Le brancardage, un trait d’union entre les services - L'Infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 370 du 01/04/2016

 

FORMATION

ORGANISATION

HÉLOÏSE RAMBERT  

Focus sur la fonction brancardage, ce maillon discret et indispensable du parcours de soins du patient. Et qui nécessite une coopération étroite avec les différentes unités et les plateaux médicotechniques pour assurer la continuité des soins en toute sécurité.

Assimiler la fonction brancardage à une simple fonction de « taxi intra-hospitalier », serait bien trop réducteur. « Il s’agit bien de transporter un patient, mais avec toutes les précautions nécessaires à son état clinique et à sa dignité », s’amuse Jean-Yves Gerbet, responsable de la fonction transport patient au CHU de Dijon. Véritable soutien du soin, la fonction de brancardage au sein des structures hospitalières est un maillon crucial de la chaîne pour optimiser les activités des services de soins et médicotechniques. Un brancardage fluide, qui amène et vient rechercher les patients sans retard, est en effet synonyme de garantie d’optimisation des plateaux techniques, dans un système hospitalier désormais financé à l’activité et qui a résolument pris le virage de la chirurgie ambulatoire. « Les services de chirurgie ambulatoire ne sont pas toujours intégrés aux blocs opératoires : ils sont alors dépendants du brancardage. Sans cette prestation, le système se ralentit, les objectifs journaliers de performance ne sont pas atteints », confirme Jean-Yves Gerbet.

Une fonction très importante pour le patient et l’équilibre financier, mais discrète… « Quand on ne parle pas du brancardage à l’hôpital, c’est bon signe. Cela veut dire que la prestation fonctionne sans problème. D’ailleurs, dans ce cas-là, le téléphone ne sonne presque pas à la régulation, les cadres ne sont pas interpellés et les brancardiers mieux accueillis dans les unités », poursuit le responsable.

Moins de manutention

Comme son nom ne l’indique pas forcément, le brancardage ne va plus systématiquement de pair avec la manutention des patients. Le transport peut se faire directement dans le lit ou le fauteuil de chambre, comme c’est le cas au CHU Dijon Bourgogne. « Nous transférons très peu les patients sur des brancards. D’ailleurs, aucune qualité physique, en dehors de la capacité à marcher beaucoup – entre 9 et 10 km par jour ! –, n’est nécessairement requise dans notre hôpital pour exercer ce métier grâce aux aides mécanisées. 40 % de nos effectifs sont féminins », explique Jean-Yves Gerbet. Si la diminution de la manutention épargne les troubles musculo-squelettiques des brancardiers et brancardières, elle a aussi une autre conséquence vertueuse : elle limite les risques infectieux, la majorité des agents infectieux étant manuportés. Mais certains établissements ne se prêtent pas complètement à ce genre de déplacements. « La configuration de certains hôpitaux avec des bâtiments historiques qui comportent des passerelles, des couloirs trop étroits ou de trop petits ascenseurs, ne permettent pas toujours de transporter les patients dans leurs lits. Il faut alors utiliser les bonnes pratiques de manutention pour transférer le patient sur un brancard avant de le déplacer », nuance Fabienne Billault, responsable de la fonction transport au CHU de Montpellier. Et d’ajouter : « Les établissements développent également de plus en plus le déplacement des patients vers le bloc à pied ou en fauteuil roulant quand leur état le permet. »

Des brancardiers et des managers aux profils hétérogènes

Si tous les brancardiers effectuent peu ou prou les mêmes gestes, leur formation n’est pas uniformisée à l’échelle nationale. Le choix relève de la politique de formation de l’établissement de santé. Certains vont privilégier l’emploi d’agents dotés de l’attestation d’auxiliaire ambulancier, comme c’est le cas au CHU de Dijon. D’autres, comme le centre hospitalier de Montpellier, ont fait un choix différent en préférant recruter sur cette fonction des agents titulaires du diplôme d’aide-soignante et aujourd’hui du diplôme d’ambulancier, dont le cœur de métier est le transport. Un choix qui, d’après Fabienne Billault, permet de professionnaliser cette fonction et garantir la qualité des prestations. Mais dans un souci de maîtrise des coûts, force est de constater que la tendance est à employer des agents sans qualification, formés en interne.

