L'andropause - L'Infirmière Libérale Magazine n° 225 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 225 du 01/04/2007

 

Formation continue

Prévenir

Si la ménopause signe un arrêt brutal de la fertilité des femmes clairement objectivé sur le plan clinique et biologique, on ne peut pas en dire autant de l'andropause. Bien qu'admise d'un point de vue physiologique, l'altération des fonctions hormonales chez l'homme reste encore controversée quant à son interprétation diagnostique. En pratique, il convient d'avoir une approche préventive et thérapeutique pragmatique.

Décrite dans la littérature médicale dans les années 1940, l'andropause est un terme utilisé par analogie à la ménopause chez la femme pour désigner un déficit androgénique lié à l'âge (DALA) chez l'homme. Pourtant, hormis le fait qu'il se traduit par une modification des fonctions hormonales à partir de la quarantaine, ce phénomène n'est pas comparable à la ménopause. Tous les hommes ne sont pas touchés de la même manière par l'andropause. La diminution hormonale est très différente d'un homme à l'autre et se manifeste chez une partie d'entre eux seulement. En outre, si la baisse physiologique de la testostérone avec l'âge est admise, il n'existe pas encore de consensus quant aux marqueurs diagnostiques de l'andropause.

UN PHÉNOMÈNE PATHOLOGIQUE OU ADAPTATIF ?

« En l'état actuel des connaissances, commente le Pr Jacques Young, endocrinologue de la reproduction (hôpital Bicêtre - AP-HP), il est unanimement admis par toute la communauté scientifique qu'il existe une baisse de la testostérone circulante liée à l'âge. Ce déficit est plus ou moins marqué selon les hommes et se traduit par une diminution modérée de la testostérone totale et une baisse un peu plus marquée de la testostérone biodisponible ou de l'index de testostérone libre. Cette réalité indiscutable peut être objectivée par des dosages hormonaux. » Cela dit, si cette réalité fait consensus, l'interprétation diagnostique des résultats fait en revanche toujours l'objet d'une controverse entre les spécialistes (endocrinologues, urologues et sexologues). Certains estiment en effet qu'il convient d'établir les critères diagnostiques en comparant les résultats des sujets âgés à des normes établies à partir de jeunes sujets sains, tandis que d'autres estiment qu'il est préférable et plus logique de comparer les dosages des sujets âgés symptomatiques à des normes établies sur une cohorte de sujets du même âge en bon état de santé(1).

Par ailleurs, la fourchette de normalité dans chaque tranche d'âge est très large. « Pour l'heure, poursuit le Pr Young, il est difficile de dire si une baisse modérée chez un individu donné constitue en soi un phénomène pathologique ou adaptatif. Le débat n'est pas tranché car il n'y a aucune étude équivalente à la Women's Health Initiative study (WHI) pour la ménopause, permettant, grâce à un effectif suffisamment important(2) et une méthodologie incontestable (étude contre placebo, randomisée), de répondre de façon claire à cette question en termes de morbidité, de retentissement sur la qualité de vie et de mortalité. Actuellement, toutes les opinions sont fondées sur des petites études contradictoires et de portée limitée. C'est la raison pour laquelle, sans fondement scientifique irréfutable, il est préférable d'être prudent en ce qui concerne les critères diagnostiques de l'andropause. »

Pour l'heure, la plupart des endocrinologues estiment qu'on est en présence d'un hypogonadisme vrai lorsque le taux de testostérone totale est inférieur à 2 ng/ml, et d'un hypogonadisme avéré et sans équivoque lorsque ce taux est inférieur à 1 ng/ml. De même, ils s'accordent sur le fait que des valeurs comprises entre 3,5 et 10 ng/ml sont normales. En revanche, ils conviennent qu'il est très difficile d'affirmer qu'un homme, dont le taux de testostérone totale est compris entre 2 et 3,5 ng/ml, présente ou non un déficit androgénique lié à l'âge. C'est ce qui explique que la prise en charge soit très variable d'un médecin à l'autre selon qu'il considère que l'état d'un sujet dont la testostéronémie se situe dans cette zone intermédiaire est pathologique ou non. « Le problème, poursuit le Pr Young, c'est que, dans la majorité des cas, les hommes qui consultent pour des troubles évocateurs de DALA présentent une testostéronémie normale ou comprise dans cette zone "grise" sujette à discussion. »

