LES NOUVEAUX MOTS D’ORDRE - L'Infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018

 

ORDRE INFIRMIER

ACTUALITÉS

FOCUS

Adrien Renaud  

Élu fin 2017 à la présidence de l’Ordre national des infirmiers (ONI), Patrick Chamboredon passera les trois prochaines années à la tête d’une institution contestée, qui ne compte, d’après ses propres estimations, que 243 000 membres sur les 600 000 infirmières françaises. L’infirmier marseillais, que nous avons rencontré dans les locaux du conseil national à Paris, estime pourtant que l’avenir de la profession passe par un Ordre fort. Parole à celui qui représente la profession aux yeux des autorités… qu’on le veuille ou non.

ENGAGEMENT

Un point de ralliement. C’est ainsi que Patrick Chamboredon voit l’ONI, et c’est ce qui donne, selon lui, sens à son engagement. « Je me suis investi car je pense qu’il est important de rassembler la profession et d’œuvrer au quotidien pour sa reconnaissance », indique-t-il. Pourtant, au départ, il venait du milieu syndical. « J’étais à la Coordination nationale infirmière (CNI) et, lors des premières élections ordinales en 2008, je ne pensais pas arriver au niveau régional. » Il a pourtant été élu à la tête de l’Ordre en Paca. Depuis, il est mordu. « J’ai trouvé cela très exaltant », se réjouit-il.

ELECTIONS

Son élection à la présidence de l’ONI, en décembre dernier, n’a pas été un long fleuve tranquille, et il l’a abordée en vieux briscard. « Je m’étais présenté au conseil national il y a trois ans mais je n’avais pas été élu. » Face à lui, à la dernière élection, il y avait deux candidats : le président sortant Didier Borniche et le syndicaliste Thierry Amouroux. Comment a-t-il pu faire la différence dans l’esprit des 56 conseillers nationaux ? « Je pense que plusieurs choses ont joué », répond-il. En insistant notamment sur ce qui le différenciait de ses concurrents : « Je ne suis pas parisien et je n’étais pas aux affaires au niveau national lors de la mandature précédente. » Mais il évoque surtout son bilan régional : « J’ai œuvré en région Paca pendant neuf ans, et je pense que j’y ai eu de bons résultats, qui ont pu plaider en ma faveur. »

BILAN

Il est vrai que le bilan des précédentes équipes est contrasté, au moins pour une partie de la profession. « Ce n’est pas un scoop. Nous avons lancé un audit en février, dont les résultats seront restitués au printemps en conseil national. » Mais il prévient : « Ce n’est pas une chasse aux sorcières mais, au moment où nous prenons en main les affaires, nous devons savoir où nous allons. » Patrick Chamboredon dit d’ailleurs comprendre les facteurs qui ont conduit au désamour entre l’Ordre et une partie de la profession. « L’ONI avait des missions à remplir, sans avoir les moyens correspondants. Nous n’avons pas pu communiquer sur notre valeur ajoutée et nous n’avons pas eu le poids politique que nous aurions dû avoir. Cela a eu des conséquences très néfastes en termes d’image et a créé une forme de schisme avec la profession. Si je suis là, c’est peut-être aussi parce qu’un redressement est nécessaire. »

ANTI-ORDRE

Patrick Chamboredon a tendance à minimiser la contestation dont souffre l’institution qu’il dirige désormais. « Je ne sais pas si les IDE sont aussi réfractaires à l’Ordre qu’on le dit, veut-il croire. Si on les interroge, ils ne savent pas réellement ce que nous faisons. » Son credo : la pédagogie. « Nous devons expliquer quelle est notre plus-value, assène-t-il. Il y a des choses qui ne pourront passer que par un Ordre : pratiques avancées, évolution du métier, futur de notre formation universitaire… » Et ne lui parlez pas du cri de ralliement des adversaires de l’Ordre, le fameux “Nous refusons de payer pour travailler”. « Bien sûr, c’est un slogan percutant, concède-t-il. Mais ceux qui incitent les infirmières à ne pas s’inscrire à l’Ordre ne construisent rien à la place, ne font rien pour valoriser de nouvelles compétences. »

