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L'infirmière Magazine n° 384 du 01/07/2017

 

ART À L’HÔPITAL

DOSSIER

Catherine Faye  

L’art structure et tisse du lien… Particulièrement à l’hôpital, lorsque la maladie interrompt, éloigne, isole. Véritable passerelle avec l’extérieur – tant pour les patients que les soignants –, l’art redonne du sens. Et l’hôpital devient un lieu d’accueil pour la culture.

Accueillir des artistes dans l’institution, c’est accepter d’être dérangé, que l’on soit soignant ou soigné. L’art permet d’inventer des passerelles entre le soin et la cité », assure Jean-François Popielski, directeur des soins et des actions culturelles à l’EPS Erasme, à Antony (92). Placer la culture au cœur de la prise en charge, c’est proposer au patient de tenir un rôle d’acteur et de sujet dans son parcours de soins. « Les droits culturels sont des droits de l’homme à part entière qui désignent le droit à l’éducation et le droit de participer à la vie culturelle »(1), tient à rappeler Sylvain Filiol, cadre de santé à l’Espace méditerranéen de l’adolescence, structure novatrice imaginée par le pédopsychiatre Marcel Rufo, à Marseille (13), où la médiation culturelle fait partie intégrante du soin. L’art est donc un droit. Une philosophie de vie et de soins aussi, contenue dans l’étymologie même du mot, ars, artis, qui signifie « façon d’être », « façon d’agir ». « Ce qui est intéressant, c’est de se laisser bousculer les uns par les autres. Que les personnes prises en charge soient reconnues et se reconnaissent comme citoyens, comme artistes, et que la dimension de la maladie reste de côté », ajoute le directeur des soins d’Erasme, ancien infirmier en psychiatrie. Pluriel, l’art va au-delà de la création pure. Et à l’hôpital – lieu social –, il trouve toute sa place, et permet de faire tomber les murs et transformer les regards.

Ouverture au monde

À Rennes, depuis 4 ans, au mois de juillet, les patients du centre hospitalier Guillaume-Régnier, spécialisé en psychiatrie, peuvent profiter d’une représentation en plein air des Opéras d’été de Dinard. « Nous créons une œuvre expressément pour ce type de représentation avec une partie racontée, de façon à ce que tout le monde puisse bien suivre l’histoire », explique Frédérique Chauvet, directrice artistique du collectif Arma BarokOpera, à l’origine du projet. Sa compagnie a accompagné le développement de la politique culturelle du centre hospitalier. À la fois pour déstigmatiser le lieu, avec une représentation ouverte à tous, mais aussi pour utiliser l’art comme outil thérapeutique auprès des malades. Ainsi, toute l’année, l’hôpital monte des ateliers opéra avec les patients. « Avec ces ateliers, nous remobilisons des sensations, des souvenirs et des émotions qui existent, mais qui sont en sommeil », développe Corinne Thébaud, infirmière au centre social thérapeutique et culturel (CSTC) de l’hôpital. La culture, dans toutes ses acceptions, opère de manière bénéfique sur les patients, qu’il s’agisse de citoyenneté, d’ouverture au monde ou de soins. Par le prisme de l’art, patients et soignants sont vus différemment, sont perçus comme des êtres sensibles et égaux, capables d’apprécier ensemble une œuvre. La création procure aussi au patient un mode irremplaçable d’expression. Il participe ainsi, dans un processus de soins, à la reconquête d’une identité que la maladie a pu malmener.

Plus encore, l’art crée une jonction et une cohérence entre l’hospitalisation et le monde extérieur, notamment lorsque le patient rentre chez lui. Car dans ces moments-là, l’isolement peut être très fort. « Il arrive souvent que les patients reviennent participer à des ateliers, à des représentations à l’hôpital. Se joindre à une action culturelle, partager une pratique avec un artiste, tout cela a des effets sur la construction de la personne, sur son image, sa valorisation », poursuit Mehdi Idir, conseiller territorial à la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Île-de-France dans le service du développement à l’action territoriale. Avec Lætitia Mailho, coordinatrice à l’Agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, ils ont créé l’association Arts et santé, La Manufacture pour renforcer et fédérer davantage les acteurs du territoire francilien et les porteurs de projets « Culture et santé » dans une logique de transversalité. Et aussi, mieux répondre à leurs besoins spécifiques.

Un dispositif national

C’est la convention du 4 mai 1999, signée par le ministère de la Culture et de la Communication conjointement avec celui de la Santé, qui définit le programme national « Culture et santé », anciennement « Culture à l’hôpital ». Son objectif ? Inciter acteurs culturels et responsables d’établissements de santé à construire ensemble une politique culturelle inscrite dans le projet d’établissement de chaque hôpital. Pour sa mise en œuvre, les Drac et les Agences régionales d’hospitalisation (ARH) sont appelées à se rapprocher et à signer des conventions régionales tandis que les établissements de santé sont invités à solliciter les réseaux culturels de proximité. Un tel dispositif propose une nouvelle perception de la personne accueillie à l’hôpital, appréhendée non plus comme un simple patient – personne passive qui attend des soins, une consultation, un diagnostic –, mais dans une dimension plus globale.

