Place à la rencontre - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

SUR LE TERRAIN

ACTUALITÉS

F. R.  

À l’hôpital de jour « Les trois jardins » du CHI Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois, l’équipe de pédopsychiatrie accueille une trentaine d’enfants autistes de 4 à 12 ans. L’approche, intégrative, mêle thérapeutique, éducatif et pédagogie.

À chaque commission d’admission, l’équipe pluridisciplinaire de l’hôpital de jour (HDJ) « Les trois jardins » a le cœur serré : faute de places, elle doit refuser des enfants qui pourraient tirer profit de sa prise en charge globale. « Nous avons choisi de prioriser les cas les plus lourds en termes de symptomatologie, de contexte familial…, mais cela tient parfois à peu de choses », déplore Virginie Cruveiller, pédopsychiatre au CHI Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (93), responsable de la structure. Parmi eux, certains souffrent d’importants troubles du comportement, ont des problèmes d’auto-agressivité, de propreté, sont sans langage… Après entretien avec la famille, observation de l’enfant et définition d’un projet thérapeutique individualisé, l’équipe établit un planning hebdomadaire. Mais il s’agit d’abord de prendre le temps d’entrer en relation. « Si on ne laisse pas la place à cette rencontre, on pourra recourir à tous les outils imaginables, ça ne marchera pas », assure Virginie Frugère, éducatrice spécialisée. Au sein de l’équipe, l’enfant s’oriente ainsi vers l’adulte qui lui convient le mieux. « Les enfants nous rencontrent d’humain à humain. Peu leur importe que nous soyons infirmier, psychologue, éducateur… et nous travaillons avec cela. »

Adapter en permanence

Après un temps d’accueil où ils déclinent le déroulement de leur journée à l’aide de pictogrammes, les enfants se rendent dans l’atelier, individuel ou collectif, prévu pour eux (art-thérapie, sensorialité, psychomotricité, équithérapie, judo, cuisine…). Ils passent en général quatre demi-journées à l’HDJ ; si besoin, certains y déjeunent. Éducatif et thérapeutique sont toujours présents, mais une dimension peut prendre le pas sur l’autre et le cadre être plus ou moins contraint. Par exemple, pointe l’éducatrice, « dans les ateliers “structurés”, l’enfant devra rester assis à une table et développer ses compétences cognitives » (réalisation de puzzles, tri des couleurs…). En cas de crise, l’équipe devra « percevoir si celle-ci découle d’une frustration, auquel cas la réponse sera plus éducative, ou si celle-ci est inhérente à une angoisse et donc sera davantage à aborder sur le versant thérapeutique », explique Cédric Baron, psychologue. Des séances de packing(1) ou de pataugeoire sont également prévues pour quelques enfants. « Elles permettent notamment de calmer leur excitation, de travailler sur l’agitation psychomotrice », pointe Delphine Bleurvacq, infirmière. Si elles participent à ces séances, les infirmières réalisent peu de soins techniques. « On essaie de suivre l’enfant au plus près au plan somatique, on fait de la bobologie. Mais les bilans s’effectuent en consultation pédiatrique, où on peut les accompagner si besoin », explique-t-elle, soulignant que « des soins invasifs pourraient nuire aux soins relationnels ». Enfin, côté scolarité, selon leur âge et leur handicap, des enfants vont en classe à l’HDJ avec un enseignant spécialisé.

Soutenir l’entourage

Chaque mois, les familles sont reçues en entretien et des visites à domicile bimensuelles sont proposées. « On ne peut pas travailler sans elles. Il est important de les écouter. Elles demandent souvent une aide éducative pour des actes du quotidien tel le coucher », relate Virginie Frugère. Beaucoup se retrouvent en grande difficulté et la bienveillance est de mise. « On leur dit qu’on sait qu’ils font au mieux. On essaie aussi de les restaurer dans leur parentalité quand elle est attaquée par la pathologie de l’enfant », poursuit-elle. « Certaines familles sont submergées et un chaos peut s’installer. Elles peuvent en arriver à dire des choses terribles devant l’enfant sans réaliser qu’il comprend », complète Cédric Baron. Les parents sont également accompagnés, s’il y a lieu, au plan social : obtention de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, aides à domicile, séjours de rupture. « Il peut aussi falloir des aides pour aménager le logement : sécuriser des fenêtres, réparer des dégâts… », précise Nadine Lendrin, assistante sociale, qui assure le lien avec ses homologues des centres médico-psychologiques (CMP) qui suivent les enfants. Un groupe « parents » mensuel permet de surcroît à ces derniers d’échanger entre pairs. « Ils se sentent ainsi moins seuls, partagent leurs difficultés, se déculpabilisent, s’entraident », explique le psychologue. De même, un groupe « fratries » se réunit-il. « Éclaboussés par la pathologie de leur frère ou sœur, pas toujours facile à vivre et autour duquel tout s’organise, ces derniers peuvent être dans le retrait, se sentir oubliés », poursuit-il. Dans le groupe, ils se lâchent, rient de situations atypiques, dédramatisent ce qu’ils vivent.

