L’HÔPITAL PUBLIC, MAUVAIS ÉLÈVE - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

CONTRACTUELS

ACTUALITÉS

À LA UNE

MARIE ALÈS  

La loi Sauvadet de 2012 doit contribuer à résorber l’emploi précaire au sein de la fonction publique. Mais à un an de la fin du dispositif, les résultats de l’hôpital sont bien minces. La faute aux contraintes budgétaires, mais pas uniquement. Explications.

Titulariser des contractuels, encadrer leur recours et sécuriser leur parcours : tels sont les objectifs de la loi Sauvadet de 2012, dite loi ANT (agents non titulaires). Pour y parvenir, les trois versants de la fonction publique (État, territoriale et hospitalière) disposaient de quatre ans, le dispositif prenant fin en mars 2016. Trois ans après(1), sur les 44 000 titularisations potentielles(2) dans la fonction publique hospitalière, seules 2 488, dont 1 403 pour la filière soignante, ont été recensées au 15 juillet 2014. Certes, les chiffres ne sont pas définitifs, la totalité des établissements n’ayant pas transmis de données, et la situation sur le terrain est contrastée, comme le souligne Philippe Crépel, de la CGT santé action sociale : « Les contractuels sont les plus nombreux dans les établissements de petite taille et les maisons de retraite, où ils peuvent représenter 50 % des effectifs. Ils sont aussi plus présents dans certaines régions, où les tensions démographiques sont fortes. » Mais ce premier constat interpelle : pourquoi la FPH a-t-elle tant de difficultés à appliquer la loi ?

Difficultés budgétaires

Les syndicats sont unanimes : les contraintes financières expliquent en grande partie la situation. « On demande depuis plusieurs années des économies aux hôpitaux et, en 2015, elles s’élèvent à 700 millions d’euros. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie va encore baisser, alors que l’activité augmente. La masse salariale représente de 70 à 90 % des dépenses d’un hôpital. L’emploi, et donc les contractuels, sont la variable d’ajustement », résume Denis Basset, secrétaire fédéral FO santé. « De nombreux établissements ont des plans de retour à l’équilibre, les directeurs n’ont pas de budget », ajoute-t-on du côté de Sud santé.

Dans ce contexte, la titularisation des contractuels coûte cher. « Lors de la titularisation, il faut reprendre l’ancienneté du contractuel », note Marc Taillade, DRH du CHU de Nîmes. « Des éléments de rémunération ne sont pas versés aux contractuels, comme la prime de service et la prime d’installation », observe pour sa part Marie-Cécile Mocellin, de l’Association pour le développement des ressources humaines des établissements sanitaires et sociaux (Adrhess). Les contractuels étant couverts par l’Assurance maladie, la prise en charge directe par l’employeur de la protection sociale participe aussi au coût de la titularisation.

La complexité pour organiser des concours réservés est un autre élément d’explication. « Organiser des concours implique une certaine lourdeur administrative. Les hôpitaux ont parfois plus intérêt à organiser des concours normaux, auxquels pourront postuler les agents contractuels entrant dans le champ de la loi ANT et ceux recrutés plus récemment », relève Marie-Cécile Mocellin. La directrice adjointe du pôle RH de la Fédération hospitalière de France (FHF), Marie Houssel, remarque d’ailleurs que les statistiques établies par la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour suivre l’accord ANT ne prennent pas en compte les contractuels titularisés par la voie des concours de droit commun.

Critères d’éligibilité

Les critères d’éligibilité des contractuels pour être titularisés sont également mis en avant par les DRH. Les salariés doivent travailler à temps complet. Or, nombre d’entre eux sont à temps partiel pour pouvoir aussi exercer en libéral. C’est notamment le cas des kinésithérapeutes, des orthophonistes, des psychologues… Enfin, certains contractuels refusent d’être titularisés. « Quelques métiers n’ont pas d’équivalence statuaire – recherche, contrôle de gestion… – et les personnes sont alors recrutées en CDI. Des compétences particulières sont aussi recherchées, par exemple en informatique. Pour les attirer, le salaire doit correspondre au marché. Rester en CDI permet de conserver cet avantage financier », note Marie-Cécile Mocellin. Cela peut aussi être le cas pour les infirmières spécialisées dans certains territoires peu attractifs ou frontaliers, notamment avec la Suisse.

Problème récurrent

Les syndicats mettent en cause la mauvaise volonté de certains hôpitaux. La FHF et les établissements s’en défendent. « Il est impératif d’assurer la continuité des soins. Nous ne pouvons pas fonctionner sans des contractuels pour remplacer les titulaires indisponibles », observe Marie-Cécile Mocellin. Les syndicats s’interrogent néanmoins sur la proportion parfois élevée de contractuels en CDD. « Avoir environ 10 % de contractuels nous paraît normal, mais 25 %, cela pose problème », déclare Philippe Crépel. Ils pointent aussi le cas des contractuels en CDD depuis 4, 6 voire 8 ans. « D’aucuns sont sur des postes vacants et pourraient être titularisés, explique Jean-Marc Devauchelle, secrétaire général de Sud santé AP-HP. D’autres se retrouvent en remplacement après avoir été sur le même poste, mais en permanent. Ils ne répondent plus, alors, aux critères d’éligibilité. » « Notre problème est de voir les postes pérennes à long terme », relève Sandrine Poirson-Schmitt, directrice de la gestion des carrières, du budget et des effectifs aux Hospices civils de Lyon (voir encadré). Certains titulaires sont, en effet, indisponibles sur de longues durées, mais peuvent revenir. Impossible, alors, de titulariser leurs remplaçants. « Lors de restructurations et de suppressions d’emplois, les établissements peuvent être tentés de garder des contractuels », remarque aussi Sandrine Poirson-Schmitt.

