PARCOURS ET TÉMOIGNAGE SUR LA MUSICOTHÉRAPIE, UNE PRATIQUE EN DEVENIR | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 034 du 01/07/2023

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Nelly Madeira  

infirmière musicothérapeute au centre hospitalier spécialisé de Sevrey à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire).

Intéressée par la psychiatrie et la possibilité d’accompagner à travers la médiation, Nelly Madeira est devenue musicothérapeute au fil des expériences. La soignante raconte son parcours et détaille son quotidien pour faire découvrir son métier.

Quel est votre parcours ?

J’ai 35 ans. J’ai fait mes études d’infirmière à Chalon-sur-Saône en Saône-et-Loire, de 2007 à 2010. J’ai découvert la musicothérapie pendant mes stages. La discipline m’a tout de suite interpellée parce que je suis percussionniste. Dès la sortie d’école, j’ai commencé à travailler au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Sevrey dans un pavillon de soins de suite, pour des patients dits chroniques, hospitalisés en long séjour. Il y avait déjà un atelier de musicothérapie.

Comment définissez-vous la musicothérapie ?

C’est avant tout un instant de rencontre, d’échange avec la personne. On prend le temps pour travailler sur les problématiques du patient avec comme support la musique, quelle qu’elle soit. La musique dans les soins existe depuis longtemps. L’homme l’a toujours utilisée pour se soigner, pour communiquer, pour exercer ses rituels, pour accompagner tous les moments de la vie. Avant même qu’on parle de musicothérapie, il y avait déjà dans les hôpitaux des concerts, des auditions, la musique servait à canaliser les personnes.

À quel moment la musicothérapie a-t-elle été théorisée ?

La musicothérapie en tant que telle aurait été créée en post-Seconde Guerre mondiale, aux États-Unis, auprès des soldats traumatisés, pour les aider à verbaliser les traumatismes, les émotions, les ressentis. En France, la pratique a commencé à se mettre en place dans les années 1960. Les formations sont apparues dans les années 1980-1990.

En institut de formation en soins infirmiers (Ifsi), la musicothérapie était-elle une discipline proposée ?

Pas du tout ! On avait un module de psychiatrie où l’on se contentait de voir la psychopathologie clinique. Ce n’est qu’à travers les stages que j’ai découvert l’utilisation de la musique dans les soins, et que ce n’était pas si compliqué à mettre en place.

Comment êtes-vous devenue musicothérapeute ?

J’ai d’abord suivi trois jours d’initiation à l’atelier de musicothérapie de Bourgogne, à Dijon, ouvert à tous. On y apprend des jeux, des exercices autodidactiques, sonores et musicaux, beaucoup de mises en situation, pour découvrir les sensations lorsqu’on met son corps en mouvement, communiquer de manière non verbale avec des sons, utiliser sa voix autrement.

Et le diplôme ?

Après le départ du musicothérapeute, l’hôpital cherchait un soignant, en interne, disposé à se former. J’ai été retenue. J’ai suivi le diplôme universitaire (DU) de musicothérapie rattaché à l’université de Nantes de 2014 à 2017, en formation continue. Une semaine de cours tous les deux mois, des partiels, entre deux, et six mois de stage par année. Il faut des connaissances en musique, pas à haut niveau mais pratiquer un peu. Il y a deux profils : des soignants - éducateur spécialisé, psy, infirmier, etc. - et des musiciens - diplômés d’un conservatoire, enseignants, etc. Certains organismes privés acceptent d’autres profils.

Quelles étaient les matières ?

On revoit toute la psychopathologie clinique. Toutes les maladies qu’on peut rencontrer en psychiatrie : dépression, troubles bipolaires, du spectre autistique, psychoses, etc. On revoit aussi le développement de l’enfant, tout ce que la musique peut faire au psychisme et au corps : l’analyse musicale, l’étude phénoménologique de la musique. Quand on écoute de la musique, que se passe-t-il ? Les différentes façons de la percevoir, de l’analyser.

Et les stages ?

En première année, ce sont des stages avec des soignants. Pour permettre à ceux qui ne sont pas issus du milieu de découvrir une institution de soins. Les soignants pouvaient en être dispensés. Je les ai suivis pour découvrir les hôpitaux de jour et les enfants, une population que je ne connaissais pas. En deuxième année, ce sont des stages auprès de musicothérapeutes. En troisième année, c’est un stage autonome pendant lequel il faut mettre un projet en place. Je l’ai fait au CHS de Sevrey où j’allais reprendre l’activité.

Comment ça se passe dans l’établissement ?

