Le spectre de l’exclusion - L'Infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 385 du 01/09/2017

 

AUTISME

ACTUALITÉS

Florence Raynal  

De l’autisme, on ne guérit pas. De plus en plus fréquent, ce trouble neurodéveloppemental précoce affecte les relations sociales, la communication et le comportement. Aujourd’hui, beaucoup reste à faire pour améliorer l’existence des celles et ceux qui en sont atteints.

Ce sont nos proches qui nous ont alertés que quelque chose n’allait pas chez Alexis, notre fils de 3 ans. Sans doute ne voulions-nous pas voir. Il ne regardait pas dans les yeux, refusait de nous embrasser, avait une hypersensibilité aux odeurs, aux bruits, courait sans cesse en frappant dans ses mains… », témoigne Véronique L. Après consultation de pédopsychiatres libéraux, Alexis a été orienté vers un centre médico-psychologique (CMP), où son autisme a été diagnostiqué. Aujourd’hui, comme lui, 1 % des nouveau-nés seraient atteints. Un chiffre en pleine expansion.

« L’autisme est un trouble neurodéveloppemental, qui débute avant 3 ans. Celui-ci altère les interactions sociales, la communication, verbale ou non, et le compor­tement, induisant des gestes répétitifs, des intérêts restreints », explique Jacqueline Meyer, cadre de santé et puéricultrice au centre de ressources autisme (CRA) du Languedoc-Roussillon (lire p. 24). Pour autant, ces caractéristiques se combinent diversement et les symptômes peuvent varier en intensité comme sur le temps. L’idée d’un continuum a toutefois été reconnue et le terme de troubles du spectre autistique (TSA) récemment retenu. D’un côté du spectre, on trouve des patients atteints du syndrome d’Asperger aux capacités intellectuelles impressionnantes ; de l’autre, des enfants ou adultes très dépendants, sans langage, vivant en institution. Le récent changement des critères de l’autisme explique pour une large part la flambée du nombre de cas. « Divers troubles de la personnalité et psychoses infantiles y sont assimilés. Si on intègre quiconque a des difficultés relationnelles, manifeste un retrait sur soi…, on aboutit à une explosion de la prévalence, mais cela ne permet pas d’avancer », regrette Patrick Sadoun, président du Rassemblement pour une approche des autismes humaniste et plurielle (Raahp). À l’autisme peuvent par ailleurs être associées une déficience intellectuelle (environ 50 % des cas) et autres comorbidités : ORL, neurologiques, psychiatriques…

Sans diagnostic, une perte de chance

S’il est désormais admis que l’autisme est un trouble neurodéveloppemental, ses causes ne sont toujours pas élucidées. Maintes hypothèses ont été explorées, en particulier génétiques, mais aucune ne se révèle totalement concluante. « L’étiologie semble à forte composante d’origine biologique et environnementale au sens organique. Des pistes récentes pourraient en effet indiquer l’existence de facteurs influençant l’expression du génome via l’épigénétique en lien avec des polluants, des pesticides… », résume Virginie Cruveiller, pédopsychiatre et responsable de l’hôpital de jour Les trois jardins au CHI Robert Ballanger d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis (lire p. 24). Cela pourrait aussi contribuer à accroître la prévalence. De fait, le diagnostic ne s’effectue qu’à partir de l’observation du comportement de l’enfant. Dans chaque région, un CRA a notamment vocation à réaliser des diagnostics pluridisciplinaires et de l’appui diagnostique. « Nous proposons un entretien semi-structuré aux parents afin qu’ils relatent le développement de leur enfant aux plans psychomoteur, de la sociabilisation, du langage…, nous évaluons l’interaction sociale, examinons le développement cognitif à l’aide de tests adaptés à l’âge et aux éléments repérés. Nous réalisons enfin un examen moteur, de la communication, voire un bilan scolaire », précise Jacqueline Meyer. Après synthèse, un médecin explique le diagnostic aux parents et préconise une prise en charge adaptée.

