LA UNE

Adrien Renaud  

Chaque rentrée apporte son lot d’espoirs et d’inquiétudes. Celle-ci peut-être plus qu’une autre : plusieurs chantiers du gouvernement pourraient impacter les infirmières qui ne savent pas encore à quelle sauce elles vont être mangées. Décryptage.

Entre les négociations conventionnelles des Idel avec l’Assurance maladie, les dé­bats législatifs sur la loi travail ou sur la pénibilité, la préparation d’un décret sur les pratiques avancées ou encore les élections ordinales, le moins que l’on puisse dire est que l’automne ne sera pas un long fleuve tranquille pour les infirmières. Entre optimisme inquiet et pessimisme actif, l’humeur de la profession varie au gré des dossiers.

Le sujet qui concerne le plus directement les infirmières est peut-être celui des négociations conventionnelles, qui doivent définir les nouvelles règles du jeu entre les libérales et la Sécurité sociale. Après une première séance en juillet qui a permis de planter le décor, les participants vont entrer dans le vif du sujet au mois de septembre. Au menu, deux grosses thématiques : la mise à jour des modalités qui régissent l’installation des professionnelles sur le territoire, et la révision de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP).

Ces négociations interviennent dans un contexte budgétaire particulièrement contraint : juste avant leur ouverture, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) avait publié son traditionnel « rapport charges et produits », qui prévoit un total de 2 milliards d’euros d’économie pour l’année 2018. « On a bien compris qu’il n’y aurait pas de revalorisation de lettre-clé », résume Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence Infirmière qui participe aux négociations. La signature de l’accord est (pour l’instant) prévue le 21 novembre.

L’Ordre face aux infirmiers

Autre sujet de mobilisation : les élections ordinales. Après un scrutin qui a permis un renouvellement de la moitié des conseillers départementaux au mois de juin, c’est au tour de l’ensemble des conseillers régionaux de se présenter devant les professionnelles. La date de ce vote a été fixée au 29 septembre, et le Conseil de l’Ordre national des infirmiers y voit une occasion de renforcer sa légitimité après quelques années passées dans la tourmente.« Pour utiliser un vocabulaire à la mode, je dirais que la machine est en marche, plaisante Karim Mameri, secrétaire général du Conseil national de l’Ordre. On voit bien que les infirmiers s’approprient progressivement leur Ordre. Ce moment démocratique va permettre d’être de plus en plus nombreux à agir. »

La pratique avancée sur les rails ?

Parmi les nombreuses thématiques dont l’Ordre pourra se saisir à la rentrée, il y a le serpent de mer de la pratique avancée. Depuis la loi de Santé votée en janvier 2016, la profession attend le décret d’application qui permettra à ce statut de prendre corps. « Nous savons que la DGOS (Direction générale de l’offre de soins du ministère de la Santé, ndlr) travaille actuellement dessus », indique Florence Ambrosino, membre du comité de pilotage du GIC Repasi(1). Celle-ci regrette toutefois que les responsables des deux masters existants et ceux du GIC Repasi n’aient à ce jour pas été entendus dans le cadre de la préparation de ce décret. « Cela reste un point d’interrogation », affirme-t-elle.

L’espoir est néanmoins permis. Auditionnée par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 18 juillet dernier, Agnès Buzyn a indiqué qu’il fallait « aller beaucoup plus vite » sur le dossier. On peut donc espérer le décret d’ici la fin de l’année, ce qui réjouit Florence Ambrosino. Celle-ci avertit toutefois qu’il ne faudrait pas que dans sa précipitation, le gouvernement s’oriente « vers un modèle de délégation de tâches ». Son espoir : que la pratique avancée française s’aligne sur « ce qui se pratique à l’étranger », en faisant « la part belle à l’autonomie ».

Exercice partiel

Si l’exercice en pratiques avancées suscite généralement l’espoir, l’exercice partiel est une source d’inquiétude. En cause : une directive européenne, transposée par l’Assemblée nationale en juillet. Celle-ci permet à des professionnels de santé titulaires d’un diplôme étranger ne recoupant pas exactement le diplôme français de n’exercer en France que la partie de leur activité pour laquelle ils sont compétents. De nombreuses voix se sont élevées pour alerter sur les risques en matière de qualité des soins. Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI-CFE-CGC), se dit par exemple très préoccupé par la situation dans les Ehpad. « Certains employeurs vont vouloir utiliser une main d’œuvre étrangère low-cost en jouant sur la confusion des termes », prédit le leader syndical. Celui-ci cite notamment le cas des « nurse assistant » hongroises, qui n’ont d’infirmières que le nom mais qui pourraient bien tenter des établissements cherchant à faire des économies sur la masse salariale. « On sera vigilants », assure pour sa part Karim Mameri. Car la bataille n’est pas finie : le texte sera présenté au Sénat au mois d’octobre.