Le profil des responsables qui encadrent les équipes de brancardiers sont eux aussi hétérogènes. Il peut s’agir de cadres de santé qui se sont formés à la gestion des flux, ou de cadres qui viennent de la logistique et ont appréhendé le monde du soin. De même, l’organisation du brancardage n’est pas toujours identique. Alors que certains hôpitaux ont des équipes de brancardiers dédiées (une au bloc opératoire, une autre à l’imagerie, une troisième au transfert entre unités de soins et services de consultation…), d’autres – de plus en plus nombreux – ont opté pour la centralisation complète pour plus de performance. « Une organisation complètement centralisée, pensée avec une logique de gestion des flux, doit répondre aux besoins de tous les secteurs d’activité avec la capacité à intégrer les aléas liés aux soins et à en limiter l’impact sur l’organisation globale », notent Jean-Yves Gerbet et Fabienne Billault. Avec 850 brancardages par jour sur Dijon et 700 sur Montpellier, auxquels s’ajoutent 7 à 10 % de déplacements inutiles (le patient ou le dossier n’est pas prêt), les deux CHU développent au quotidien des actions d’organisation permettant d’optimiser les déplacements des brancardiers sur le terrain. « Quand on manage le brancardage d’un hôpital, on recherche à ce qu’un brancardier se déplace le moins possible à vide pour prendre en charge le patient suivant », précise Jean-Yves Gerbet.

Une demande de transport précise

Les tutelles et la Haute Autorité de santé (HAS) portent une attention particulière au parcours de soin du patient. Le brancardage fait partie intégrante de ce processus et doit absolument être organisé pour pouvoir assurer la continuité des soins. Si la fonction a longtemps été un peu virtuelle, elle est aujourd’hui intégrée dans l’organisation de ces parcours. Dès lors qu’il prend en charge un patient, le brancardier en devient responsable et sa responsabilité cesse au moment où il le dépose à destination et transmet, à la personne qui prend le relai, les risques potentiels liés à ce patient et toute information utile, dans une démarche de gestion des risques, ceci dans la limite de ses compétences et des informations transmises. Avec la demande de transport, les brancardiers doivent aussi recevoir les informations nécessaires sur le patient, des informations qui donnent du sens à leur travail et qui vont leur permettre de prendre en charge le patient dans les meilleures conditions possibles et de la manière la plus efficiente possible. « Lorsque le patient sort de sa chambre, la structure hospitalière lui doit la même qualité de soin, la même surveillance et la même attention. Donc, il faut communiquer », rappelle Fabienne Billault. Les brancardiers doivent être informés par les infirmières et les aides-soignantes des spécificités de chaque patient, susceptibles d’affecter le transport et donc l’organisation des soins.

→ Informations importantes

• Les conditions de transport : les brancardiers doivent disposer des précautions nécessaires au transport du patient (si le patient peut être déplacé dans son lit, en fauteuil, en brancard, ou même s’il s’agira de l’accompagner à pied s’il peut marcher). C’est d’ailleurs aux services de soins d’évaluer le mode de transport le plus adapté à l’état du patient.

• L’âge du patient : par exemple, pour la sécurité des enfants, les brancardiers doivent prévoir le matériel adapté pour installer et sécuriser les jeunes patients sur le brancard.

• La présence ou non de douleur chez le patient à transporter (lire p. 48) et, si elles existent, des informations sur la façon dont il faut mobiliser le patient.

• La taille et le poids des patients, toujours dans une optique de prise en charge adaptée : « Dans la demande de transport, des critères sont indispensables à identifier, dont la taille et le poids. Le brancardage a besoin de ces informations pour savoir quel matériel prévoir pour la manutention, quels effectifs mobiliser. Il y a des techniques de manutention bien précises, il faut être attentif à utiliser également le bon matériel pour ne pas générer de douleur induite », explique Fabienne Billault.

• La présence éventuelle d’oxygénothérapie ou d’autres dispositifs médicaux demandant une surveillance particulière.

• Les éventuelles précautions d’isolement : « Des mesures d’hygiène standard, qui passent par le nettoyage minutieux du matériel, la désinfection des mains… sont bien sûr prises à chaque acte de brancardage. Il existe d’ailleurs des protocoles d’hygiène, validés par le comité de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) et déclinés pour les brancardiers. Mais certains patients présentent un niveau de risque supérieur. Il faut le savoir en amont, car il peut alors s’avérer nécessaire, par exemple, de faire porter un masque au patient, ou d’en faire porter un au brancardier », insiste Fabienne Billault.