Notre spécificité, c’est d’avoir un service dédié aux activités thérapeutiques : l’unité intersectorielle de soins à médiation thérapeutique. Elle regroupe une dizaine d’activités : musicothérapie, équithérapie, cynothérapie*, art-thérapie, sport, travaux manuels, soins psycho-socio-esthétiques, etc. Nous sommes une équipe de médiation à part entière, tous infirmières, infirmiers, avec une formation spécifique liée à la médiation et un atelier dédié, encadrés par un cadre de santé. Je dispose d’une salle avec du matériel : des guitares, une batterie, des percussions africaines, un handpan**, des xylophones, un piano. On reçoit les patients sur prescription médicale, depuis l’âge de 17 ans jusqu’aux résidents de l’Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, NdlR], de 9 heures à 17 heures, du lundi au vendredi. Un temps plein.

C’est donc un psychiatre qui vous envoie les patients ?

Ce sont des soins thérapeutiques, préconisés avec le soutien d’un psychiatre. Les équipes soignantes peuvent les suggérer, ou la demande peut aussi émaner du patient. Une fois la prescription établie, j’organise un rendez-vous de présentation avec le patient accompagné d’un soignant. Une première approche d’une vingtaine de minutes. Le patient explique pourquoi il est hospitalisé, son parcours de soins, son rapport à la musique. Je lui explique en quoi consiste la musicothérapie, ce qu’on peut faire et je cale des séances adaptées au profil de la personne, qui durent une heure maximum, une fois par semaine. Il faut laisser du temps au patient : ce qui est ressenti au cours d’une séance doit cheminer. Il y a un vrai travail sur soi. Ces personnes font le lien avec leur psychologue. Énormément d’émotions, de ressentis, de souvenirs émergent. Je reçois une quarantaine de patients par semaine.

La musicothérapie convient-elle à tout le monde ?

Il arrive qu’un patient ne souhaite pas participer aux séances. Dans ce cas, le refus est pris en compte. La musicothérapie est avant tout un soin, cela n’aurait aucun intérêt thérapeutique de le forcer. Les refus de ma part concernent les patients qui ne seraient pas encore assez stabilisés : risque d’auto/hétéroagressivité trop présent, état maniaque trop important, délire trop envahissant pour profiter des séances. Mais cela arrive rarement. Les patients sont généralement proposés en activité thérapeutique lorsqu’ils sont déjà stabilisés.

Que leur présentez-vous lors du premier rendez-vous ?

Les deux grands supports : la musicothérapie réceptive et la musicothérapie active.

La première, c’est tout ce qui va passer par l’écoute musicale. On va écouter entre trois et six types de musiques. Pendant l’écoute, la personne est invitée à être attentive à ce qu’il se passe en elle : ses pensées, ses émotions, ses ressentis. On échange après chaque morceau. Le patient est invité tout de suite après à s’exprimer : ce qu’il a imaginé, les souvenirs qui ont ressurgi. On fait le lien avec son vécu au quotidien.

Comment choisissez-vous les morceaux ?

Soit c’est moi, soit c’est le patient qui les propose. Certains qu’il met en lien avec son humeur ou son état du jour. Des musiques qui lui rappellent des bons moments. Quand c’est moi qui choisis, c’est un protocole appris pendant les études qu’on ne diffuse pas pour éviter les dérives. On varie : des musiques du monde, du classique, de l’instrumental, parfois avec des voix, mais le français ou la présence de textes peuvent biaiser le ressenti. J’apprécie d’utiliser des morceaux épiques pour solliciter l’imaginaire. On part du principe qu’on peut écouter n’importe quoi : l’important, c’est ce que va ressentir le patient. Il n’y a pas de recette magique !

Quel type de questions posez-vous après écoute ?

J’explore ce qui a traversé le patient. De quelle manière l’imaginaire a été sollicité. Le patient se met à imaginer des scènes, des paysages, des endroits agréables. On questionne les souvenirs, l’enfance, l’adolescence, des périodes agréables ou non. En fonction de ce qu’il verbalise, nous établissons des liens avec son quotidien actuel ou passé.

Ce ne sont donc pas toujours des séances joyeuses…

C’est aléatoire. Certaines écoutes peuvent faire remonter des émotions difficiles, des souvenirs douloureux. On est là pour échanger, pour comprendre ce qu’il s’est passé. À la fin, c’est un soulagement pour les patients. Ce sont souvent des personnes dont les émotions sont bloquées, qui aimeraient partager des choses mais n’osent pas lors d’un entretien « brut ».

Comment évaluer l’impact sur le patient ?

Il n’y a pas de grille préétablie. À chacun la sienne. J’ai créé la mienne. On ne voit pas vraiment d’évolution en une ou deux séances. Il peut y avoir un soulagement immédiat. Si la personne a évacué énormément d’émotions, par exemple.

Comment votre outil d’analyse fonctionne-t-il ?

