L'infirmière Libérale Magazine n° 262 du 01/09/2010

 

Cahier de formation

Savoir

Maladie hémorragique héréditaire, l’hémophilie affecte une personne sur 12 000. Si les formes modérées et mineures de la pathologie n’affectent pas beaucoup la qualité de vie, l’hémophilie sévère est une maladie grave pouvant mettre en jeu le pronostic vital, notamment en cas d’hémorragie abdominale ou intracrânienne.

DÉFINITION ET FORMES DE LA MALADIE

L’hémophilie est une maladie hémorragique héréditaire due à l’absence ou au déficit d’un facteur de la coagulation. Elle est caractérisée par des hémorragies spontanées ou provoquées. Chez la personne hémophile, un caillot solide ne parvient pas à se former au cours du processus de la coagulation. Ces patients ne saignent pas plus que les autres, mais plus longtemps, car le caillot ne tient pas, d’où l’angoisse des parents lors d’un traumatisme chez l’enfant.

Deux types d’hémophilie

Il existe deux types d’hémophilie : l’hémophilie A, due à un déficit en facteur VIII, et l’hémophilie B, due à un déficit en facteur IX.

Trois degrés de sévérité

Il existe trois formes d’hémophilie qui dépendent de l’intensité du déficit en facteur de coagulation.

→ Dans l’hémophilie sévère, le facteur déficitaire est inférieur à 1 % du taux normal. Les saignements apparaissent très tôt dans la vie. Ils surviennent aussi bien à la suite d’un traumatisme que spontanément, sans raison apparente.

→ Dans l’hémophilie modérée, le taux du facteurVIII ou IX dans le sang est compris entre 1 et 5 %. Les saignements surviennent plus tard et ils sont uniquement provoqués par des traumatismes ou par une chirurgie. Il n’existe pratiquement pas de saignement spontané.

→ Dans l’hémophilie mineure, le facteur VIII ou IX est compris entre 6 et 40 % du taux normal. Les hémorragies sont beaucoup plus rares et ne perturbent que rarement la vie quotidienne. La maladie peut être asymptomatique ; elle est souvent diagnostiquée à l’occasion d’un bilan sanguin.

Les symptômes

Les saignements constituent le symptôme principal de l’hémophilie. Leur gravité dépend de leur localisation et de leur répétition. Dans l’hémophilie sévère, les symptômes peuvent se manifester pour la première fois dès l’âge de 3 mois jusqu’à 6mois, ou un peu plus tard, lorsque l’enfant commence à se déplacer à quatre pattes. Des ecchymoses apparaissent parfois au niveau des jambes ou des genoux. Plus tard, à partir de l’acquisition de la marche et tout au long de la vie, d’autres saignements se manifestent, le plus souvent au niveau des muscles (hématomes) ou des articulations (hémarthroses). Ils peuvent être très douloureux. D’autres saignements peuvent apparaître. Certains sont redoutables car ils peuvent entraîner un risque vital, comme au niveau du cerveau (hémorragie cérébrale ou intra-crânienne), du thorax ou de l’abdomen.

Les hémarthroses

Les hémarthroses, ou saignements dans les articulations, interviennent surtout aux genoux, aux chevilles et aux coudes. D’autres articulations sont moins fréquemment touchées, comme les hanches ou les épaules. Le premier signe est une sensation de compression relativement indolore au niveau de l’articulation. Au toucher, celle-ci semble un peu gonflée. En l’absence de traitement, avec les heures qui passent, l’articulation devient chaude au toucher, douloureuse à la flexion ou à l’extension complète. À ce moment, on note une enflure apparente. La cavité articulaire gonfle sous la pression du sang et la membrane synoviale se déforme. À mesure que le saignement se poursuit et que l’enflure augmente, l’articulation ne peut plus bouger. La douleur peut alors être intolérable.

L’arthropathie hémophilique

Des hémarthroses répétées endommagent durablement les articulations et les os (cf. schéma ci-contre), pouvant entraîner des déformations. Car une articulation qui a saigné de façon répétée a plus de risque de saigner à nouveau, même spontanément. Sans traitement approprié, les saignements répétitifs entraînent la destruction de l’articulation, qui peut être irréversible. En effet, du fer issu de l’hémoglobine s’accumule dans la membrane synoviale. Peu à peu, le cartilage s’altère, mettant en contact les deux os. Une arthropathie hémophilique apparaît alors, occasionnant un handicap. Des corrections chirurgicales orthopédiques sont possibles dans des centres spécialisés.

Aujourd’hui, grâce à un traitement préventif à base de facteurs anti-hémophiliques, les jeunes hémophiles ont beaucoup moins de risques de développer une arthropathie.

TRANSMISSION DE LA MALADIE

L’hémophilie touche essentiellement les garçons, dès la naissance.