MANIFESTATIONS CLINIQUES

Dans la majorité des cas, les signes cliniques qui conduisent les hommes à consulter sont des troubles de l'érection et/ou des troubles de la libido. Le tableau décrit peut se manifester par une baisse du désir et du plaisir, une érection insuffisante, des orgasmes de moins bonne qualité, des érections spontanées matinales moins fréquentes et moins intenses. Ces signes peuvent s'accompagner d'une altération de la pilosité axilaire et pubienne et d'une légère gynécomastie (développement des seins). Bien qu'il soit rare que les hommes viennent consulter spontanément parce qu'ils sont fatigués ou parce qu'ils sont irritables, l'asthénie, la fatigue, les modifications de l'humeur, le manque de motivation et d'élan vital font également partie des signes d'un déficit androgénique. De même, les troubles du sommeil, de la concentration et de la mémoire immédiate, ainsi que la fonte musculaire et l'augmentation de la masse grasse (en particulier abdominale), sont souvent observés dans les DALA mais sont peu spécifiques car fréquents avec l'avancée en âge et possiblement liés à une baisse d'activité cérébrale et physique, voire à une alimentation mal équilibrée. Au-delà des signes plus ou moins spécifiques, l'examen clinique et l'interrogatoire doivent également s'intéresser à la présence de facteurs de risque. Dès lors, si un faisceau d'arguments évoque un déficit androgénique, il convient de l'objectiver par la réalisation de dosages hormonaux.

BIEN CIBLER LES EXAMENS BIOLOGIQUES

L'évaluation de la fonction gonadique peut être réalisée à partir de plusieurs paramètres dont certains sont difficiles d'accès, voire peu fiables. Il est donc important de connaître ceux qui présentent un intérêt diagnostique réel. « En première intention, explique le Pr Young, le dosage de la testostérone totale s'impose car c'est un excellent marqueur mais aussi un élément de référence pour juger de la conduite à tenir en pratique. Toutefois, ce paramètre doit être pondéré chez le sujet âgé car, avec l'âge, il se produit généralement une élévation de la protéine porteuse de la testostérone (la SHBG : sex hormone binding globulin)(3) qui aurait tendance à majorer artificiellement le taux de testostérone totale et pourrait, par conséquent, masquer des hypogonadismes. »

Pour corriger cet effet, il est possible de réaliser deux autres dosages complémentaires : le dosage de la testostérone biodisponible et le dosage de la testostérone libre. Le premier, réalisé dans certains laboratoires de référence en France, n'est pas très accessible ; le deuxième n'est pas fiable car il sous-estime systématiquement le chiffre de testostérone et conclut quasi systématiquement à un hypogonadisme. C'est la raison pour laquelle, en plus de la testostérone totale, le meilleur indicateur (à défaut de pouvoir facilement disposer de la testostérone biodisponible) reste le calcul de l'index de la testostérone libre qui s'obtient à partir des dosages de la testostérone totale et de la SHBG. « En pratique, poursuit le spécialiste, lorsque le taux de testostérone totale est parfaitement normal (> 4 ng/ml à 60 ans, par exemple), il est raisonnable d'en rester là car il est extrêmement rare (sauf cas très particulier d'alcoolisme sévère par exemple) qu'avec un tel résultat, la testostérone biodisponible ou l'index de testostérone libre soit anormalement bas. En revanche, dans les situations intermédiaires où il y a discussion ("zone grise"), il peut être intéressant de doser la SHBG pour calculer l'index de testostérone libre ou de demander un dosage de T biodisponible, ce qui permet d'apprécier plus justement l'état androgénique du patient. »

LA PRISE EN CHARGE

En cas de déficit androgénique biologiquement avéré, le traitement repose sur la prescription de testostérone. Toutefois, il est préalablement indispensable de réaliser un toucher rectal et un dosage de PSA (antigène prostatique spécifique) afin d'éliminer tout risque de cancer de la prostate. Celui-ci constitue en effet une contre-indication absolue à la prescription d'une androgénothérapie. Cette précaution prise, le traitement peut être prescrit sous différentes formes galéniques dont les plus courantes en France (entre autres parce qu'elles sont remboursées) sont les injections IM et les traitements per os.

-> Les injections I.M. d'énanthate de testostérone (250 mg toutes les 3 semaines) sont fréquemment utilisées car pratiques, peu coûteuses et prises en charge. Elles présentent néanmoins l'inconvénient d'induire des taux supraphysiologiques de testostérone les 2-3 premiers jours après l'injection, suivis d'une normalisation progressive. Ces variations, parfois ressenties par le patient, peuvent être gênantes pour certains mais c'est généralement la piqûre qui entraîne un refus de cette forme galénique.