Des dispositifs au service de l’humain

Pour développer la communication, l’équipe recourt à divers outils, tels le Pecs (classeurs avec des images), auquel elle forme les parents, ou le Makaton, inspiré de la langue des signes (lire encadré ci-contre). Elle disposera en outre bientôt de tablettes numériques. « Mais la technique ne peut être bonne que si elle est adaptée à l’enfant et arrive au bon moment », souligne Virginie Frugère. Ainsi, illustre-t-elle, « un de nos enfants avait un bon niveau cognitif, mais était pris par ses angoisses. Nous avons tenté de mettre en place le Pecs : ça a été la catastrophe. Il n’avait aucune envie de communiquer, ça déclenchait des crises incroyables, des hurlements. Il fallait d’abord apaiser ce qui l’inquiétait. Nous avons privilégié les soins thérapeutiques : suivi individuel, packing, poney pour le portage car il s’effondrait… Un an plus tard, nous avons retenté l’expérience, ça a très bien fonctionné et désormais il entre dans le langage. » Les parents apprécient aussi de pouvoir échanger via cet outil avec leurs enfants même si cela peut se révéler complexe. « Il y a un temps d’adaptation. Un enfant, par exemple, qui se servait tout seul à la maison, va devoir tout d’un coup demander ce qu’il veut à ses parents en utilisant le classeur avec les images. Cela exige une vigilance supplémentaire de leur part alors qu’ils sont déjà épuisés », constate Delphine Bleurvacq. Même s’ils n’ont pas accès à la parole, « on leur suppose la capacité à pouvoir parler un jour », insiste Cédric Baron. « Il faut avoir des rêves pour eux, les projeter plus loin, tout en gardant leur fil. C’est ce qui les aide à grandir », confirme Virginie Frugère. L’équipe se sert aussi, au cas par cas, d’outils comportementaux (Teacch, ABA…). « Ces méthodes sont intéressantes à condition de ne pas en privilégier une au détriment des autres. Pour grandir, un enfant a besoin d’enseignement adapté, d’accompagnement sur le plan de sa relation à l’autre et pas que de techniques comportementales. Et si un enfant change de besoin, il faut savoir revoir la réponse », affirme le Dr Virginie Cruveiller.

Et après ? À 12 ans, les enfants doivent quitter l’HDJ. Et là, le bât blesse. Malgré le tissage de partenariats avec des instituts médico-éducatifs (IME) pour créer des passerelles, la majorité des jeunes se retrouvent sans solution faute de structures adaptées. « En IME, le personnel est bien plus réduit. Aussi les enfants ne doivent-ils pas avoir trop de troubles du comportement ni psychomoteurs… », regrette l’éducatrice. L’équipe essaie néanmoins de faire en sorte qu’au minimum un suivi en CMP soit assuré pour éviter la rupture totale des soins. Une équipe qui souligne combien elle vit de moments intenses avec ces enfants hypersensibles, « d’une extrême générosité », « qu’on dit enfermés dans leur bulle » mais qui, une fois la relation établie, « révèlent des trésors ». Et si leur fonctionnement n’est pas adapté à la société, peut-être aussi est-ce la société qui n’est pas adaptée à eux.

1- Technique d’enveloppement, notamment avec des serviettes humides et froides, visant à permettre à l’enfant, lors du réchauffement de son corps, d’en percevoir les limites. Ce soin corporel et psychique suscite maintes polémiques.

LES OUTILS

→ Pecs : système visant à favoriser la communication via l’échange d’images. Objectif : faire émerger ou développer la parole ou offrir un mode d’expression alternatif.

→ Makaton : programme d’aide à la communication et au langage qui associe gestes et images et s’appuie sur l’imitation et la précision des gestes.

→ Teacch : méthode structurant l’environnement de la personne, en particulier l’espace et le temps, pour lui proposer des repères favorisant son autonomie.

→ ABA : approche qui a pour but l’acquisition de compétences via des moyens éducatifs. Par un système de renforcement positif ou négatif du comportement, l’enfant acquiert notamment de l’autonomie.

→ Outils numériques : des applications sur tablette facilitent les interactions entrela personne autiste et son entourage.

SOINS SOMATIQUES

Du temps et de l’humanité

« Ici, ce sont nous, les soignants, qui nous adaptons au patient et non l’inverse », insiste Émilie Ducreux, infirmière au Centre régional douleur et soins somatiques en santé mentale et autisme de l’EPS Barthélémy Durand à Étampes (91). Cette structure, unique, accueille des enfants et adultes autistes, dyscommunicants, à qui des soins sont refusés du fait de leurs troubles du comportement, d’une peur liée à l’ignorance ou d’un cadre mal adapté. De fait, des maux, telles des otites, se chronicisent ; des douleurs s’installent… générant de nouvelles crises.

À l’EPS, le patient n’attend pas, la consultation dure 1 h 30 et l’équipe prend le temps de l’accueil, laisse la personne s’habituer au lieu, ne lui impose rien. « Nous cherchons à créer une relation de confiance pour réduire son angoisse. Nous veillons à ne pas parler tous ensemble, nous pouvons chanter, jouer… », explique Charlotte Mercier, infirmière. Après un bilan médical (ECG, auscultation, prise de sang…), durant lequel l’équipe recourt au Meopa (gaz hilarant) pour détendre le patient et éviter toute douleur, médecin et infirmières s’entretiennent longuement avec l’accompagnant. Un traitement, une orientation, des conseils, des éléments de prévention sont alors dispensés. Les infirmières ont d’ailleurs créé une plaquette spécifique sur un mal récurrent : la constipation. Elles suggèrent aussi aux familles, parfois venues de loin, de jouer avec l’enfant avec un stéthoscope en plastique pour dédramatiser les soins classiques. Pour l’équipe en tout cas, cette pratique est accessible à tous les soignants. La clé ? La bienveillance.