Cependant, dans de nombreux CRA, les délais d’attente « peuvent atteindre entre un et deux ans entre le moment de la demande de bilan et sa restitution », déplore un rapport de l’Igas(1). Aujourd’hui, s’insurge Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, « 60 % des enfants sont sans diagnostic. Dans les CAMSP – les centres d’action médico-sociale précoce –, les CMP, les hôpitaux de jour…, celui-ci n’est pas posé ! Beaucoup de parents doivent aller dans le privé et payer de leur poche ! » Pourtant, plus tôt celui-ci est établi, meilleures sont les chances pour l’enfant de gagner en autonomie. L’intervention précoce reste donc une exception. « À 12 ou 18 mois, dans nombre de pays, on repère les difficultés de l’enfant et on l’accompagne sur le plan éducatif par le jeu pour qu’à l’âge scolaire, il ait déjà réglé une partie de ses difficultés », affirme-t-elle.

L’autisme, terrain de tensions

Ce retard, la présidente d’Autisme France l’attribue, comme divers acteurs, à l’idéologie psychanalytique imprégnant les professionnels. Pendant longtemps, en effet, « le modèle explicatif de l’autisme impliquait une distorsion relationnelle précoce mère/enfant », résume l’Unapei(2). En ont découlé des prises en charge à forte connotation psychanalytique, culpabilisantes, qui ont perduré malgré l’avancée des connaissances. Depuis dix ans, de violentes tensions ont ainsi émergé entre ces professionnels et des associations de familles pour qui « le trouble étant dû à un dysfonctionnement neuronal du cerveau, les personnes n’ont rien à faire en psychiatrie, résume Danièle Langloys. Elles n’ont besoin que de soutien éducatif avec des interventions développementales et comportementales » et non de « soins », terme réfuté. Pour maints « psys », ces reproches, naguère légitimes, sont dépassés. Ces soignants défendent l’intérêt de la prise en charge globale pédopsychiatrique, qui, de plus, s’est emparée des outils cognitivo-comportementaux. Une approche qui reçoit le soutien d’autres associations de parents. C’est le cas du Raahp, qui demande aux pouvoirs publics « de ne pas s’enfermer dans des querelles d’école et de respecter la pluralité ». « Nous attendons une réflexion sur les combinaisons de méthodes à adopter au cas par cas afin qu’aucun aspect du développement des personnes ne soit négligé », souligne Patrick Sadoun. « Il ne s’agit pas de traiter l’étiologie, puisqu’elle n’est pas psychogène, mais d’effectuer un traitement symptomatique », pointe le Dr Virginie Cruveiller. Et aussi de soutenir les parents soumis à rude épreuve, y compris pour le bien-être des enfants.

Favoriser l’inclusion

Une des polémiques touche à l’existence ou non d’une souffrance psychique inhérente à l’autisme. « J’en ai fait le constat chez mon enfant et d’autres en institution. Elle n’est pas liée à un environnement inadapté, peu accueillant, mais à l’essence de l’autisme. Une personne qui ne se perçoit pas comme sujet, qui se sent envahie par des bruits, des odeurs, la présence de l’autre… est forcément dans la terreur, la détresse », analyse Patrick Sadoun. Les dépressions sont d’ailleurs fréquentes et une étude scientifique suédoise vient de prouver le taux très élevé de décès par suicide chez ce public. Il est donc « essentiel de tenir compte de cette souffrance tout comme de tenter de faire acquérir à l’enfant le maximum de connaissances scolaires, de le socialiser… », complète-t-il. Mais les structures manquent et des milliers de personnes restent sans solution. « Le vrai scandale, ce n’est pas la psychiatrie, mais la pénurie de places en institut médico-éducatif », insiste le Dr Virginie Cruveiller, tout en soulignant que les pédopsychiatres jouent « un rôle de coordinateur avec les familles, dont beaucoup se retrouvent avec des suivis morcelés » et qu’ils « facilitent le lien avec les partenaires somaticiens ». Alors que les enfants autistes ont souvent des pathologies associées, l’accès aux soins reste difficile à mettre en œuvre. Les équipes rechignent à les recevoir du fait de leurs troubles du comportement. Ceux-ci sont pourtant souvent l’expression de douleurs somatiques non identifiées (lire p 25).