• D’éventuels troubles du comportement du patient : c’est une information importante pour le brancardier, qui peut s’attendre à un mode de communication différent. Mais c’est surtout essentiel pour le brancardier afin qu’il soit en mesure de le signaler aux services médicotechniques qui vont accueillir le patient et qui pourront être attentifs à un risque de fugue ou de réaction inappropriée.

Sens relationnel et réactivité

« Le client du brancardage, c’est l’unité de soin. Mais celui qui va bénéficier directement de la prestation, c’est le patient ! Cela suppose pour le brancardier de bonnes capacités à l’empathie. C’est l’une des qualités essentielles du métier », détaille Jean-Yves Gerbet. Mais pas la seule… Considérés désormais comme des acteurs à part entière de la chaîne du soin, les brancardiers doivent avoir des connaissances de base dans différents domaines (anatomie, physiologie, hygiène, droits des patients, communication et relation d’aide, etc.), ainsi que sur le matériel utilisé et sur certaines techniques d’imagerie. « Par exemple, si un brancardier transporte un patient pour une IRM, il doit être capable de lui indiquer à sa demande, en des termes simples, les modalités de l’examen, afin de le rassurer. En lui expliquant, par exemple, qu’il va être installé dans un “tunnel”, et que ce n’est pas douloureux », poursuit Jean-Yves Gerbet. Il est tenu au secret professionnel et ne doit pas outrepasser son domaine de compétences.

Les brancardiers doivent également faire preuve d’une vraie capacité de réaction et d’adaptation. « En pratique, dans un centre hospitalier comme le nôtre, presque 70 % des demandes de brancardages sont demandées dans l’heure qui précède l’acte alors que bon nombre d’examens et d’interventions chirurgicales sont au planning depuis longtemps… Nous sommes donc contraints de travailler sur notre réactivité », précise Jean-Yves Gerbet. Les brancardiers sont souvent obligés de s’adapter à un contexte qui n’est pas toujours décrit en amont, et qu’ils peuvent découvrir au moment où ils pénètrent dans la chambre (patient non informé, patient pas prêt…) « Ils se doivent d’être réactifs, sinon le temps perdu entraînera des retards pour un autre patient qui devra alors attendre à son tour », note Fabienne Billault. Pendant qu’ils les accompagnent, les brancardiers surveillent les patients dont ils sont responsables et doivent savoir réagir de la bonne manière en cas de problème. Cet état de fait justifie, pour Fabienne Billault, le fait de recourir à des brancardiers formés : « Les brancardiers sont capables de repérer un malaise, un manque d’oxygène, de porter les premiers secours. C’est pour cela que travailler avec des professionnels diplômés, pour nous, est un gage de qualité et de compétences. »

Les enjeux : respect de la dignité et du confort des patients

Au-delà des aspects techniques, le respect du patient et de sa dignité est au centre des préoccupations du brancardage. Une fonction qui fait partie des métiers d’assistance aux soins selon le répertoire des métiers de la santé et de l’autonomie de la fonction publique hospitalière. « Comme tous les autres soignants, les brancardiers sont tenus de respecter la charte du patient hospitalisé. Nous suivons les mêmes règles concernant les aspects déontologiques, le respect du patient et le respect de sa pudeur…Il n’y a pas, pour autant, de réglementation spécifique pour cette profession », déplore Jean-Yves Gerbet.

« Les recommandations de la HAS concernent la qualité de l’organisation, le respect des exigences d’hygiène et de sécurité, le respect de la dignité, de la confidentialité et du confort du patient, ainsi que la mesure de la satisfaction du patient et les actions développées dans le cadre de la maîtrise des délais d’attente », insiste Fabienne Billault.

Une attention toute particulière doit être portée aux vêtements du patient lorsqu’il est déplacé d’un service à un autre. Des règles de bons sens sont à respecter. « Pour certains modes de transport, comme le fauteuil roulant, nous nous devons de refuser que le patient soit pieds nus, avec des surchaussures, par exemple. Pas plus que l’on n’accepte qu’il soit en chemise ouverte à l’arrière ! Quand un brancardier dépose un patient dans une salle d’attente, il peut parfois être amené à l’installer avec d’autres personnes en consultations externes, qui, elles, seront habillées. Cette situation peut créer un sentiment d’humiliation et d’infériorité. Un peignoir ou un autre mode de transport sont préconisés dans les procédures de commande de transport », précise Fabienne Billault. Si le patient est déplacé dans un lit, et qu’il est couvert par des draps et des couvertures, les problèmes de dignité sont moins aigus : les patients alités, dans la plupart des cas, ne sont d’ailleurs pas accueillis dans les mêmes salles d’attente que les consultants externes.

