PLUS À L’ÉCOUTE DE LA VOIX DES PATIENTS ? - L'Infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 379 du 01/02/2017

 

ÉVALUATION DES MÉDICAMENTS

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Sandra Mignot  

Les patients peuvent désormais donner leur avis lors de l’évaluation de nouveaux traitements ou de la réévaluation de médicaments et dispositifs médicaux en vue de leur remboursement. Une contribution qui permettra de prendre en considération leurs attentes.

Chantal Belorgey

« Les membres des commissions doivent être libres de tout conflit » ?

Depuis novembre 2016, les patients sont invités à évaluer médicaments et dispositifs médicaux. Pourquoi avoir mis en place ce dispositif ?

Donner la parole aux représentants d’usagers est une motivation importante de la Haute Autorité de santé (HAS), qui ne date pas d’aujourd’hui. Ils sont intégrés depuis longtemps dans nos groupes de travail, par exemple dans l’élaboration des recommandations de bonnes pratiques comme membres et relecteurs. Ils participent également à des évaluations d’actes professionnels au même titre que les associations, syndicats ou collèges de professionnels de santé. Et sont inscrits comme membres votants à la Commission d’évaluation économique et de santé publique depuis sa création en 2008, et depuis fin 2015, à la Commission de la transparence(1) et à la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts). Là, nous proposons un dispositif complémentaire dont les associations peuvent se saisir volontairement, sans attendre que la HAS les sollicite.

Y a-t-il une stratégie pour développer davantage la participation des patients ?

Nous souhaitons mettre les patients au cœur de nos travaux, et évoluer vers une plus grande prise en compte de leurs besoins. On pourra ainsi s’assurer que leur point de vue soit systématiquement inclus dans les dossiers déposés pour l’évaluation d’une technologie de santé, ou que leurs positions soient davantage prises en compte lors des essais cliniques. En 2017, dans le cadre de la réflexion sur notre projet d’établissement, nous inclurons un travail méthodologique sur ce sujet : faut-il intégrer davantage de revue de la littérature sur ce point ? Associer des focus groups, des jurys citoyens, former les associations de patients, etc. ?

Pourquoi ne pas avoirun représentant de patients concerné par le produit examiné comme membre votant à la commission ?

Les membres des commissions doivent être libres de tout conflit d’intérêt, ce qui n’est pas le cas des associations de patients. Sur le plan organisationnel, on ne pourrait pas faire venir des représentants pour l’examen de chaque produit, les séances regroupant parfois l’examen d’une vingtaine de médicaments… Néanmoins, on peut déjà auditionner une association sur un sujet ou un autre.

Qu’attendez-vous de cette contribution ?

Cela permettra de mieux comprendre ce qui est important pour le patient. Car ses attentes ne sont pas forcément les mêmes que celles des professionnels. Il peut notamment accorder une grande importance à l’impact des effets indésirables sur la vie quotidienne ou avoir un positionnement face au rapport bénéfice/risque qui n’apparaît pas forcément dans les études. Nous avons déjà reçu des documents très satisfaisants en qualité et en quantité. Ce dispositif doit « s’améliorer en marchant ». Son fonctionnement et ses résultats seront analysés au bout de six mois.

Magali Leo

« Les associations doivent s’approprier cette culture de la contribution »

Comment les patients étaient-ils jusqu’à présent associés aux groupes et commissions de travail de la HAS ?

Associer des représentants des usagers à l’évaluation des produits de santé est très récent en France. La HAS comble là un retard. Par exemple, l’Agence européenne du médicament fait appel aux usagers depuis longtemps.. C’est admis dans la culture de l’institution, et d’autres pays l’ont mis en œuvre bien avant nous. En France, les représentants des usagers siègent à la Commission de la transparence (CT) et à la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (Cnedimts) depuis seulement fin 2015. Là, ils examinent les dossiers d’un point de vue transversal, sans expérience spécifique de la pathologie concernée. Ce qui est nouveau, c’est que les associations sont désormais invitées à rédiger une contribution et faire part de leur point de vue pour chaque nouveau médicament qui sera examiné ou réexaminé.

Qu’attendez-vous de ce dispositif ?