L’accès aux soins devrait faire partie d’un des axes du 4e plan autisme (2018-2022) : l’inclusion sociale. Au même titre que la scolarisation. Un domaine où d’énormes progrès restent à accomplir. Car si la scolarisation en milieu ordinaire doit être privilégiée, comme le prévoit la loi(3), force est de constater que la plupart des enfants en sont exclus et que peu d’aménagements sont prévus pour la faciliter (familiarisation avec le cadre de l’école, étayage éducatif, intervenants spécialisés pour adapter les apprentissages en classe…). « En France, on pense d’abord en termes d’exclusion. Nous devons sortir de cette logique », martèle Danièle Langloys. « Il faudra cependant veiller, nuance Patrick Sadoun, à ce qu’au nom de l’inclusion, on ne tienne plus compte des différences et on ne détruise pas le secteur médico-social, construit par les familles. Aujourd’hui, grand est le risque de désinstitutionnalisation. »

1- « Évaluation des Centres de ressources autisme (CRA) en appui de leur évolution », Inspection général des affaires sociales (Igas), mars 2016.

2- « Autisme – Les recommandations de bonnes pratiques professionnelles – Savoir-être et savoir-faire », Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), 2013.

3- Il s’agit de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

1- www.autisme-ressources-lr.fr

STRUCTURES

CRA, tout sur l’autisme

Outre le travail clinique de diagnostic et de réévaluation – pour analyser l’évolution d’une situation voire réaménager la prise en charge –, les centres de ressources autisme (CRA), structures médico-sociales en général gérées par un établissement de santé, ont pour mission d’informer, conseiller, former les publics concernés par l’autisme. Tous disposent d’un centre de documentation, où familles et professionnels peuvent trouver divers outils. En particulier, « nous apprenons aux équipes à effectuer des prédiagnostics et sensibilisons les acteurs de la petite enfance au repérage », précise Jacqueline Meyer, cadre de santé au CRA du Languedoc-Roussillon(1). L’aide aux aidants relève aussi des missions des CRA. « Nous, nous avons innové avec l’éducation thérapeutique et ciblé les moins de 6 ans diagnostiqués dans l’année. Lors de cinq séances thématiques, nous avons reçu les aidants de six ou sept familles afin qu’ils acquièrent un maximum de connaissances et facilitent l’autonomie de l’enfant », poursuit-elle. Les CRA mènent enfin des recherches et expérimentent des programmes.

PLUS D’INFOS

Sur le Net

&rarrr; www.autisme.gouv.fr : plate-forme officielle d’information sur l’autisme.

&rarrr; www.autismes.fr : site de l’Association nationale des centres de ressources autisme (Ancra).

→ www.autisme-france.fr : site de l’association Autisme France.

→ www.autismes.info : site de l’association Raahp.

Livres

&rarrr; Le spectre autistique trouble-t-il la raison de ceux qui l’approchent ? Recherches, réflexions et témoignages de parents et de professionnels, sous la direction de Patrick Sadoun et Françoise Rollux, Éd. Érès, 2016.

→ Autisme : dire l’indicible, Patrick Sadoun, Éd. L’Harmattan, 2016.

→ À la découverte de l’autisme. Des neurosciences à la vie en société, sous la direction de Dominique Yvon, Éd. Dunod, 2014.

→ Autisme. Le sacrifice invisible. Trajectoires des familles et regards croisés des professionnels, Christiane Jean-Bart, Éd. L’Harmattan, 2016.