« L’acte de psychiatrie ne se mesure pas » - L'Infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 303 du 15/06/2012

 

INTERVIEW : CLAUDE FINKELSTEIN PRÉSIDENTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES PATIENTS EN PSYCHIATRIE (FNAPSY)

DOSSIER

Claude Finkelstein pointe le retour de la stigma-tisation des usagers et les effets d’une politique plus axée sur les économies et la sécurité que sur le prendre-soin. Elle demande elle aussi une loi sur la psychiatrie ainsi que la mise en place de personnes de confiance sur le modèle hollandais.

INFIRMIERE MAGAZINE : Comment le regard sur les usagers de la psychiatrie a-t-il évolué ces dernières années ?

CLAUDE FINKELSTEIN : La Fnapsy fête ses 20 ans. Après des premières années de tâtonnements, à partir de 2005, on a eu l’impression qu’on était plus écoutés et qu’il y avait un mouvement de réflexion. Mais, depuis 2008, nous observons un revirement complet, avec, à nouveau, une stigmatisation très lourde des personnes atteintes de maladie mentale et un désenchantement des professionnels, qui se répercutent sur nous. La psychiatrie, c’est un travail très difficile. Si les professionnels ne sont pas reconnus, s’ils n’ont plus un bon outil de travail, ils se découragent, et nous payons les pots cassés.

I. M. : Comment cela se traduit-il ?

C. F. : On a l’impression d’être revenus quinze ans en arrière. Les patients ont de moins en moins de droits. On leur a retiré l’écoute, la possibilité de formuler leurs besoins. Quand on dit à une personne en crise « vous pouvez écrire au juge » ou quand on lui donne un livret d’accueil, ce n’est pas de la psychiatrie. En 2010, on préparait une loi sur l’hospitalisation sous contrainte, mais le gouvernement a intégré la notion de soins sans consentement, en hospitalisation mais aussi en ambulatoire, ce qui change beaucoup de choses ! In fine, la loi du 5 juillet 2011 est très dure pour nous. Certes, elle fait enfin intervenir le juge sur la privation de liberté, mais seulement au bout de quinze jours. Auparavant, on pouvait refuser les soins. Désormais, on doit recevoir les soins, et, dans l’absolu, on peut nous soigner chez nous. Le décret permettant de forcer les portes n’est pas paru car il a été reconnu anticonstitutionnel !

I. M. : Comment les droits des usagers pourraient-ils être mieux défendus ?

C. F. : La loi du 4 mars 2002 donne la possibilité aux patients de désigner une personne de confiance. Ça marche très bien en MCO, mais c’est impossible en psychiatrie car l’individu qui entre en crise risque de rejeter la personne de confiance qui prendra les décisions pour lui. Dans les hôpitaux ou les services spécialisés en Hollande, un membre d’une association d’usagers est obligatoirement présent et sollicité, comme un médiateur. Il est payé par l’association, via le financement des mutuelles, qui estiment que cela leur fait gagner de l’argent. C’est une personne neutre, affectivement, mais usagère et formée. Elle connaît bien les problématiques. C’est très différent des pairs aidants.

I. M. : Observez-vous une dérive des pratiques ?

C. F. : Oui, souvent. Les outils de contention et les chambres d’isolement sont utilisés par manque de temps, on laisse les choses s’envenimer. En psychiatrie, c’est un défaut de soin de ne pas avoir le temps de s’occuper des gens. Certes, il peut y avoir des problèmes quand la réponse de soin n’est pas adaptée. Mais ce qu’il faut aux professionnels, c’est du temps d’écoute, du lien, du réseau. C’est de pire en pire. On ne pourra pas formater la psychiatrie comme on le fait pour le MCO. L’acte de psychiatrie, cela ne se mesure pas… Il faut reconnaître la profession et le besoin de temps : un entretien devrait pouvoir durer dix minutes si le patient va bien, comme trente minutes ou trois heures s’il en a besoin.

I. M. : Que souhaitez-vous ?

C. F. : Nous voulons une loi sur la psychiatrie et la santé mentale qui s’articule avec le Plan santé mentale et détermine la psychiatrie de demain. Durant les travaux de préparation de la loi HPST, on a retiré la psychiatrie pour lui consacrer une loi complémentaire, mais la commission et le rapport Couty ont cassé ce projet, et aucune loi n’est sortie. Or, il faut absolument que les hôpitaux du XIXe siècle soient rénovés, avec des petites unités cliniques. Et faciliter l’accès aux soins somatiques dans des maisons médicales pluridisciplinaires accessibles, car les patients psychiatriques ont une espérance de vie diminuée de quinze ans par rapport à la population générale. Il faut aussi donner aux gens l’envie de se faire soigner. Quand on a des chambres à plusieurs lits, sans sanitaires, c’est difficile, surtout en psychiatrie, où l’on a tellement besoin de reprendre conscience de son corps ! »