L'infirmière Libérale Magazine n° 262 du 01/09/2010

 

Cahier de formation

Savoir faire

Le traitement de l’hémophilie repose sur la substitution : un médicament contenant du facteurVIII ou du facteurIX est injecté au patient hémophile. Les enfants hémophiles sévères ont en général un traitement préventif (prophylaxie), à raison de plusieurs injections par semaine, réalisées par la famille ou par une infirmière libérale. Dès l’adolescence, les jeunes sont en capacité de s’autotraiter. L’éducation thérapeutique est donc essentielle.

Thomas, 16 ans, est hémophile. Il doit partir en voyage à l’étranger avec son lycée mais il ne sait pas quoi emporter…

Le patient doit emmener avec lui la quantité de facteurs anti-hémophiliques nécessaire pour la durée de son séjour, qu’il soit en traitement à la demande ou en prophylaxie (traitement préventif). Ces produits doivent le plus souvent être transportés dans une glacière en bagage à main. Thomas doit aussi prendre avec lui le matériel d’injection indispensable (aiguilles, seringues, nécessaire à désinfecter et bandes de contention…). S’il prend l’avion, il lui faut présenter un certificat de douane et son ordonnance pour justifier le transport des produits et du matériel. Il doit garder la glacière avec lui et non pas la confier à l’hôtesse.

UN TRAITEMENT DE SUBSTITUTION

Le traitement est substitutif, via l’injection intraveineuse de médicaments fortement concentrés en facteur VIII (uniquement délivrés en pharmacie hospitalière…) ou facteur IX. Ces produits sont ­appelés facteurs anti-hémophiliques. L’apport du facteur de coagulation manquant permet l’arrêt du saignement en cours et prévient la survenue d’autres saignements.

Plasmatiques et recombinants

Il existe deux types de facteurs anti-hémophiliques : les produits d’origine plasmatique (des concentrés purifiés provenant du plasma issu des dons de sang) et les produits issus des biotechnologies, dits “recombinants”. Ces deux types de produits s’administrent par voie intraveineuse et ont une demi-vie comprise entre 8 et 12 heures pour le facteur VIII, et entre 18 et 24 heures pour le facteur IX. Aujourd’hui, la grande majorité des hémophiles (80 %) utilise des produits recombinants.

Sécurité des produits plasmatiques

À partir des années 1970, les concentrés de facteurs anti-hémophiliques ont été fabriqués de manière industrielle à partir de dons de plasma humain. Le mélange des dons, d’abord modeste (de 50 à 60dons pour un lot de produit) a ensuite pris une grande ampleur, regroupant plusieurs milliers de dons pour la fabrication d’un lot : ce sont les “pools de plasma”. Le revers de la médaille de ces techniques industrielles, à l’époque, fut l’absence de critères de sécurité. Aussi, de 1983 à 1985, les pools de plasma ont engendré la diffusion massive d’agents infectieux qui n’avaient pas été détectés chez les donneurs. Un grand nombre d’hémophiles ont alors été contaminés par le VIH, et la quasi-totalité d’entre eux par le virus de l’hépatiteC. Après cette tragédie, la sécurité des produits est devenue une priorité absolue. Aujourd’hui, les donneurs de sang sont strictement sélectionnés. Les produits plasmatiques subissent une série de phases de sécurisation, incluant des étapes d’inactivation virale, qui les rendent beaucoup plus sûrs que par le passé.

Bientôt des produits à efficacité prolongée

Dans les années à venir, des facteurs VIII recombinants à efficacité prolongée devraient voir le jour. Plusieurs laboratoires y travaillent. Ces nouveaux facteurs VIII permettraient de réduire la fréquence des injections, améliorant notablement la qualité de vie des patients.

Reconstitution et usage des produits

Les facteurs anti-hémophiliques se présentent sous la forme d’une poudre et d’un solvant liquide, qui doivent être conservés au réfrigérateur. Au départ, il faut ramener ces deux flacons à température ambiante. Le produit doit être reconstitué via le mélange du contenu des deux flacons. Pour éviter toute erreur, la plupart des produits proposent des systèmes de reconstitution rapide, à double entrée : une pour le flacon de poudre, une autre pour le solvant.

Une fois reconstitué, et après un lavage des mains long et minutieux, le produit est injecté en intraveineuse, le plus souvent dans le pli du coude ou sur le dos de la main. Il ne faut jamais faire de piqûre intramusculaire, sous peine de provoquer un saignement. Pour une meilleure diffusion dans l’organisme, l’injection doit être lente.

Après l’injection, il faut compter un temps de compression digitale d’environ cinq minutes, jusqu’à l’arrêt du saignement.