-> Le traitement par voie orale (esters de testostérone) nécessite trois prises par jour au moment des repas pour que l'absorption lymphatique soit effective. La multiplicité des prises quotidiennes mais aussi l'adaptation plus délicate de la posologie(4) expliquent que ce traitement soit généralement prescrit en deuxième intention lorsque le patient ne supporte pas les injections.

D'autres formes galéniques existent, mais elles sont onéreuses et ne sont pas remboursées. Il s'agit principalement des gels et des patchs. « La voie percutanée permet d'obtenir un taux sanguins de testostérone très stable pendant 24 heures et autorise l'adaptation progressive des posologies en fonction de la réponse clinique », explique le Pr Young. L'application de gel (sachets dosés à 25 ou 50 mg) est quotidienne. Elle est très efficace mais contraignante et coûteuse. Elle peut être réalisée sur l'épaule (ou une autre partie du corps), juste avant de s'habiller. Le patient doit veiller à bien se laver les mains et à éviter tout contact de peau à peau pendant deux heures car il peut y avoir passage de l'hormone mâle chez la partenaire ou l'entourage. Par rapport à l'objectif thérapeutique (obtenir durablement une testotéronémie stable), les patchs transdermiques, appliqués le soir vers 22 heures et renouvelés chaque jour, semblent être les plus performants. Ce traitement assure des concentrations physiologiques et mime même les variations nycthémérales de la testostéronémie(5).

En moyenne, les traitements androgéniques améliorent les troubles dans 50 % des cas. « La réponse au traitement est directement proportionnelle à l'importance du déficit androgénique, commente le Pr Young. Plus le déficit est important, plus la réponse thérapeutique à l'androgénothérapie l'est aussi. » Ses répercussions sont particulièrement observées sur les troubles sexuels (érection, libido, appétit sexuel), mais aussi sur l'état physique général (diminution de la sensation de fatigue, sommeil de meilleur qualité, force musculaire accrue, diminution de la masse grasse, augmentation de la masse maigre et en particulier de la masse musculaire au niveau des membres supérieurs et inférieurs). Par ailleurs, la présence de récepteurs de la testostérone dans les aires cérébrales impliquées dans la mémoire temporo-spatiale peut expliquer l'amélioration des fonctions cognitives. Enfin, chez les patients qui ont un hypogonadisme sévère et sont exposés à une déminéralisation parfois extrêmement importante avec fractures, le traitement substitutif entraîne une amélioration très nette de la minéralisation osseuse, en particulier au niveau vertébral. Des effets qui améliorent le bien-être et contribuent à restaurer une meilleure qualité de vie mais imposent une surveillance régulière.

ÊTRE PRAGMATIQUE

Lorsque les patients présentent des signes cliniques compatibles avec un DALA mais des dosages peu significatifs, il convient d'adopter une attitude pragmatique dans le but d'apporter la réponse thérapeutique la plus appropriée à la plainte du patient. « Personnellement, explique le Pr Young, après avoir écarté les contre-indications, je mets en place un traitement d'épreuve et j'observe les réactions du patient, de manière à vérifier s'il existe effectivement une relation de causalité entre le déficit androgénique supposé et la plainte. Si les symptômes s'améliorent, je prolonge le traitement. Souvent, les patients sont déçus car ils s'attendent à des effets spectaculaires qui ne se produisent pas. Dans ce cas, je propose un traitement alternatif pour corriger les troubles de l'érection, type Viagra® ou Cialis®. Certains patients sont très aidés par ces traitements car leurs troubles n'étant pas d'origine androgénique mais relevant davantage d'une composante psychogène d'origine familiale ou sociale (problème de couple, perte d'emploi...), ils reprennent confiance en eux et peuvent même dans certains cas suspendre le traitement à distance. »

PRÉVENIR ET TRAITER À BON ESCIENT

En tout état de cause, dans la mesure ou l'andropause ne fait l'objet d'aucun consensus scientifique, il apparaît particulièrement légitime d'opter en pratique pour la sagesse en sensibilisant les hommes jeunes à la prévention et en traitant les sujets âgés à bon escient. « Chez le sujet jeune, il est possible de minorer une baisse de la testostérone par une bonne hygiène de vie », confirme le Pr Young. Il ne faut donc pas négliger la prévention et insister auprès de cette population sur le fait que les individus qui font du sport, qui ont une alimentation saine et qui ne font pas trop d'excès présenteront moins de risque d'être confrontés à un DALA et à des troubles de la libido et de la sexualité que des individus qui se laissent aller. « Quant aux sujets âgés confrontés à ces problèmes, conclut-il, il est important qu'ils soient bien informés pour juger de la qualité de leur prise en charge et pouvoir bénéficier du traitement le mieux adapté à l'origine de leurs troubles. »

