DOULEUR ET ANXIÉTÉ - Ma revue n° 034 du 01/07/2023 | Espace Infirmier
 

L'infirmière n° 034 du 01/07/2023

 

JE ME FORME

PRISE EN CHARGE

Une application musicale créée par un psychologue-musicothérapeute s’appuie sur les principes de l’hypnose pour faciliter différents actes et soins. Études scientifiques à l’appui.

Une matinée banale pour Gilles Guerrier, professeur d’anesthésie-réanimation, responsable de l’unité d’anesthésie en ophtalmologie à l’hôpital Cochin à Paris dans le 14e arrondissement. Il enfile sa blouse, pousse la porte du service et salue ses quatre collègues infirmières. Aujourd’hui, pour les sept blocs opératoires, cinquante-trois patients sont attendus. Pour eux, la matinée n’a rien d’ordinaire. Monsieur C., en attente d’une vitrectomie, l’admet : l’environnement hospitalier et l’idée qu’on trifouille ses yeux n’ont pas aidé à dormir. Mais ça va aller : il va écouter de la musique, celle de Music Care… Le professeur Guerrier, chercheur, s’attelle à comprendre comment moins sédater chimiquement ses patients, comment les apaiser par les sens. C’est en Nouvelle-Calédonie qu’il a découvert le dispositif médical classe 1 Music Care qui permet de soulager la douleur et l’anxiété par la musique. « Aucune musique en particulier ne soigne toutes les douleurs, introduit Stéphane Guétin, musicothérapeute, psychologue clinicien, chercheur fondateur de Music Care, fruit de nombreuses années de recherche. Le facteur principal de réussite d’une séance de musique dans le traitement de la douleur ou de l’anxiété, c’est l’adaptation aux goûts de la personne. » Ensuite, il discerne deux axes : « Les études montrent que le tempo doit être synchronisé avec les fréquences cardiaques et respiratoires, complète le spécialiste. Et qu’il faut de l’instrumental plutôt que des textes pour accéder à un état d’hypnose. »

UNE SÉQUENCE EN U

Des musiciens professionnels, parfois à la renommée internationale, créent des morceaux uniques intégrés dans Music Care dont le fonctionnement est similaire à une application d’écoute. Dans le catalogue : jazz, indien, celtique, électro, classique, tribal, tous les styles pour tous les publics. Une cinquantaine de séances sont disponibles, une vingtaine, en production. Le cahier des charges : « Répondre à la méthode de la séquence en U, une logique basée sur les principes de l’hypnose, décrypte Stéphane Guétin. On a remplacé la suggestion verbale par l’induction musicale. Une première phase avec un tempo stimulant. On le réduit progressivement pour arriver dans des fréquences basses, c’est une phase de relaxation profonde pour aller chercher un état de conscience modifié. Les fréquences cardiaques et respiratoires diminuent. La troisième phase, c’est l’éveil, la remontée, on réintroduit des sons comme de la batterie, de la percussion. » Le temps des séances est modulable en fonction de la situation.

