Comment éviter l’abandon des étudiants en cours d’études ? - Objectif Soins & Management n° 0292 du 17/04/2023 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0292 du 17/04/2023

 

Formation

ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

Dans un contexte de pénurie de personnels soignants, les établissements de santé ont hâte de voir affluer de nouvelles recrues sur le marché du travail. Reste que la formation infirmière est longue et exigeante, parfois accompagnée de problèmes financiers ou encore malmenée par des stages difficiles voire maltraitants. Autant de facteurs qui conduisent nombre d’étudiants en soins infirmiers à quitter les bancs de l’Ifsi avant la fin de leur cursus. Professionnels et étudiants lancent des pistes pour améliorer la situation.

Objectif : en finir avec le manque d’attractivité de l’hôpital public. En janvier dernier, la Fédération hospitalière de France (FHF) a communiqué un « plan de bataille pour les ressources humaines qui permette d’engager des recrutements dans la durée et d’améliorer les conditions de travail ». Car, malgré une augmentation des effectifs de 3 % entre mai 2019 et mai 2022, la FHF relève que « 99 % des établissements déclarent des difficultés de recrutement ». Elle estime les postes vacants d’infirmiers à environ 15 000 (soit un manque de 5 à 6 %) et ceux d’aides-soignants à environ 5 000 ( manque de 2,5 %). Le taux moyen d’absentéisme continue de progresser, pour atteindre 10 % en 2022. Pourtant, d’après une enquête menée auprès de 7 000 professionnels de l’hôpital public pour mesurer précisément leurs attentes et vécus, 80 % des professionnels sont fiers de leur métier et conscients de leur utilité (91 %). En revanche, 89 % d’entre eux considèrent que leur travail génère du stress en raison « du manque de moyens humains et matériels et de la sur-sollicitation dont ils sont l’objet. » Face à ces constats, la FHF propose de repenser les modalités de formation, le nombre de recrutements, le respect de la vie personnelle, le partage de la pénibilité́. Un premier objectif est d’augmenter le nombre de personnels formés d’ici à 2025 pour atteindre en première année 40 000 places d’infirmiers, 32 500 d’aides-soignants et 12 000 de médecins, et de créer 1 000 postes hospitalo-universitaires et un statut d’enseignant associé pour les praticiens hospitaliers, afin d’accroître les moyens des facultés et des instituts de formation.

Une formation prisée sur ParcourSup

Ouvrir des places est une chose, fidéliser les étudiants en est une autre. Depuis la fin du concours d’entrée en Ifsi en 2019, la formation infirmière a gagné en visibilité et en accessibilité, au point de devenir la plus demandée sur ParcourSup. Dans ses vœux aux personnels soignants, en janvier dernier, le président Emmanuel Macron soulignait que depuis 3 ans, 20 % de places supplémentaires ont été ouvertes pour les étudiants en soins infirmiers (ESI), tout en déplorant que 30 % d’entre eux arrêtent en cours de formation et 10 à 15 % échouent à la fin.

Message reçu par le ministère de l’Enseignement supérieur : cette année, pour éviter un mauvais choix d’orientation et permettre d’évaluer la motivation des candidats, un questionnaire d’auto-positionnement, constitué avec les directeurs d’Ifsi, a fait son apparition sur la plateforme ParcourSup. Les candidats ont aussi l’obligation de décrire plus amplement leur motivation au regard des attendus de cette formation afin de livrer plus d’informations aux équipes d’enseignants et professionnels qui analysent les candidatures.

Plus de 63 % d’étudiants admis au jury de juillet 2022

De son côté, le Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) a diffusé récemment les résultats de son enquête annuelle « suivi de cohortes des étudiants infirmiers ». L’étude, qui repose sur des données recueillies auprès de 152 Ifsi (sur 309 structures adhérentes) donne une vision sur un panel de 44 745 ESI. Elle révèle, pour la cohorte 2021/2024, une déperdition d’étudiants entre la première et la deuxième année de 18,15 % (12,95 % de suspensions et 5,20 % de redoublements). La cohorte 2022/2025 confirme la mixité des parcours des nouveaux ESI qui intègrent la première année, véritable richesse pour les apprenants (bac général, technologique, professionnel, post-bac).

