Une lente montée dans les établissements de santé - Objectif Soins & Management n° 0286 du 31/03/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0286 du 31/03/2022

 

Radicalisation

ACTUALITÉS

Anne Lise Favier

  

L’urgentiste Patrick Pelloux a rendu début mars 2022 au ministre de la Santé son rapport sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant en établissement de santé. S’il estime le nombre de cas de radicalisation relativement faible, il pointe toutefois une augmentation lente mais constante du phénomène ces 30 dernières années. Il formule 19 recommandations pour se saisir de la question.

« Lorsque j’ai commencé mes études médicales dans les années 1980, il n’y avait pas de sujet sur la radicalisation et notamment avec les médecins, les soignants […] qui ne parlaient pas de religion » : Patrick Pelloux, chargé par le ministre de la Santé d’une mission sur la radicalisation dans le monde de la santé*, est catégorique. Selon lui, le phénomène reste quantifiable et quantifié (une dizaine de cas signalés) mais se montre suffisamment préoccupant pour que les instances sanitaires s’y intéressent de près. Au cours de ses auditions pour construire son rapport, il s’est rendu compte que les prémisses sont probablement apparus dans les années 1990 « avec un communautarisme, des actes de radicalisation, des conflits sur le port du voile, et parfois l’entrée d’associations dont le but véritable est du prosélytisme, des remises en cause des actes médicaux et chirurgicaux, un sexisme sournois ». Des faits qu’il regrette d’autant plus car, selon lui, « cela remet en cause l’exercice de la science et certaines pratiques de la médecine, telles que l’avortement, la procréation, la réanimation et [la prise en charge de] certaines maladies graves ». En effet, l’hôpital est, pour l’urgentiste, un objet d’étude spécifique à traiter dans la politique globale de lutte contre la radicalisation. Et de rappeler que la présence d’un agent radicalisé au sein d’un établissement de santé pourrait avoir des conséquences qu’il est « nécessaire d’anticiper et de prévenir ». Notamment pour éviter le prosélytisme lors de la prise en charge des patients mais aussi car un agent radicalisé pourrait avoir accès à des données sensibles et personnelles, voire augmenterait le risque de cyberattaque. Le risque concerne aussi la sécurité globale de l’établissement et l’accès à des substances dangereuses (risques biologique et chimique).

Prévention positive

Pour réaffirmer les principes de la laïcité et du vivre ensemble dans les établissements de santé, les conclusions du rapport dressent un ensemble de 19 recommandations destinées à « encourager une prévention positive sans écarter les personnes exerçant leur culte dans le respect des règles établies par les services publics ». Ces recommandations s’organisent selon 4 grands axes.

Le premier, le plus important, s’attache à sensibiliser et former les agents publics à la laïcité : Patrick Pelloux veut ainsi rendre obligatoire et systématique la signature de la charte de laïcité lors de l’embauche de tout agent. Il propose également de renforcer les formations initiale et continue et d’organiser des événements pour sensibiliser les agents hospitaliers à la prévention de la radicalisation et au respect de la laïcité. Il estime aussi qu’il faut mettre en place un suivi quantifié des signalements et cas observés en lien avec les ARS et promouvoir des travaux de recherche sur les phénomènes de radicalisation. Au niveau des établissements, Patrick Pelloux estime qu’une méthode doit être mise à la disposition des services RH et juridiques pour la prévention et le traitement des éventuels signalements, avec même un renforcement du contrôle des personnels avant l'embauche.

Deuxième point mis en avant dans les recommandations, la représentation des cultes à l’hôpital : le rapport préconise d’actualiser le cadre juridique des aumôneries hospitalières et de proposer un débat sur leur financement ; il met l’accent également sur le renforcement de l’encadrement des associations intervenant dans les établissements de santé.

Troisième axe des recommandations, les pratiques médicales : celles-ci doivent toujours avoir la primauté pour éviter les dérives, et des travaux doivent être menés sur la psychiatrie et le secteur libéral.

Enfin, dernier point, la gouvernance : le rapport insiste sur la nécessité de fusionner et renforcer le rôle des référents radicalisation et laïcité au sein des ARS, tout en améliorant le circuit de traitement des signalements et la coordination des acteurs. Pour favoriser un meilleur partage d’informations, Patrick Pelloux mise sur une action interministérielle sur le terrain, comme c’est déjà le cas dans d’autres domaines de lutte contre la radicalisation.

Vigilance

« Ce rapport est une étape », a conclu Patrick Pelloux : convaincu que l’hôpital est la cible d’un radicalisme, notamment islamiste, il appelle de ses vœux une « mobilisation contre un système, qui, par certains principes religieux, est une régression de l’éthique scientifique et du droit des malades » ; et de citer la mobilisation des religions autour des sujets de procréation ou de fin de vie.

*https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_p_pelloux_vdiffusion.pdf