Lorsqu’elles s’installent dans un établissement neuf, les équipes doivent trouver de nouveaux repères. C’est aussi l’occasion de repenser l’organisation des soins pour gagner en qualité et en productivité. Les infirmières ont-elles plus à perdre qu’à gagner ?
C’est la saison des déménagements. À Melun, Carcassonne, Lagny-sur-Marne, Dijon, Arras, Vesoul, Strasbourg ou Lille sortent de terre des bâtiments lumineux, confortables, fonctionnels et évolutifs. Ce sont les fruits tardifs de deux plans d’investissement : Hôpital 2007, lancé dès 2002, et Hôpital 2012. 52 milliards d’euros ont été mobilisés entre 2002 et 2011 pour ces projets immobiliers, selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui a publié en mars 2013
Le nouveau CHU de Dijon (Côte-d’Or) est lui aussi « la traduction physique d’une nouvelle organisation des soins pensée bien en amont », explique le coordonnateur général des soins, Henri Anthony-Gerroldt. Auparavant éparpillé sur quatre sites, il se regroupe par étapes autour d’un seul vaste hôpital constitué de trois corps de bâtiment, dont un sorti de terre en 2010, de 80 000 m2. Près de trente services y ont emménagé au printemps 2014. Chaque étage correspond à un pôle d’activité pour « réaliser des économies d’échelle, mutualiser, dans le cadre d’une organisation moderne », explique Henri Anthony-Gerroldt. La principale source de mutualisation, donc d’économies, est le plateau technique, désormais regroupé au sein de deux grands blocs opératoires – dont un dédié au pôle femme-enfant – au lieu de neuf. Le bloc est devenu le cœur battant de l’hôpital, sans cesse en activité, et le travail des soignants, en particulier des Ibode, s’en trouve transformé (voir témoignage). La perspective d’exercer dans des locaux améliorant le cadre de travail et la qualité des soins ne suffit pas à apaiser la crainte du changement et les critiques sur l’évolution des organisations, qui vont toujours dans le sens d’une plus grande productivité. Le Centre hospitalier de Belfort-Montbéliard (Doubs), qui prépare son déménagement pour fin 2016, est actuellement secoué par des grèves aux urgences. « Nous protestons contre la suppression de postes d’infirmières et d’ASH dans le cadre de la nouvelle organisation. Ce déménagement est l’occasion de faire des économies. Sur le terrain, les gens sont en difficulté à cause de ces diminutions d’effectifs à travail constant », explique Clément Muller, responsable CGT. Pour Corinne Peter, la secrétaire de la CFDT, majoritaire, « nous sommes dans une phase de transition difficile : des efforts sont demandés aux agents, sans qu’ils puissent se projeter dans le nouveau bâtiment. Mais on veut croire à cet hôpital ». À Belfort-Montbéliard, ce bâtiment sera l’aboutissement d’une vaste restructuration hospitalière : « Nous sommes issus de la fusion de deux hôpitaux situés à 20 kilomètres de distance, dans deux départements différents », explique Maxime Koeberlé, directeur des ressources humaines. Il ne nie pas « le processus de réduction des effectifs en cours actuellement. Il y une perte d’énergie, des doublons entre les deux sites. Les organisations sont remaniées, les effectifs réadaptés. Certains services vont perdre quelques postes, d’autres vont en gagner. Mais il n’y aura aucun plan social : nous allons supprimer en deux ans 50 postes en équivalent temps plein sur 3 500 au total. »
Pour atténuer les risques psychosociaux, la direction de l’hôpital de Belfort-Montbéliard a recours à une méthode d’amélioration des conditions de travail et des organisations (Acto) : une équipe constituée de cadres de santé, d’ingénieurs en organisation et de psychologues du travail consulte les équipes pour arrêter les nouvelles organisations. En prime, l’établissement a obtenu du ministère de la Santé une enveloppe de 3 millions d’euros destinée à financer des formations pour les agents dont les postes vont évoluer, ou qui souhaitent se reconvertir dans un autre domaine. Ceux qui approchent de la retraite ont eu la possibilité de partir un peu plus tôt en percevant une indemnité. Si la CGT y voit « un plan social déguisé », la CFDT se félicite de ce dispositif qui limite « les déchirements ».
Les turbulences du déménagement passées, la pression retombe rarement pour les équipes. Car la plupart des établissements se sont lourdement endettés pour financer leur reconstruction : selon les chambres régionales des comptes, la dette de l’hôpital de Carcassonne s’élevait à 67 millions d’euros fin 2011, celle de Dijon à 41 millions d’euros et celle de Belfort-Montbéliard était de près de 90 millions d’euros dès la fin 2007. Tous trois sont donc engagés dans des plans de retour à l’équilibre où chaque dépense est comptée. Auront-ils les moyens d’entretenir leurs murs et leurs équipements, tout en investissant à nouveau ? Pour la Fédération hospitalière de France (FHF), la question est cruciale, car d’importants investissements sont encore nécessaires : « Les hôpitaux ont besoin de 40 à 45 milliards d’euros sur dix ans pour amorcer le virage vers l’ambulatoire, en chirurgie comme en médecine, explique Yves Gaubert, responsable du pôle finances de la FHF. Comment y parvenir avec un Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour l’hôpital à 2 %, et sans doute moins pour les années à venir ? Nous espérons que la ministre de la Santé va défendre les hôpitaux français afin qu’ils puissent émarger au plan d’investissement de 300 milliards d’euros de la Commission européenne. » De nouveaux bâtiments vont-ils bientôt sortir de terre sous les couleurs européennes ?
1- « évaluation du financement et du pilotage de l’investissement hospitalier ». http://bit.ly/1zczweJ
« Depuis le déménagement, tous les blocs sont réunis sur un grand plateau technique interventionnel. Les salles d’opération sont transparentes, notre activité peut être suivie sur des écrans installés dans le couloir. L’outil de travail est exceptionnel, et c’est très stimulant de côtoyer de nouvelles spécialités. Mais notre activité s’intensifie, il y a de moins en moins de temps morts, de répit. Je suis en charge du secteur hyperaseptique qui comprend cinq salles, où trois spécialités chirurgicales collaborent : ophtalmologie, orthopédie et chirurgie ambulatoire. Les Ibode, qui avaient jusqu’ici une seule spécialité, doivent désormais développer une compétence secondaire, voire une tertiaire, pour renforcer l’équipe voisine. Pour cela, nous avons mis en place en septembre un programme de formation par le tutorat. Pour nous, cadres, ce n’est pas facile de conduire ces changements. Les leviers managériaux sont minces.
Notre établissement est inscrit dans un contrat de retour à l’équilibre financier, les contraintes budgétaires pèsent, y compris en termes de postes. Mais l’activité chirurgicale est un réel enjeu financier pour l’établissement. Nous devons relever le défi du développement de l’activité par l’amélioration des organisations. »