Conservation des produits

Les facteurs anti-hémophiliques doivent être gardés au réfrigérateur pour rester à une température inférieure à 8 °C. Pour le transport entre la pharmacie hospitalière et le domicile, une glacière est fournie aux patients. Les produits gardés au frais ont, en général, une durée de conservation de deux ans. Certains produits ont des extensions pour une conservation à température ambiante, en dessous de 25 °C. Pour en savoir plus, il faut toujours se référer à la notice. Attention, une fois qu’un produit est sorti du réfrigérateur, il ne faut pas l’y remettre.

Collecte des déchets

Après une injection, l’aiguille doit être entreposée dans le collecteur spécifique fourni par la pharmacie hospitalière : il s’agit de déchets d’activité de soins à risque infectieux (Dasri). Les déchets consécutifs aux injections par chambre implantable doivent être remis dans les fûts distribués par la société qui fournit tout le matériel adapté à ce type de perfusion.

LES ÉTABLISSEMENTS DE SOINS

La prise en charge de l’hémophilie est réalisée par une équipe multidisciplinaire au sein des Centres de traitement de l’hémophilie et des maladies hémorragiques (CTH). Il existe plus de trente CTH ou CRTH (Centres régionaux de traitement de l’hémophilie) en France. La liste des établissements est disponible sur le site Internet www.cometh.net.

Ils sont installés dans un centre hospitalier, soit dans un service d’hématologie, soit dans un service de pédiatrie. Le patient est suivi par un médecin spécialiste de l’hémophilie (le plus souvent un hématologue) et par l’infirmière coordinatrice. Les premières consultations après le diagnostic sont très importantes : explication de la maladie, écoute de la famille souvent bouleversée, détails sur le traitement… Le traitement à domicile se met alors en place assez rapidement, via une prise en charge en réseau entre le CRTH, le médecin généraliste et une infirmière libérale.

L’hémophilie est une maladie rare. À ce titre, un Centre de référence des maladies hémorragiques (CRMH) a été labellisé en 2006, dans le cadre du plan national ministériel pour les maladies rares. Il est composé de six CRTH et coordonné par le CRTH de Lyon.

CARTE ET CARNET D’HÉMOPHILE

Tout hémophile doit toujours porter sur lui sa carte d’hémophile. Celle-ci est fournie par l’Association française des hémophiles (AFH) et remise aux patients par leur CTH. En cas d’accident, ce document précise le type d’hémophilie et le produit utilisé habituellement. Par ailleurs, les CTH fournissent également à chaque patient un carnet édité par l’AFH, sur lequel doivent être notés les injections réalisées, la date, l’heure, les circonstances et le numéro de lot du produit. Le carnet d’hémophile permet de disposer d’une traçabilité du traitement et de redéfinir celui-ci en fonction des besoins. Par exemple, le médecin peut proposer la prophylaxie à un adulte pratiquant en moyenne 50 injections par an.

QUE FAIRE EN CAS D’HÉMORRAGIE ?

En l’absence de saignement extérieur évident (saignement de nez, plaie superficielle, bosse sur le front…), si l’on suspecte un hématome profond ou une hémarthrose, il faut immobiliser le membre concerné, si c’est possible, et mettre de la glace en protégeant la peau avec un linge. La pose de glace est un geste indispensable, à ne pas oublier avant de pratiquer l’injection. Des poches de gel froid, que l’on peut conserver au réfrigérateur ou au congélateur, sont souvent disponibles dans les CTH. Il faut ensuite rapidement injecter le facteur anti-hémophilique nécessaire. S’il n’a plus de produit en stock, le patient doit se rendre dans un CTH ou, à défaut, aux urgences de l’hôpital.

PRINCIPALE COMPLICATION

Les inhibiteurs

Chez certains patients, le facteur VIII ou IX injecté (qu’il soit plasmatique ou recombinant) est reconnu comme un antigène par le système immunitaire. L’organisme identifie ce facteur comme une substance étrangère et se met à produire des anticorps pour le neutraliser. Ceux-ci inhibent l’activité coagulante du facteur concerné : on les appelle anticorps inhibiteurs. Ceux-ci restent un défi thérapeutique majeur dans l’hémophilie. Les inhibiteurs sont beaucoup plus fréquents chez les hémophiles A sévères : la prévalence varie de 15 à 33 % des patients en fonction des études.

Traitement des inhibiteurs

Le traitement des inhibiteurs repose sur le recours à des facteurs de la coagulation activés spécifiques : facteur VII activé recombinant, concentrés de complexe prothrombique… Par ailleurs, un traitement dénommé “induction de tolérance immune”, consistant en l’administration pluri-hebdomadaire, voire quotidienne de facteur VIII ou IX, parfois à très forte dose, pendant plusieurs mois, vise à restituer une tolérance au facteur VIII ou IX. Ce traitement suppose souvent le recours à une chambre implantable (cf. page 39).