C’est une grille d’évaluation axée autour d’un aspect cognitif : le patient peut-il se souvenir du jour et de l’heure de l’activité ? Est-il capable de relater des éléments de sa biographie ? Peut-il rester concentré le temps de la séance ? Se repère-t-il dans la salle ? Ensuite, c’est une grille d’évaluation par support. Une observation pour l’improvisation musicale, une pour l’écoute. L’idée est d’évaluer le contenu du discours du patient : par exemple, aborde-t-il l’imaginaire ou le ressenti ? Certains font de l’analyse musicale : quel instrument a-t-il reconnu ? Qui est le compositeur ? C’est un moyen de mettre ses émotions à distance, de se protéger. Ce qui peut être intéressant, c’est de voir si le patient, au bout de quelques semaines, est capable de quitter cet aspect technique pour se recentrer sur lui. Certains patients, par leur pathologie, ne sont pas capables de mener cette introspection, auquel cas, on utilise alors les séances d’écoute musicale pour le plaisir et la détente.

Et la musicothérapie active ?

On travaille avec des instruments, le corps, la voix. J’utilise beaucoup d’instruments intuitifs, accessibles qui ne mettent pas en difficulté. Des percussions africaines, le handpan, etc. Pour donner l’envie de jouer. L’estime de soi et la confiance en sont renforcées. On prend plaisir à se sentir capable de jouer, d’improviser, d’aller à la rencontre des autres à travers les rythmes. Cela fait naître une énergie de groupe. Avec les percussions, on peut faire passer différentes émotions et ressentis. On se défoule, on décharge de la colère, de la frustration, de l’angoisse. C’est une pratique dynamique qui pousse à atténuer l’apathie, le corps est en mouvement. Les patients sortent souvent d’une séance la tête vidée, remplis d’énergie. Mais ils choisissent leur support, je n’impose rien. Il arrive fréquemment que je reçoive des patients musiciens qui prennent énormément de plaisir à jouer à nouveau de leur instrument pendant leur hospitalisation. En revanche, je précise bien qu’il ne s’agit pas d’un cours, mais d’exploration, avec des temps d’échange qui rythment les séances : que ressent-il ? Comment se sent-il ? La musicothérapie peut donner à certains l’envie de continuer la musique à l’extérieur.

Comment avez-vous vu évoluer la pratique ?

En musicothérapie active, les ateliers rap se développent : c’est un genre très prisé des jeunes patients. Je monte des ateliers au cours desquels on fait du beatmaking***, les patients composent leur instrumental, sur ordinateur, ils écrivent leurs textes, ils mettent sur papier leur histoire, leurs problèmes liés à la drogue, au trafic, les relations avec leur famille, l’entrée dans la maladie, l’hospitalisation, l’acceptation, le déni, etc. On enregistre et ils repartent avec leur composition ! Les participants parlent d’un véritable exutoire pour sortir des mots qui ne viennent pas autrement.

Comment partager votre expérience ?

La musique n’est pas réservée aux musicothérapeutes, un soignant peut tout à fait mettre en place un atelier musique. Depuis cette année, je propose une formation de trois jours aux soignants : « Animer un atelier musique en institution de soins ». Cela permet de les former à l’utilisation de la musique auprès des patients. Par ailleurs, de nombreuses infirmières stagiaires accompagnent les patients en atelier ou viennent passer une journée en musicothérapie pour découvrir le métier. Il y a un véritable intérêt des jeunes pour cet exercice.

* Soin utilisant le chien comme médiateur.

** Le handpan est un instrument de musique qui captive l’auditeur par une forte attraction hypnotique et dont le timbre est unique.

*** Création de pistes musicales et rythmiques appelées Beats, le beatmaking est très présent dans le hip-hop et le rap actuel.

Formations

Recommandations du Dr Nicole Duperret-Gonzalez, psychiatre musicothérapeute, présidente de l’Association française de musicothérapie, pour découvrir la musicothérapie et se former (centres de formation reconnus par la Fédération française de Musicothérapie) :

• Université délivrant un master :

Master de Création Artistique-Art Thérapies. Institut de Psychologie, université Paris-Cité, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Lien court pour plus d’information sur le master : https://urlz.fr/mr3e.

• Université délivrant un diplôme universitaire de musicothérapie (DU) :

DU de musicothérapie rattaché à l’université de Nantes avec l’Institut de musicothérapie de Nantes :

https://medecine.univ-nantes.fr/formation-continue/du-musicotherapie

Université Paul Valéry Montpellier :

https://musicotherapie.www.univ-montp3.fr

• Institut privé non universitaire :

Atelier de musicothérapie de Bourgogne (AMB). Centre hospitalier spécialisé de la Chartreuse à Dijon (Côte-d’Or) :

https://amb-musicotherapie.fr