Des établissements tardent également à se pencher sur le problème. D’où la circulaire de la DGOS, en date du 12 mars 2015, incitant les hôpitaux à s’atteler à la tâche. L’AP-HP est rentrée dans le rang fin avril, en signant un accord avec la CFDT pour résorber l’emploi précaire (voir encadré). « Cela concerne 3 % des effectifs, c’est mieux que rien », estime Laurence Mennuni, secrétaire fédérale CFDT.

Quant à la prolongation du dispositif annoncé oralement le 16 mars par Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique, rien ne se profile, sachant qu’il faudrait de nouvelles dispositions législatives. Pour les syndicats, « l’emploi précaire est un problème récurrent ». Effectivement, la loi Sauvadet n’est que le quinzième plan de lutte contre la précarité dans la fonction publique.

1- Les textes d’application (décret n° 2013-121 et arrêtés relatifs aux examens professionnalisés et aux concours réservés) ont été publiés entre avril et juin 2013.

2- La loi Sauvadet prévoit la titularisation des agents en CDI à la date de publication de la loi. Sont aussi concernés les agents en CDD recrutés sur des emplois permanents au 31 mars 2011, justifiant de quatre ans d’ancienneté dont deux au moins avant le 31 mars 2011. Ces agents en CDD doivent passer un concours spécifique ou un examen professionnel.

REPÈRES

→ Les effectifs de la FPH en 2012 : 1,137 million de personnes dont 73 % de titulaires et 17 % de contractuels (10 % autres statuts).

→ Entre 2002 et 2012, les effectifs totaux ont augmenté de 1,6 %, et ceux des non-titulaires de 4 %.

AP-HP

Plus de 1 000 titularisations prévues en 2015

Le protocole d’accord signé le 22 avril prévoit l’accès à la titularisation de plus de 700 agents de catégorie C – environ 150 sont contractuels depuis plus de quatre ans – et de 250 agents de catégorie B. Pour les agents de catégorie A, 473 autorisations de mise en stage sont prévues au deuxième trimestre 2015 pour les IDE. Tous les CDD de plus de deux ans, qui arrivent à terme d’ici fin 2015, « feront l’objet d’un examen attentif afin de pouvoir, dans toute la mesure du possible, renouveler ces contrats sur des emplois permanents vacants ou sur de nouvelles missions », assure l’AP-HP dans un communiqué.

HOSPICES CIVILS DE LYON

Le cap des six ans

Les Hospices civils de Lyon comptent 16 753 personnes, dont 2 034 CDD (soit 12 % des effectifs) et environ 500 CDI. Les IDE et IDE spécialisées sont 5 126, dont 8,3 % de CDD. « Nous effectuons un suivi des agents atteignant six ans d’ancienneté, afin de régulariser ces situations par une stagiarisation ou une CDIsation, selon les cas. Tous les ans, cela représente 20 à 30 situations individuelles », explique Sandrine Poirson-Schmitt, directrice de la gestion des carrières, du budget et des effectifs. Le caractère non pérenne d’un poste est la principale raison qui explique la longueur du délai avant le stage ou la CDIsation, notamment dans le secteur de la recherche. Les IDE, elles, sont stagiairisées en moyenne après un an d’ancienneté, si l’évaluation est bonne.

CH DE VALENCIENNES

20 % de CDI

Le CH de Valenciennes emploie environ 5 000 personnes, dont 75 % de titulaires, 20 % de CDI et 5 % de CDD. Sur les 1 200 IDE, 243 sont en CDI et 100 en CDD. En juin 2014, la direction a signé un accord avec les syndicats pour titulariser 500 agents en CDI en cinq ans. Pour Agnès Lydia-Truffier, la DRH, « les critères sont plus favorables que la loi Sauvadet ». Les agents les plus anciens sont titularisés en premier, sous réserve des conditions de présentéisme. 100 agents ont été titularisés en 2014, dont 34 IDE. « Un certain nombre de CDI n’a pas souhaité être titularisé, note Agnès Lydia-Truffier. La grille des salaires des CDI est plus favorable, car nous prenons en compte l’expérience. Nous proposons aussi une gestion de carrière. De façon pragmatique, il vaut mieux avoir une politique pour les CDI que d’avoir des CDD sur 10 ans, qui ne sont pas acceptables. Proposer des CDI permet aussi d’être attractif par rapport au réseau de santé privé. »

Articles de la même rubrique d'un même numéro