Ce qui est intéressant, c’est de pouvoir faire remonter comment les gens vivent la maladie, par rapport aux traitements qui existent déjà et à leur vécu du parcours de soin. C’est un outil supplémentaire dans l’évaluation. Mais il faut vraiment que les associations s’approprient cette culture de la contribution. Ce sera notre premier défi. Certaines sont vraiment demandeuses et font déjà régulièrement remonter des avis. Comme Renaloo(1), qui tente depuis plusieurs mois d’obtenir le remboursement en traitement d’entretien du Belatacept, un médicament anti-rejet. Et on a aussi vu récemment la ministre de la Santé refuser de supprimer le remboursement de certains médicaments contre la maladie d’Alzheimer, bien que la CT ait évalué le service médical rendu comme insuffisant. Les représentants d’usagers ont certainement pesé dans ce choix, faisant valoir que si le médicament ne soigne pas, il retarde l’évolution des symptômes et l’entrée dans la maladie. Lors des travaux de la CT, nos représentants avaient voté en faveur du maintien du remboursement. Mais ils ne représentent que deux voix. Si la HAS avait tenu compte de la perspective patient, cela aurait peut-être évité à la ministre de devoir trancher. L’usage dira si ces contributions peuvent faire basculer les choses.

Les associations pourront-elles se mobiliser avec seulement 30 jours pour faire parvenir leur contribution ?

Les modalités pour élaborer une contribution sont en effet un peu compliquées. Il faut remplir un questionnaire, pour lequel les associations se fonderont sur les informations dont elles disposent déjà, parce que les patients discutent entre eux et évaluent au quotidien les traitements. Néanmoins, il est exigeant et assez long. Je ne sais pas si toutes les associations pourront le remplir dans le délai imparti. Mais surtout, elles ne disposeront pas de l’ensemble du dossier du médicament examiné, pour des raisons de confidentialité. En conséquence, les usagers auront les informations que l’on juge utile de leur transmettre. Difficile d’émettre des avis qui ne soient pas biaisés si l’on ne dispose pas de tous les éléments… Cela pourrait limiter leur crédibilité.

1- Composée de médecins, pharmaciens, spécialistes en méthodologie et épidémiologie, la Commission dela transparence (CT) évalue les médicaments ayant obtenu leur autorisation de mise sur le marché, lorsque le laboratoire qui les commercialise souhaite obtenir leur inscription sur la liste des médicaments remboursables. La Cnedimts est l’équivalent de la CT pour les dispositifs médicaux et technologies de santé.

1- Association de patients maladie rénale, greffe, dialyse.

CHANTAL BELORGEY

DIRECTRICE DE L’ÉVALUATION MÉDICALE, ÉCONOMIQUE ET DE SANTÉ PUBLIQUE (HAS)

→ 1984 : exerce comme généraliste

→ 1988 : diplômée en pharmacovigilance

→ 1993 : évaluatrice scientifique à l’Afssaps, devenue l’ANSM. Promue chef du département de l’évaluation des essais cliniques et des médicaments de statut particulier, puis directrice des médicaments en oncologie, hématologie, néphrologie et immunologie

→ 2016 : directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique à la HAS

MAGALI LEO

JURISTE SPÉCIALISÉE EN DROIT DE LA SANTÉ AU COLLECTIF INTERASSOCIATIF SUR LA SANTÉ (CISS)

→ 2006 : obtient un master 2 en droit et management des organisations sanitaires et sociales

→ 2008 : chargée de mission auprès du Ciss

→ 2011 : représente le Ciss au conseil de la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés, et participe, à ce titre, aux débats avec les partenaires sociaux portant sur des projets de textes réglementaires ayant trait aux droits des assurés

POINTS CLÉS

→ Depuis novembre 2016, les associations des patients peuvent s’informer sur les médicaments et dispositifs médicaux en cours d’examen par les commissions de la HAS en vue de leur remboursement. Elles peuvent rédiger une contribution sur la base d’un questionnaire en précisant leur vécu des traitements existants, l’impact de la maladie sur leur qualité de vie et leur entourage, leurs attentes vis-à-vis d’une nouvelle thérapeutique, etc.

→ Toute association de patients peut soumettre une contribution. Chaque année, environ 200 procédures d’instruction pour le médicament et 100 procédures pour le dispositif médical sont concernées.

→ Les contributions seront jointes au dossier que reçoit chaque membre de la commission, comme un rapport d’expert, au même titre que les autres pièces. Le contenu des débats sera disponible dans les comptes-rendus de séances qui seront mis en ligne, ce qui pourrait permettre d’évaluer de quelle manière les contributions sont prises en compte. Au 10 janvier, 18 médicaments avaient déjà été proposés à contribution.