« UN VOLET SANTÉ INSUFFISANT » - L'Infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 277 du 15/04/2011

 

PESTICIDES OUTRE-MER

ACTUALITÉ

Josiane Jos Pelage, pédiatre martiniquaise, déplore le manque d’études sur les dégâts causés par le chlordécone et la faible réponse des pouvoirs publics.

Molécule cancérigène d’un pesticide longtemps utilisé dans les bananeraies antillaises, le chlordécone est à l’origine de pollutions affectant la santé. La présidente de l’Association médicale pour la sauvegarde de l’environnement et de la santé(1) critique le nouveau Plan d’action contre la pollution par le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique 2011-2013(2), dont elle juge le volet sanitaire insuffisant.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En quoi l’impact du chlordécone sur la santé vous préoccupe-t-il ?

JOSIANE JOS PELAGE : Je me demande, par exemple, s’il faut conseiller l’allaitement maternel. Nous n’avons pas de réponse scientifique sur les risques de transmission mère/enfant du chlordécone. Une étude en cours en Guadeloupe doit répondre à des questions clés : y a-t-il un effet sur le développement cérébral du fœtus ? À partir de quel seuil de concentration de chlordécone dans le sang de la mère ? Mais la publication des résultats est sans cesse reportée ! Nous l’attendions pour 2008, on parle maintenant de 2012…

L’I. M. : Que montre l’épidémiologie des cancers en Martinique ?

J. J. P. : Côlon et rectum, poumons, myélome multiple, seins : toutes les courbes de cancer ont fortement augmenté, l’incidence du cancer de la prostate décrochant nettement à la hausse(2). On nous explique qu’il existe une prédisposition génétique à ce cancer chez les populations noires, bien que cette hypothèse ne soit pas suffisamment documentée. D’ailleurs, nous avons plus de cas recensés que chez les Noirs américains, déjà fortement affectés.

L’I. M. : D’autres maladies liées aux pesticides se développent-elles ?

J. J. P. : L’obésité ! Elle augmente vite, chez les enfants notamment. Nous voyons des nourrissons de 18 mois avec de la cellulite. Les généralistes de l’Amses constatent de plus en plus de pathologies thyroïdiennes. Nous observons aussi des troubles du comportement, surtout dans la zone polluée. La neurotoxicité des pesticides est soupçonnée. En ce qui concerne les malformations congénitales, le registre est trop récent pour que nous ayons du recul. Mais une étude menée à Montpellier sur les problèmes en­docriniens chez l’enfant fait le lien entre pesticides, fertilité et malformations. Une autre éventualité : l’impact des pesticides sur les prématurés. Il existe en Martinique un taux incompressible de prématurité depuis vingt ans alors qu’ailleurs, les cas diminuent. Pourquoi ?

L’I. M. : Que pensez-vous du Plan chlordécone 2011-2013(3) ?

J. J. P. : Il faut certes saluer des efforts réalisés sur le volet agricole. En revanche, le volet santé est insuffisamment pris en compte. S’il est possible, en Martinique, de mesurer le taux de chlordécone dans l’environnement, en revanche, les analyses de dosage biologique du chlordécone dans les matrices tissulaires(4) sont rares car envoyées en Belgique. Nous avons demandé un laboratoire spécifique pour faire ce dosage ici. On nous répond que cela coûterait cher car cet examen n’est pas remboursé par la Sécurité sociale. Pourtant, on pourrait faire de la prévention et avancer bien plus vite dans la connaissance des effets sanitaires chroniques, avec, à long terme, un retour sur investissement pour l’État. Une demande de dépistage systématique du cancer de la prostate, sollicitée par les médecins antillais, est toujours en délibération à la Haute Autorité de santé. Et pour les autres cancers, le plan ne prévoit rien !

1- L’Amses a été lancée en avril 2010 par des membres de l’Union régionale des médecins libéraux de Martinique. 163, route de Ravine-Vilaine, 97200 Fort-de-France, Martinique.

2- De 2001 à 2005, 2 142 nouveaux cas de cancer de la prostate ont été recensés en Martinique. Le risque d’y être atteint de ce cancer avant l’âge de 75 ans concerne un homme sur cinq. Parallèlement, l’incidence du cancer colorectal a augmenté de 8 % chez la femme et l’homme.

3- Lire notre article d’actualité sur espacinfirmier.com (bit.ly/egUr7X).

4- Sang, organes, graisse.

POLLUTION

Sols et eaux contaminés

→ Interdit aux États-Unis dès 1976, le chlordécone n’a été prohibé en France métropolitaine qu’en 1990, et en 1993 aux Antilles. Des rapports pointent le rôle des intérêts économiques dans la lenteur de l’interdiction et les dérogations octroyées. Utilisé contre le charançon du bananier, le chlordécone a contaminé sols et eaux, empoisonnant légumes et poissons. En Guadeloupe, 6 500 hectares sont touchés. En Martinique, 14 500. Sur ces terres, la culture intensive de bananes se poursuit car ces fruits sont peu sensibles au transfert de chlordécone. Mais l’usage abusif de glyphosate (un herbicide total) et l’épandage de fongicides par hélicoptère(1) inquiètent les médecins de l’Amses, qui craignent un possible « effet cocktail »(2) de ces polluants. C. R.

1- Les grands planteurs ont obtenu des dérogations à la directive européenne interdisant l’épandage aérien.

2- Phénomène selon lequel plusieurs produits chimiques, considérés séparément, ne dépassent pas un certain seuil de nocivité, mais dont les effets toxiques sont multipliés lorsqu’ils sont utilisés, ingérés ou respirés ensemble.