De même, les brancardiers doivent limiter au maximum l’attente des malades, génératrice d’inconfort et de stress. « Le rendez-vous à l’heure fait partie des principes qualité. Un patient est indéniablement mieux dans sa chambre que sur un brancard à attendre qu’on le ramène », conclut Fabienne Billault.

ÉTUDIANTS EN IFSI

Références des UE et extraits de contenus :

→ UE 1.3 S1 « Législation, éthique, déontologie » (compétence 7) : notion de responsabilité professionnelle, confidentialité et secret professionnel ;

→ UE 4.1.S1 « Soins de confort et de bien-être » (compétence 3) :aide à la mobilisation, bonnes pratiques et sécurité dans les soins ;

→ UE 4.5.S2 « Soins infirmiers et gestion des risques » (compétence 7) :le risque et la sécurité sanitaire, liés aux soins, le risque infectieux, la circulation des personnes et des matériels… ;

→ UE 4.5.S4 Objectifs, méthodes spécifiques d’identification, d’analyse et de traitement des risques ;

→ UE 5.5.S5 « Mise en œuvre des thérapeutiques et coordination des soins » (compétences 4 et 9).

RISQUE ASSOCIÉ AU BRANCARDAGE

L’ÉNORME ENJEU DE L’IDENTITOVIGILANCE

Même si l’identitovigilance a fait du chemin ces dernières années dans les hôpitaux, l’erreur de patient reste une préoccupation constante. Le brancardier participe à la maîtrise de ce risque.

→ Des mesures d’identito-vigilance ont été mises en place dans les établissements de soins pour minimiser au maximum le risque d’erreur.

• Avant toute chose, le risque doit être réduit par une bonne collaboration entre les brancardiers et les soignants : les soignants, au moment de la demande de transport, doivent transmettre le nom, le prénom, et aussi la date de naissance de la personne qui doit être déplacée.

• Certaines maladresses ne doivent pas être commises au moment où les brancardiers arrivent auprès du patient pour le prendre en charge et cherchent à l’identifier parmi un groupe de personnes. « Il ne faut jamais arriver à brûle-pourpoint dans une chambre et dire en poussant la porte : “Qui est Madame X ou, M. Intel, s’il vous plait ?” Le risque que plusieurs personnes répondent “Oui” ou “C’est moi” est très grand et le risque d’erreur qui en découle aussi », rappelle Jean-Yves Gerbet, responsable de la fonction transport patient au CHU de Dijon.

• En revanche, au moment de la prise en charge, les brancardiers doivent demander au patient de décliner son identité et donner sa date de naissance.

• Les brancardiers doivent s’appuyer sur le bracelet d’identification-patient qui devient obligatoire dans tous les établissements de santé.

• Si un doute subsiste sur l’identité (si, par exemple, le patient ne peut pas donner son nom et sa date de naissance, car il est dans l’impossibilité de communiquer ou qu’il a des difficultés de compréhension), il est demandé au brancardier de vérifier l’identité du patient auprès d’un soignant du service qui en a la responsabilité.

→ Les nouvelles technologies viennent en soutien de l’identitovigilance, comme au CHU de Dijon. Les brancardiers s’appuient sur un système d’information, interfacé avec celui des soignants. « Lors de la demande de transport, nous récupérons, entre autres informations, l’identité exacte du patient, son numéro de séjour, ainsi que son numéro de chambre », ajoute Jean-Yves Gerbet. Les informations sont transmises sur le smartphone dont est équipé chaque brancardier. Pour améliorer la traçabilité du parcours du patient et éviter les erreurs, « nous avons pour projet de recueillir les informations du patient sur le code du bracelet (identitovigilance), de lire le code de la salle de soins des infirmières pour tracer la transmission d’informations quand nous venons chercher le patient (ce qui permettrait de mieux communiquer avec elles) et celui de l’endroit où nous le déposons ». Car si l’erreur de patient est une crainte pour le brancardier, emmener le bon patient au mauvais endroit est tout aussi dommageable…