(1) Si l'on compare les taux des sujets âgés symptomatiques aux normes établies sur des populations d'hommes jeunes sains, 30 à 40 % des hommes âgés seraient atteints d'hypogonadisme. Si cette comparaison est établie à partir de cohortes de populations du même âge, le pourcentage sera moins important mais aussi plus délicat à établir car, à partir de 60 ans, il est plus difficile de réunir une cohorte de sujets parfaitement sains.

(2) L'étude WHI portaient sur 27 500 femmes suivies pendant 9 ans pour évaluer avec précision l'effet protecteur du THS sur les troubles coronariens et ses bénéficies sur le cerveau (prévention des démences).

(3) Protéine de liaison des stéroïdes sexuels.

(4) La cinétique de l'absorption intestinale et du passage par voie lymphatique des traitements per os entraîne des fluctuations de la testostérone plasmatique au cours de la journée gênantes pour adapter la posologie.

(5) http://www.gyneweb.fr/Sources/lui/vermeulen.htm

Facteurs de risque de DALA

- Si, globalement, le mauvais état général constitue un facteur de risque de déficit androgénique, certaines pathologies semblent être plus particulièrement impliquées. Ainsi, les maladies cardio-vasculaires, l'obésité, le syndrome d'apnée du sommeil et le diabète sont souvent corrélés au déficit en testostérone. D'autres facteurs tels que le stress, le sport d'endurance, la dépression, certains médicaments, pourraient modifier la sécrétion de testostérone mais restent à démontrer de façon scientifiques. Actuellement, le facteur de risque le plus évident et le mieux connu est l'abus d'alcool. Dénoncée depuis très longtemps, l'alcoolisation chronique est toxique pour les gonades et à l'origine d'un hypogonadisme d'origine testiculaire.

Les contre-indications à l'androgénothérapie

- Le cancer de la prostate constitue une contre-indication absolue car c'est un cancer androgénodépendant. Traiter un DALA par l'administration de stéroïdes présenterait le risque d'entraîner une prolifération de la tumeur. Sur le plan cardiaque, seule l'insuffisance cardiaque décompensée constitue une contre-indication majeure. Il existe également des contre-indications relatives au traitement du DALA. C'est notamment le cas de la polyglobulie (les androgènes favorisent la polyglobulie en stimulant l'hématopoïese) qui peut être à l'origine d'une élévation de l'hématocrite pouvant présenter un risque vasculaire (thrombose, embolie, notamment) chez certains sujets particulièrement exposés aux maladies cardio-vasculaires. Dans ce cas, il est important d'évaluer la balance bénéfice/risque et de prendre une décision au cas par cas. Concernant les traitements, les malades sous anticoagulants ne pourront pas bénéficier des traitements androgéniques par voie IM. Enfin, l'apnée du sommeil représente une précaution d'emploi, les androgènes pouvant accentuer les troubles. Le risque est particulièrement élevé chez les obèses et les sujets présentant une IRC.

Surveillance du traitement androgénique

- La surveillance médicale sous androgénothérapie comprend des dosages hormonaux pour vérifier que la substitution reste dans des normes physiologiques, des contrôles de PSA pour la prostate) et des NFS pour vérifier l'hématocrite (supérieur à 50 %, il y a un risque de thrombose - phlébite, embolie). Demandé avant le traitement pour tous les patients, le dosage de PSA devra être régulièrement réalisé tous les trois mois, puis tous les six mois pendant deux ans, et ensuite tous les ans chez le sujet âgé. La surveillance doit être adaptée à l'âge du sujet : on ne contrôlera pas aussi régulièrement la PSA chez un patient très jeune qui présente un hypogonadisme génétique que chez un sujet plus âgé. À partir de 45 ans, il convient d'être très vigilant quant à la surveillance des marqueurs cliniques (TR) et biologiques (PSA) du cancer de la prostate. Par ailleurs, au-delà du risque vasculaire plus à craindre chez les sujets âgés, la surveillance de l'hématocrite est nécessaire pour dépister les surdosages de testostérone consécutifs à d'éventuelles pratiques de dopage.