Dans les mains, une tablette ou un smartphone, sur les oreilles, un casque. Nathalie Antolini, infirmière aux côtés de Gilles Guerrier, prend le matériel et se rend dans la chambre d’attente 103, où patiente Monsieur C., un peu nerveux. « Voudriezvous écouter un peu de musique pour vous détendre ? », propose l’infirmière. « Oh oui ! », rétorque le patient. « Qu’est-ce qui vous plairait ? » « De la musique romantique. » La soignante sélectionne la séance sur l’outil dédié, pose le casque blanc estampillé Music Care sur son interlocuteur. Il ferme les yeux, se laisse porter… Et racontera, après l’intervention, s’être endormi, lui que l’anxiété rendait fiévreux. « Magique, s’enthousiasme-t-il. Tout s’est très bien passé ! » Un ressenti personnel. Et des résultats objectifs : Gilles Guerrier a publié dans la très sérieuse revue Jama, Journal of the American Medical Association (voir Références, note 7), une étude, parmi d’autres - la littérature sur les bénéfices de la musique est désormais abondante -, selon laquelle l’anxiété et l’hypertension des patients pendant une chirurgie étaient réduites par l’utilisation de la musique en amont et que celle-ci diminuait le recours à la sédation. « Notre produit actif à nous, c’est l’émotion musicale », vend Stéphane Guétin. Lui veut délaisser les tâches d’entrepreneur pour se consacrer à nouveau à la recherche. Et relate l’expérience d’un aide-soignant qui a réalisé une étude sur l’utilisation de Music Care pendant les soins de toilette. Trois groupes de patients aux troubles cognitifs légers à modérés qui tournaient, chaque matin : la toilette sans musique, avec Nostalgie à la radio ou avec Music Care. Les soins durent entre dixhuit et vingt minutes sans musique ou avec Nostalgie, treize minutes avec Music Care qui réduit également les refus, l’agressivité, les douleurs. « L’idée, c’est de voyager loin de sa douleur », poétise Stéphane Guétin. 500 établissements de santé sur tout le territoire français, en Suisse, en Belgique utilisent Music Care, des recherches sont en cours en Afrique et en Amérique du Nord. Pas magique, Monsieur C., scientifique !

RÉFÉRENCES

Notes

1. Levitin J. D., This Is Your Brain on Music: The Science of a Human Obsession, ed. Dutton, 2007.

2. Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (Brams), projet commun de l’université McGill et de l’université de Montréal. Le Brams, auquel participent M. Robert Zatorre (McGill), Mme Isabelle Peretz (Montréal) et neuf autres chercheurs établis à Montréal, a pour mission d’élucider les mystères de la musique. On peut citer également l’article d’Hervé Platel : « Neuropsychologie clinique de la perception musicale », volume 6, issue 33, June 2006, p. 44-52, Elsevier.

3. Recherches sur la psychologie et la musique à l’université Northwestern (Illinois, États-Unis), par Nina Kraus.

4. Lechevalier B., Platel H., Eustache F (dir.) Le cerveau musicien. Neuropsychologie et psychologie cognitive de la perception musicale, De Boeck Supérieur, 2010.

5. Blood A.J., Zatorre R.J. Intensely pleasurable responses to music correlate with activity in brain regions implicated in reward and emotion, Proc Natl Acad Sci U S A. 2001 Sep 25;98 (20):11818-23.

6. Steele C.J., Bailey J.A., Zatorre R.J., Penhune V.B., “Early Musical Training and White-Matter Plasticity in the Corpus Callosum: Evidence for a Sensitive Period”, Journal of Neuroscience, 16 janvier 2013;33 (3) 1282-90 ; lien pour télécharger le pdf : https://urlz.fr/mqbN.

7. Guerrier G, Abdoul H, Jilet L, Rothschild PR, Baillard C. Efficacy of a Web App-Based Music Intervention During Cataract Surgery: A Randomized Clinical Trial. JAMA Ophthalmol. 2021 Sep 1;139 (9):1007-1013.

Bibliographie (liste non exhaustive)

• Lecourt É., La musicothérapie : Une synthèse d’introduction et de référence pour découvrir les vertus thérapeutiques de la musique/Cahier d’exercices inclus, éditions Eyrolles, 222 p., 2019.

• Édith lecourt et Todd Lubart (dir.), Les art-thérapies, 2e édition, éd. Dunod, 320 p., 2020.

• Berthelon P. (avec la collaboration) Raguin C., Cardin C. Musicothérapie en institution gériatrique. Modèle Berthelon. La dignité d’être, Édition du Non Verbal - AMBx.

• Benenzon R. O., La musicothérapie. La part oubliée de la personnalité. De Boeck Supérieur, « Carrefour des psychothérapies », 2004.

• Vrait F.X. La Musicothérapie, Éditions Que sais-je ?, 2022.