Cette maladie héréditaire se transmet selon le mode récessif lié au chromosomeX (cf. schéma page suivante). Les gènes du facteur VIII et du facteur IX sont portés par le chromosome X. Ces gènes peuvent être absents (on parle alors de délétion) ou endommagés (mutation), ce qui provoque l’absence ou le déficit du facteur de coagulation. Comme les garçons n’ont qu’un seul chromosome X, ils ne peuvent pas compenser l’anomalie du gène situé sur leur chromosomeX : ils manifestent donc la maladie.

Un homme hémophile ne peut pas transmettre la maladie à un garçon, mais il va transmettre le gène altéré à toutes ses filles qui seront alors des “conductrices”.

Transmission de novo

Dans 20 à 30 % des cas, il n’y a pas d’antécédents familiaux : on parle alors d’une néo-mutation ou de mutation de novo. Cette mutation sera transmissible à la descendance.

Femmes conductrices

Chez les filles, qui ont deux chromosomesX, l’anomalie du gène situé sur un chromosome X est en général compensée complètement ou partiellement par l’autre chromosome X. Elles ne seront pas malades mais dites “conductrices” de la maladie, qu’elles pourront transmettre à leur descendance, avec un risque de 50 %.

Hémophilie chez les femmes

La présence de l’hémophilie chez les femmes est rare. Elle survient dans deux cas.

→ Première possibilité : leur père est hémophile et leur mère conductrice (porteuse du gène).

→ Seconde possibilité : il s’agit de femmes porteuses du gène qui, pour des raisons génétiques particulières, ont un taux de facteur VIII ou IX très bas.

Diagnostic

Le diagnostic de l’hémophilie repose sur la mise en évidence d’un allongement du temps de coagulation (temps de céphaline activé ou TCA). Les dosages spécifiques des facteurs VIII et IX permettent de caractériser le type d’hémophilie et sa sévérité.

Conseil génétique et diagnostic prénatal

Le conseil génétique permet à l’hémophile et à ses parents de savoir comment la maladie a été transmise. En liaison avec les laboratoires de génétique moléculaire, la mise en évidence de l’anomalie génétique peut être entreprise. Le diagnostic prénatal est possible par analyse moléculaire à partir de villosités choriales. Le dosage du facteur de coagulation sur le sang veineux du cordon ombilical est également possible.

HÉMOPHILIES MINEURES ET MODÉRÉES

Environ 55 % des patients présentent une forme mineure ou modérée de la maladie. Lorsque la maladie est connue dans la famille, le diagnostic est réalisé grâce au dosage du facteur VIII ou IX, rapidement réalisé après la naissance. Quand l’hémophilie apparaît de novo, sans antécédents familiaux connus, le diagnostic peut intervenir très tard. Les manifestations cliniques sont souvent plus insidieuses et, en général, elles sont reconnues plus tardivement, en particulier si le traumatisme initial a paru être bénin. Les circonstances du diagnostic sont alors variables :

→ lors d’un bilan de coagulation préopératoire perturbé ;

→ lors de la survenue d’une complication hémorragique à l’occasion d’un choc, d’un traumatisme ou d’une chirurgie ;

→ en cas de tendance ecchymotique notable ou récidivante.

Les hémophiles mineurs et modérés doivent connaître les signes d’alerte ainsi que les localisations dangereuses (tête, cou, abdomen…), afin de ne pas laisser évoluer un accident hémorragique sans prise en charge rapide.

FEMMES CONDUCTRICES : CE QU’IL FAUT SAVOIR

Un arbre généalogique effectué au cours d’une consultation de génétique permet déjà, en fonction de la parenté avec l’hémophilie, de déterminer si une femme présente le risque d’être conductrice. Pour s’en assurer, il faut procéder au dosage du facteur VIII ou du facteur IX, selon le type d’hémophilie. En général, chez les conductrices de l’hémophilie A, le taux de facteur VIII se situe autour de 54 %. À partir du moment où le taux de facteur est supérieur à 30 %, aucun saignement particulier n’est observé. La plupart des conductrices sont donc asymptomatiques. Celles dont le taux de facteur est inférieur à 30 % peuvent être symptomatiques : ecchymoses, saignements au moment des règles ou lors d’une chirurgie.

Au quotidien, il peut y avoir des risques, surtout lors des sports de contact et lors de la prise d’anti-inflammatoires, lesquels présentent un risque d’hémorragie digestive. Les premières règles de la patiente peuvent être abondantes. Un bilan de coagulation est préconisé en cas de chirurgie, notamment avant une extraction dentaire ou une intervention d’ORL.

Le saviez-vous ?

→ Le mot “hémophilie” vient du grec haemorrhaphilia, qui signifie “attirance pour les saignements”.

Les aspects cliniques de l’hémophilie sont connus depuis plusieurs millénaires. En effet, la circoncision, pratique sacrée du judaïsme, s’accompagnait parfois d’accidents hémorragiques redoutables.