SERVICES

Le nouveau président sait pourtant qu’il faudra plus que de belles paroles pour convaincre les infirmières du bien-fondé de l’Ordre. C’est pourquoi il veut aussi que son institution soit en mesure de proposer des solutions concrètes aux problèmes des soignants. « Nous essayons d’être un offreur de services », explique-t-il. Il voudrait, par exemple, donner davantage de moyens à la permanence juridique. Autre priorité : l’entraide. « Vu les récents suicides, on ne peut pas se satisfaire de communiqués de presse. Il est temps de réfléchir aux moyens d’avoir une cellule d’écoute. » Il imagine donc une hotline que les IDE en détresse pourraient joindre en cas de besoin. « Il faut sortir de la compassion de bon aloi et aller vers de la confraternité active. »

INSCRIPTION AUTOMATIQUE

Mais bien qu’il se défende de vouloir utiliser la coercition pour doper les effectifs de l’Ordre, le nouveau président rappelle que le décret prévoyant l’inscription automatique (non paru à l’heure où nous mettons sous presse, NDLR) réglera prochainement le problème. « Les employeurs nous transmettront la liste de leurs infirmiers et nous la comparerons à notre tableau. Ceux qui n’y figureront pas seront inscrits automatiquement. Il nous reviendra de les contacter pour qu’ils régularisent leur situation. »

Une fois le décret paru et les non-inscrits identifiés, ces derniers auront quatre à cinq mois pour se mettre en conformité. Et l’Ordre dit envisager de rendre les six premiers mois gratuits. Autant dire que ce processus devrait s’étendre sur l’année 2018, et que les premières cotisations des actuelles non-inscrites ne devraient pas être payées avant 2019. Aucun geste commercial à attendre, en revanche, côté tarif : la cotisation restera la même (30 € pour les salariées, 75 € pour les Idel). « Nous sommes déjà sur des sommes très abordables, juge le président, et nous voulons maintenir ce principe de modération. »

Mais, après la carotte, Patrick Chamboredon n’hésite pas à agiter le bâton. « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette inscription automatique est une fenêtre offerte aux personnes pour se mettre en conformité. Par la suite, le système de vérification avec les employeurs sera routinier. » Et la sanction pour les contrevenants ? « Ce sera celle prévue en cas d’exercice illégal de la profession. »

DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE

Mais Patrick Chamboredon refuse d’apparaître uniquement sous ce jour très autoritaire. Il dit, par exemple, beaucoup croire aux expériences du terrain et à la démocratie participative. Cela s’applique aux relations entre le conseil national et les conseils régionaux. « Les prérogatives politiques appartiennent au niveau national, mais les initiatives doivent se développer à l’échelon régional », détaille-t-il. Même chose concernant les syndicats, auxquels il lance un appel. « Les vieilles tensions ne doivent plus avoir cours et nous devons travailler ensemble pour la profession. »

Mais il ne peut s’empêcher de prévenir ceux qui seraient tentés d’ignorer l’institution. « L’Ordre est désormais inscrit dans le paysage. L’histoire aurait pu s’arrêter mais nous avons tenu bon. Et je pense qu’il faut saisir cette opportunité, pour le bien de notre profession. »

PARCOURS

D’agent de service intérieur à infirmier

Patrick Chamboredon a travaillé pendant vingt ans comme infirmier à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM). Mais son parcours est assez particulier. « Je suis entré à 20 ans à l’hôpital, mais sur un poste d’agent de service intérieur, se souvient le quinquagénaire. Puis j’ai bénéficié de la reconnaissance des acquis de l’expérience pour passer le concours infirmier. »

Diplômé à 30 ans, il a officié dans le service d’hémodialyse, auquel il se dit particulièrement attaché. « Travailler avec des malades chroniques permet de nouer avec eux une vraie relation, explique-t-il. Je les vois plus que ma famille ! »

Et aujourd’hui ?

Laisser ses patients pour occuper à temps plein les fonctions de président de l’Ordre est un crève-cœur, mais aussi un casse-tête.

Le nouveau représentant des infirmières rappelle que le président de l’Ordre exerce ses fonctions à titre bénévole et ne reçoit qu’une indemnité d’environ 1 000 € par an. Résultat : « Nous sommes en train d’étudier, avec l’AP-HM, les types de mise à disposition possibles, explique Patrick Chamboredon. Et en attendant, j’éponge les congés et autres RTT que j’ai acquis depuis le début de mon exercice professionnel. »