La loi travail inquiète les infirmières du privé

Mais il n’y a pas que les sujets propres à la profession. À la rentrée, la réforme du code du Travail, que le gouvernement compte adopter par ordonnances le 20 septembre en Conseil des ministres pourrait en effet substantiellement modifier le paysage pour tous les salariés du secteur privé, infirmières comprises. Sa pièce maîtresse est la fameuse inversion de la hiérarchie des normes : davantage de choses pourront être réglées au niveau de l’entreprise, au détriment des négociations par branche d’activité (hospitalisation privée, hospitalisation privée à but non lucratif, etc.).

« Cela aura un impact sur tout, si on passe à des accords d’entreprise au lieu des accords de branche, il n’y aura plus de cadre clair », met en garde Thierry Amouroux. À terme, il craint un émiettement de la profession. « Dans chaque région, il pourra y avoir des niveaux de salaire différents en fonction des tensions sur le marché du travail », prévient le syndicaliste.

La pénibilité sur la sellette

Les syndicats ne sont d’ailleurs pas au bout de leurs inquiétudes, car un autre dossier a été ouvert par le gouvernement en parallèle : la réforme du compte pénibilité, mesure emblématique du quinquennat Hollande qui permet aux salariés du privé qui occupent des postes exposés de partir plus tôt à la retraite. En juillet dernier, le Premier ministre Edouard Philippe a proposé de modifier quatre des critères qui permettaient de définir quels sont les postes en question. Or « deux de ces critères concernent directement les infirmières », indique Thierry Amouroux : la manipu­lation de charges lourdes et l’ex­position à un agent chimique dangereux. Si la réforme voulue par le gouvernement est adoptée, les salariés exposés à ces risques ne pourront bénéficier d’une retraite anticipée que si « une maladie professionnelle a été reconnue » et si « le taux d’incapacité permanente excède 10 % », indique le gouvernement.

Comme pour la loi travail, l’exécutif entend avancer rapidement sur le sujet du compte pénibilité et espère une entrée en vigueur dès le début 2018. « Il va falloir une mobilisation forte pour que le gouvernement comprenne, prévient Thierry Amouroux, car ces mesures vont pousser des gens qui sont déjà à bout. Cela va aggraver l’état du personnel et l’absentéisme. » Décidément, la rentrée sera chaude.

1- Groupement d’intérêt commun du Réseau de la pratique avancée en soins infirmiers créé au sein de l’Association nationale française des infirmières et infirmiers diplômés et étudiants (Anfiide).

* Actuellement limitée aux personnes de plus de 65 ans ou aux malades chroniques.

* Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes

COMPÉTENCES INFIRMIÈRES

Quid de la vaccination ?

S’il y a un sujet qui fait débat, c’est bien celui de la vaccination. En particulier depuis qu’Agnès Buzyn, la nouvelle ministre de la Santé a annoncé son intention de porter le nombre de vaccins obligatoires pour les enfants de trois à onze. Alors qu’une loi sur le sujet devrait être votée avant la fin de l’année, les infirmières ne comptent pas être en reste. L’Ordre national des infirmiers (Oni) a fait connaître ses propositions à la ministre. « Une IDE puéricultrice, en PMI ou en pédiatrie doit pouvoir vacciner les enfants, à partir du moment où la primovaccination a déjà été réalisée », explique Karim Mameri, secrétaire général du Conseil national de l’Oni. Il défend encore des compétences élargies pour la vaccination antigrippale*. « La demande que nous allons marteler, c’est que l’ensemble des infirmières puissent aussi vacciner l’entourage », dit Karim Mameri.

ET AUSSI…

→ La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a proposé en juillet dernier de créer un dispositif de VAE permettant aux parents en fin de congés parentaux d’accéder à un diplôme de la petite enfance. Levée de boucliers du côté de l’ANPDE*, qui rappelle que les métiers de la petite enfance sollicitent des « compétences spécifiques afin d’accompagner non seulement les enfants mais plus largement les familles dans le développement de leur enfant ». Reste à voir comment la proposition sera traduite dans la loi.