Autre enseignement : pour l’ensemble des ESI entrés en formation en 2019, 60,90 % ont décroché leur diplôme en juillet 2022, auxquels s’ajoutent des étudiants ayant redoublé ou fait une césure. Au total, le taux de réussite au jury final en juillet 2022 a atteint 63,21 %. Et plus de 93 % des étudiants présentés à ce jury final ont obtenu leur diplôme. Des résultats à mettre en perspective des performances toutes filières confondues : en France, près de 30 % des étudiants obtiennent leur licence à l’issue de trois années de formation.

« Nos chiffres montrent une tendance. Il n’est jamais simple d’attribuer un facteur à une seule cause, analyse Michèle Appelshaeuser, présidente du Cefiec. On a tendance à se focaliser sur ParcourSup, qui a ses avantages et ses inconvénients. Mais ce n’est pas le seul paramètre à prendre en compte. Les jeunes de la génération Z ont de nouvelles attentes, et puis à 18 ans on a le droit de se tromper d’orientation, c’est même courageux de prendre la décision d’arrêter ! » La présidente mentionne aussi le décalage entre l’idée que l’on peut se faire de la profession et la réalité de terrain : « La grande majorité des jeunes sortent du lycée pour rentrer dans une formation de 35 heures par semaine, avec de fortes exigences en savoirs académiques très pointus : ils ne sont pas forcément préparés en amont à ce qu’ils vont rencontrer. La profession infirmière est présente dans les représentations sociales de plein de monde, mais peut-être de façon erronée. Or c’est un métier difficile, en contact avec le malade, avec tout ce que cela peut comprendre comme responsabilités. » Le Cefiec milite pour renforcer le travail en amont, avec le corps enseignant. Et également en aval pour la formation au tutorat dans les équipes soignantes. « Les équipes sont en bout de course, avec de nombreux postes vacants : elles accueillent et encadrent des étudiants sans avoir de temps dédié pour cela, déplore sa présidente. Toutefois, on ne peut pas critiquer une équipe de soignants qui privilégie le soin par rapport à l’encadrement des étudiants, car c’est leur cœur de métier. Mais on sait qu’un étudiant mal accueilli en stage n’y retournera pas. »

De son côté, la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) a révélé, dans une enquête publiée en mars 2022, que 59,2 % des étudiants infirmiers ont déjà pensé à arrêter leur formation. Elle évoque plusieurs causes pour expliquer ce phénomène : tout d’abord la précarité financière des étudiants infirmiers, accentuée par des retards dans le versement des bourses de la part des Conseils régionaux et le fait qu’ils ne soient pas complètement intégrés à l’université (non-accès aux services universitaires, parfois au vote aux élections étudiantes…). Mais aussi la « maltraitance en stage », facteur de mal-être et démotivation des étudiants. Pour y remédier, la Fnesi plaide de longue date pour la mise en œuvre d’une « politique d’encadrement des ESI et d’évaluation des lieux de stage ».

Sur un marché de l’emploi en tension, les nouveaux diplômés ont l’embarras du choix. Naturellement, les services où l’ambiance de travail est bonne, où l’équipe reconnaît leur travail et les accompagne dans la poursuite de leur apprentissage sont plus attractifs. Étudiants, formateurs, personnels soignants ont le même objectif : délivrer des soins de qualité. Comme souligne Michèle Appelshaeuser : « On augmente les quotas, on a des taux d’abandons, mais il ne faut surtout pas baisser le niveau d’exigence, de qualité, car l’usager doit rester notre préoccupation principale. »