LA TENSION MONTE À MAYOTTE - L'Infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 393 du 01/05/2018

 

OUTRE-MER

ACTUALITÉS

FOCUS

Sandra Mignot  

L’île est bloquée par un mouvement social dur. Manifestations, arrêts de travail et blocages des voies de circulation entravent l’accès aux soins dans un département déjà démuni.

Cela fait déjà sept semaines que Mayotte est paralysée par un mouvement social. 30 % des effectifs médicaux manqueraient à l’appel, estime Philippe Durasnel, vice-président de la commission médicale d’établissement du CH de Mayotte (CHM), interrogé par l’AFP le 3 avril. « Nous sommes en sous-effectif constant, même si le mouvement a suscité une grande solidarité, observe Mathilde Durang-Mastin, IDE en service de réanimation. Ceux qui habitent tout près du CHM accueillent les collègues qui ne peuvent pas rentrer chez eux ou craignent de ne pas pouvoir revenir le lendemain. Pas le choix, sinon les services ne fonctionneraient pas. » Certains dorment aussi à l’hôpital entre deux gardes, sur des brancards parfois, mais surtout dans les locaux de l’internat ou ceux destinés à l’accueil temporaire de médecins. Même constat du côté des sages-femmes, comme l’a signalé un communiqué de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), le 29 mars : « Beaucoup […] sont contraintes de rester sur place après et entre leurs gardes, par crainte de ne pas franchir les barrages disséminés sur les routes. Les gardes se prolongent jusqu’à l’arrivée de la relève, qui doit souvent abandonner son véhicule en amont des regroupements. » Les maïeuticiennes auraient même été plus particulièrement entravées au prétexte qu’elles permettent aux « Anjouanaises(1) d’accoucher ». C’est en tout cas ce que des manifestants ont rétorqué à Juliette Dassonville-Leroy, sage-femme libérale, lors de sa tournée.

Difficiles accès aux soins

Certaines sages-femmes sont véhiculées en ambulance pour gagner leur lieu de travail, « immobilisant un véhicule indispensable au transfert des patientes vers ou depuis Mamoudzou », la capitale, explique l’ONSSF. À plusieurs reprises, l’intersyndicale et les collectifs citoyens se sont engagés à laisser passer les véhicules de secours, les soignants et les produits nécessaires aux soins. Car les difficultés concernent aussi les approvisionnements. Ainsi, bien qu’il existe des stocks de médicaments permettant de couvrir trois mois d’activité hospitalière, ils ne sont pas installés directement sur le site et leur accès a été déjà bloqué par les barrages… L’équipe médicale du Samu 976 a, elle, signalé de nombreux « dysfonctionnements graves » au niveau des véhicules de secours  : « humiliations, agressions verbales et physiques, blocage des soignants comme des véhicules sanitaires et de secours »… Le Samu a alerté qu’il se verrait dans l’obligation d’exercer son droit de retrait et « n’interviendrait plus dans les zones tenues par les barrages ».

Silence de l’ARS…

Les conséquences sont difficiles à évaluer. D’autant que l’ARS se refuse à tout commentaire. Pourtant, le CHM a signalé, le 16 mars, deux décès d’enfants ayant un rapport « de près ou de loin avec la situation ». Les pompiers ont également rapporté le décès d’un nourrisson de deux mois… Philippe Durasnel impute aussi la mort d’un patient, victime d’un AVC, à un retard de prise en charge lié aux barrages. Juliette Dassonville-Leroy constate surtout, pour sa part, que les femmes ont peur de ne pouvoir accoucher dans des conditions convenables : « Celles qui ont les moyens ont pris des billets d’avion pour accoucher à La Réunion, voire en métropole. »

En réponse, le ministère a mobilisé la réserve sanitaire qui a envoyé 40 professionnels de santé sur place dont quinze infirmiers (puéricultrices, Iade et Ibode), ainsi que des sages-femmes et des gynécologues. La grève se poursuit et les barrages se succèdent. Une situation qui pourrait durer jusqu’à la mi-mai. « Après quoi, nous nous attendons à recevoir des patients qui auront été privés de leurs traitements, poursuit Mathilde Durang-Mastin, car des pharmacies manquent de médicaments antihypertenseurs ou antidiabétiques à cause du blocage du port…

1- Issues d’Anjouan, une île de l’archipel des Comores. Il leur est reproché de venir accoucher à Mayotte pour profiter du système sanitaire et social français.

SITUATION SOCIO-POLITIQUE

Un contexte explosif

La grève générale a été décrétée le 27 février. Des faits de violences récurrents opposant des bandes rivales en milieu scolaire ont mis le feu aux poudres. Les annonces du gouvernement (l’envoi de pelotons de gendarmerie supplémentaires ou la préparation d’un plan de sécurisation des établissements scolaires) n’ont pas satisfait. Le 5 mars, les élus locaux et un collectif de citoyens se sont donc joints à l’intersyndicale. Cette crise intervient dans un contexte de pression migratoire, sociale et démographique.

La population mahoraise a été multipliée par onze en soixante ans. Et 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. L’île est le département le plus touché par le chômage (27,1 % selon l’Insee). Et, quel que soit l’indicateur retenu, la délinquance y est plus forte que dans tout autre territoire français.