HÉMOPHILIE MINEURE ET MODÉRÉE

Un traitement spécifique

Les hémophiles mineurs et modérés doivent se rendre régulièrement dans un centre de traitement de l’hémophilie, au moins une fois par an pour les enfants et une fois tous les deux ans pour les adultes. L’objectif est de bénéficier d’une information complète et répétée sur la maladie et ses conséquences et sur la conduite à tenir en cas de choc ou de traumatisme.

Là aussi, le traitement est basé sur la substitution du facteur VIII ou du facteur IX défaillant. Mais, dans certains cas, le médecin pourra décider que la substitution n’est pas nécessaire. Des moyens adjuvants peuvent être utiles et ne doivent pas être négligés : compression, cryothérapie, médicaments anti-fibrinolytiques, etc. La kinésithérapie est également recommandée pour maintenir ou récupérer une fonction articulaire correcte.

Utilisation de la desmopressine

Dans le cas de l’hémophilie A mineure, il existe une alternative au traitement substitutif : la desmopressine, un médicament de synthèse qui permet de libérer le facteur VIII présent dans les cellules. Ce médicament est disponible soit par injection intraveineuse (Minirin®), soit en spray nasal (Octim®). Il ne peut être prescrit que chez des patients connus comme étant bons répondeurs à un test réalisé au préalable.

La prescription de desmopressine sous forme de spray nasal nécessite une information précise du patient par le médecin du centre de traitement de l’hémophilie. Ce produit s’utilise lors d’accidents hémorragiques modérés (saignement de gencive, de nez…) ou avant un acte chirurgical mineur (ablation d’un grain de beauté, extraction dentaire simple…). Le spray doit être utilisé de 30 à 60minutes avant la situation, à titre préventif, ou dès le début du saignement, à titre curatif. L’administration peut être répétée toutes les 12heures pendant deux jours maximum. Il est nécessaire de respecter un intervalle de trois à quatrejours entre deux traitements.

POUR LES FEMMES CONDUCTRICES

La desmopressine (Minirin® ou le spray nasal Octim®) peut normaliser le taux de facteurVIII et être utilisée en prévention d’extractions dentaires, de règles abondantes ou d’autres signes de saignement. L’utilisation de la desmopressine nécessite un test préalable dans un centre de traitement de l’hémophilie, pour juger de son efficacité.

Point de vue…
« J’avais en moyenne deux hémarthroses par mois »

Ludovic Robin, 28 ans, hémophileA sévère, membre de l’Association française des hémophiles (AFH)

« La prophylaxie n’étant pas pratiquée lorsque j’étais enfant, je n’en ai pas bénéficié. J’étais traité “à la demande”, lors d’un accident hémorragique. Mes parents m’ont “piqué” jusqu’à ce que j’aie 11ans ; puis j’ai suivi un stage de formation à l’autotraitement et je me suis piqué tout seul. J’avais en moyenne deux hémarthroses par mois, alors que, de nos jours, les jeunes qui sont sous prophylaxie n’en ont que deux par an… Il m’est arrivé de cacher des hémarthroses, pour ne pas avoir à subir une énième piqûre… Ou alors j’avais saigné après avoir joué au foot, un sport contre-indiqué, et j’avais peur des remontrances de la part de mes parents ou du médecin… Difficile de se gendarmer quand on est enfant ou adolescent ! Aujourd’hui, j’ai de l’arthropathie au niveau de la cheville gauche et du coude droit. Je vais prochainement devenir “patient-ressource”, une fonction créée par la loi Hôpital, patients, santé et territoires. L’objectif est de faciliter la communication entre médecins et malades chroniques : parfois, il y a des incompréhensions. Ou bien les patients ont peur du médecin et n’osent pas lui dire certaines choses… »

Question de patient

Je suis conductrice de l’hémophilie et je voudrais avoir un enfant. Mais je m’interroge sur le déroulement de ma grossesse : y a-t-il des risques d’hémorragie ?

En cas de grossesse, il y a, en général, une augmentation notable du taux de facteur VIII. En revanche, le taux de facteurIX n’est pas modifié par la grossesse. Toute femme qui se sait conductrice de l’hémophilie et qui tombe enceinte, ou qui désire avoir un enfant, doit prendre contact avec un CTH (centre de traitement de l’hémophilie) pour faire un bilan de la coagulation et être informée sur la prise en charge de la grossesse.

En chiffres

→ La prévalence dans la population est estimée à 1/12 000. Les femmes hémophiles sont très rares.

→ Dans 20 à 30 % des cas, la transmission se produit sans antécédents familiaux

→ Environ 55 % des hémophiles ont une forme mineure ou modérée de la maladie.

→ Il existe environ 6 000 hémophiles en France.

→ 85 % des malades sont des hémophiles A, 15 % des hémophiles B.

→ Dans le monde, un garçon sur 5 000 naît atteint d’hémophilie A, tandis qu’un garçon sur 25 000 naît avec une hémophilie B. Il y a environ un cas d’hémophilie B pour cinqcas d’hémophilie A.