« L’investissement est une respiration » - L'Infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 356 du 01/01/2015

 

INTERVIEW : Patrice Legrand Membre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS)

DOSSIER

Madeleine Estryn-Béhar a dirigé, entre 2003 et 2005, le volet français de l’enquête Presst-Next sur la santé des soignants. Elle regrette que l’organisation des services ne se soit pas vraiment améliorée depuis.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quels étaient les besoins lorsque les plans Hôpital 2007, puis Hôpital 2012 ont été lancés ?

PATRICE LEGRAND : Ils étaient réels. Au début des années 2000, une partie de l’offre de soins était obsolète ou en inadéquation avec les besoins de la population. Il était nécessaire de rénover des bâtiments parfois très vétustes et surtout, de restructurer l’offre de soins. Dans certains établissements, des services n’étaient plus assez fréquentés, des maternités avaient de la peine à satisfaire aux normes et donc à recruter du personnel médical. J’ai par exemple visité un CHU où la maternité de niveau 3 n’était pas située sur le même site que la réanimation néonatale.

L’I. M. : Votre rapport met en évidence certaines dérives de ces plans d’investissement…

P. L. : Des établissements se retrouvent aujourd’hui en surcapacité. Ils ont augmenté leur nombre de lits, d’équipements, en faisant le pari de récupérer la patientèle de l’hôpital voisin. Mais celui-ci a parfois les mêmes projets. Au final, les deux se retrouvent en difficulté. Des bâtiments sont surdimensionnés : trop grands, ils sont coûteux en fonctionnement et en entretien. L’autre grande cause de dérive est financière : le plan Hôpital 2007 prévoyait au départ 6 milliards d’euros d’investissement direct et 6 milliards d’aide à l’investissement. Mais 8 mil?liards d’euros supplémentaires ont été dépensés, la plupart du temps en ayant recours à l’emprunt. Entre 2002 et 2011, la dette des établissements de santé a triplé, passant de 10 à 30 milliards d’euros. Bien entendu, l’endettement n’est pas en soi une mauvaise chose. Mais quelques établissements – Caen, Saint-Étienne, Grenoble – se sont retrouvés dans une situation déséquilibrée, avec une charge de la dette trop importante.

L’I. M. : Mais une reconstruction ne permet-elle pas de gagner en efficience ?

P. L. : C’est le but, surtout lorsque des établissements en multisites se regroupent sur un même bâtiment neuf, supprimant des services en doublons, des transports et des allers et venues inutiles, souvent préjudiciables aux patients. Les économies sont alors effectives. Mais on doit veiller à ce que le nouvel hôpital ne soit pas plus coûteux en fonctionnement et en entretien. Pour cela, il faut que tous les métiers de l’hôpital soient associés bien en amont du projet immobilier.

L’I. M. : Que pensez-vous des partenariats public-privé (PPP), en particulier celui du Centre hospitalier sud-francilien (CHSF) ?

P. L. : Le problème des PPP est que le partenaire – un groupe du BTP ou un consortium – a la maîtrise du contrat. Toute modification se traduit par une augmentation des coûts. La situation du sud-francilien est une caricature des problèmes posés par ce type de financement. Le projet a été conduit trop rapidement, et l’hôpital a été ainsi surdimensionné. Pour le remplir, l’ARS a été contrainte de reconfigurer l’offre de soins sur le territoire. Des activités d’hôpitaux voisins ont été transférées au CHSF. Le projet de regroupement des hôpitaux d’Orsay et de Longjumeau a été remis en cause. Au final, la solution trouvée ne sera peut-être pas mauvaise, mais on y sera parvenu de manière désordonnée et très coûteuse.

L’I. M. : Vu leur niveau d’endettement et la faiblesse de l’Ondam pour l’hôpital (+ 2 %), les établissements ont-ils encore les moyens d’investir ?

P. L. : L’investissement est absolument nécessaire. Ce n’est pas en le supprimant que l’on va juguler les dépenses hospitalières. C’est une respiration pour les hôpitaux, l’occasion de modifier les organisations, de les adapter aux besoins. Il reste des bâtiments vétustes : par exemple, en Ile-de-France, les hôpitaux Bichat (Paris 18e) et Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine), aux équipes remarquables, travaillent dans des conditions inacceptables. L’erreur serait de reconstruire les deux hôpitaux. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris s’est prononcée pour les fusionner sur un même site. Ce serait une occasion décisive de repenser les besoins sanitaires au nord de Paris. Reste à savoir où et comment construire ce nouvel hôpital. Il est nécessaire que l’Ondam comporte un compartiment destiné à financer sous une forme budgétaire (subventions ou dotations) les opérations lourdes et coûteuses : les regroupements d’établissements, de plateaux techniques, les reconstructions complètes. Le bon niveau de la planification de ces opérations est régional. Le rôle de pilotage des ARS doit donc être conforté.

1- « Rapport d’évaluation du financement et du pilotage de l’investissement hospitalier », Igas, mars 2013.