Une enveloppe de 60 M€ pour la psychiatrie, invitée à se réunir en Assises - Objectif Soins & Management n° 279 du 01/02/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 279 du 01/02/2021

 

Actualités

Claire Pourprix  

Psychiatrie

Confinement et santé mentale ne font pas bon ménage. Alors que la crise sanitaire s'est installée dans notre pays, des psychiatres alertent sur la « troisième vague psychiatrique ». En 2019, 12 millions de Français étaient touchés par une maladie psychiatrique sévère. Or plusieurs études évoquent une augmentation de 30 % des risques de nouveaux cas de dépression et de 20 % de nouveaux cas de troubles d'anxiété. Le secteur, mobilisé pour répondre au besoin croissant de la population, fait l'objet d'annonces de la part du gouvernement. Une enveloppe de 60 millions d'euros et des Assises nationales : pour quoi faire ?

Comme mentionné dans la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » puis le plan « Ma santé 2022 », l'engagement financier de 60 millions d'euros annoncé par le ministère de la Santé début janvier est inscrit dans la 3e circulaire relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2020 des établissements de santé. Cette enveloppe va être répartie en plusieurs actions.

Tout d'abord, 20 millions sont dédiés au soutien de 48 projets sur la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent dans le cadre d'un nouvel appel à projets visant à « renforcer de façon pérenne les équipes et structures de la psychiatrie périnatale, de l'enfant et de l'adolescent et améliorer l'accessibilité et le parcours de soins, en priorité dans les territoires non pourvus ou sous dotés au regard des besoins de la population », détaille un communiqué de presse du ministère des Solidarités et de la Santé daté du 5 janvier 2021.

De plus, près de 30 millions d'euros sont alloués à l'offre de soutien psychologique de l'ensemble de la population. Cela passe par le financement de deux mesures phares. Tout d'abord le doublement de la dotation 2020 du Fonds d'innovation organisationnelle en psychiatrie, avec l'allocation de 20 millions d'euros pour financer 76 projets « portant notamment sur la mise en œuvre de parcours de soins favorisant la proximité et les articulations avec les acteurs de la ville et du médico-social, sur le développement ou le renforcement de la télémédecine au service des patients et des professionnels, sur l'amélioration de l'accès aux soins somatiques, du repérage et de la prise en charge précoces, ou encore sur la prévention et la gestion des situations de crise et d'urgence. » Le deuxième projet phare concerne, comme annoncé lors du Ségur de la Santé, la création de 160 postes de psychologues dans des Centres Médico-Psychologiques (CMP) et le renforcement des centres de psycho traumatisme et les structures infanto-juvéniles.

Enfin, conformément aux décisions du Ségur de la Santé, une enveloppe de 10 millions d'euros est attribuée au renforcement des équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) pour favoriser « un repérage et une prise en charge plus rapides des personnes en souffrance, notamment à la rue et en centre d'hébergement ou encore en accueils de jour ».

Pour le Dr Michel David, psychiatre, président de la Fédération française de psychiatrie, le compte n'y est pas : « 60 millions d'euros, c'est le budget d'un hôpital psychiatrique moyen... alors ce montant réparti sur l'ensemble des hôpitaux et des secteurs, cela ne va pas faire beaucoup ! »

Vers une loi-cadre pour la psychiatrie ?

Le 14 janvier dernier, lors d'une conférence avec des pédopsychiatres, Emmanuel Macron a annoncé la tenue avant l'été 2021 d'« Assises de la psychiatrie et de la santé mentale », qui porteront notamment sur l'enfance et la pédopsychiatrie, deux secteurs fortement impactés par la crise sanitaire.

Ce projet a été confirmé lors de la pré installation de la Commission psychiatrie au sein de la DGOS, présidée par le Pr Michel Lejoyeux, qui vise à traiter les sujets les plus urgents, notamment la question de la psychiatrie dans le cadre de la crise de la COVID-19 et les textes encadrant les pratiques d'isolement et de contention entrés en vigueur le 1er janvier dernier dans le cadre de l'article 84 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2021, très critiqués par les acteurs de terrain qui les considèrent inapplicables et déconnectés des réalités de terrain.

Cette annonce intervient quelques semaines après l'appel pour un « Matignon de la psychiatrie et de la santé mentale » lancé par un collectif de cinq professionnels alertant sur une « troisième vague psychiatrique » et la nécessité de prendre et mettre en œuvre des mesures d'urgence : les Dr Rachel Bocher, chef du service de psychiatrie au CHU de Nantes et présidente de l'Inter syndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), Marion Leboyer, psychiatre, directrice de la Fondation Fondamental, Serge Hefez, psychiatre et psychanalyste, Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, responsable de la Maison de Solenn et la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury, professeur titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers (Paris).

Toutefois, à l'urgence de la situation s'oppose la nécessaire concertation d'une profession bien mal en point. « La tenue d'assises dès le mois de juin me semble prématurée, déplore le Dr Michel David. Nous n'aurons pas le temps de les préparer correctement. Il s'agit de sujets compliqués, la pédopsychiatrie est en grande difficulté, et l'exemple des nouveaux dispositifs concernant l'isolement et de la contention, ou encore l'expérience de la loi de 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, montrent bien que ce qui est fait dans la précipitation risque de ne pas pouvoir être appliqué. »

Bien conscient que le calendrier des élections présidentielles n'est sans doute pas innocent dans le choix de cette date, le président de la Fédération française de psychiatrie plaide pour un report de ces assises. « Si on prend le temps de les préparer correctement, elles pourraient aboutir à ce que l'on attend depuis si longtemps : une loi cadre pour la psychiatre qui permettrait de voir les choses de manière globale plutôt que de faire des réformettes au coup par coup. Il est important de repenser totalement la question de la psychiatrie en France pour améliorer les soins aux usagers et permettre aux professionnels de travailler dans de bonnes conditions. »