La particularité des projets « Culture et santé » en milieu hospitalier ? La part de gestion de projets, en lien avec des acteurs extérieurs à l’univers hospitalier, contrairement à deux autres types d’actions, également intégrées au quotidien hospitalier, qui considèrent l’art comme un moyen du soin ou du projet éducatif : l’art-thérapie et les animations. Les projets culturels sont coconstruits en partenariat avec les acteurs du territoire et favorisent l’intervention en milieu hospitalier de professionnels du champ culturel et artistique. Cadres de santé et infirmières, qui sont parmi les premiers acteurs, s’associent donc, conjointement avec d’autres professionnels hospitaliers, aux usagers, artistes, représentants de la société civile.

La culture à l’hôpital apporte du rêve et de la poésie, décale les regards et participe à l’amélioration de l’environnement hospitalier pour tous. Néanmoins, « bien que chacun soit sensibilisé et même convaincu de la légitimité d’accorder une place importante à la culture dans l’hôpital, il n’en demeure pas moins que les contraintes budgétaires et organisationnelles rendent parfois difficile l’implication des professionnels dans l’action culturelle. Tout se passe encore comme si le temps “culture” se situait en dehors du temps “soins”, alors que ces deux temps se doivent harmonieusement de se compléter », temporise Nathalie Heulin, directrice adjointe en charge de la culture au centre hospitalier Charles-Perrens, à Bordeaux (33).

Quand l’art s’expose à l’hôpital

Les établissements culturels et les collectivités locales sont des partenaires de premier plan pour le développement de tels projets à l’hôpital. Et permettent d’affirmer différemment l’inclusion de l’hôpital dans son territoire, dans une dimension citoyenne, en plaçant le patient au cœur de la démarche. Les Journées du patrimoine ou encore la fête de la Musique, entre autres, peuvent alors être des moments où il est possible de proposer au grand public de découvrir différemment et de mieux comprendre le fonctionnement de l’organisation hospitalière.

Par ailleurs, la Direction générale de la création artistique (DGCA) encourage les commandes d’art contemporain dans des domaines d’intervention qui se sont diversifiés, en privilégiant l’implantation de l’art dans l’espace public. C’est dans ce contexte que la commande publique trouve sa place en milieu hospitalier. Il est également possible de louer des expositions déjà conçues par des musées ou d’autres structures culturelles. C’est le cas, par exemple, du Musée en herbe, un espace parisien intergénérationnel de découvertes culturelles et de pratiques artistiques, qui a déjà diffusé ses expositions destinées aux enfants sur Picasso, Chagall et Monet, à l’hôpital Trousseau et à l’hôpital Necker-Enfants malades (AP-HP). Ou encore, de l’aménagement des espaces d’accueil de l’hôpital Claude-Huriez (CHRU), à Lille (59), en véritable monde végétal par l’artiste japonais Katsuhito Nishikawa.

Si l’art apaise les maux et réconcilie, reste la question du corps qui transcende bon nombre de projets. Au CHU de Rouen (76), les danseurs de la compagnie Sylvain Giroud animent des ateliers au sein même des services. Patients et soignants des unités concernées dansent et regardent danser. En retour, la compagnie s’inspire des mouvements du corps à l’hôpital comme d’un répertoire de gestes en vue de la création d’une pièce qui interroge le rapport des soignants et des soignés au corps hospitalisé. « La relation s’établit autour de l’activité, pas forcément autour de la parole. Ce n’est pas comme un entretien avec un psychologue par exemple où la parole est d’emblée utilisée pour faire travailler la personne », ajoute Irène Blanqui, infirmière. Aussi, le patient n’est pas un corps dysfonctionnant, mais une personne douée de sensations, d’émotions, d’intelligence, d’imagination, de créativité. L’art dans la relation de soins permet alors de redonner du sens et d’adapter les soins infirmiers à l’être. Car tout patient est avant tout un citoyen, dans sa singularité et sa sensibilité d’être au monde.

  • 1- Art. 26 et 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et 13, 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

INITIATIVE

Un label en Île-de-France

Le label « Culture et santé en Île-de-France » encourage les établissements de santé à structurer leurs propositions culturelles et artistiques, souvent déconnectées les unes des autres, et à construire une politique culturelle de qualité et outillée pour son bon ordre de marche : un référent, un budget dédié, une inscription dans le projet de l’établissement, une commission culturelle représentative des personnels, des usagers, des partenaires culturels ou intervenants, des partenaires territoriaux, etc. qui vont statuer sur les propositions faites à l’hôpital, sur les bilans, les évaluations, la visibilité et la pérennité. Son attribution est une reconnaissance de la qualité de la politique culturelle et artistique mise en œuvre par les établissements de santé, valable pour une durée de 3 ans. Elle ne donne lieu à aucun financement spécifique ni de l’agence régionale de santé (ARS), ni de la Direction régionale des affaires culturelles. Après quatre campagnes de labellisation, 16 établissements de la région ont été labellisés dont, cette année, 5 nouveaux lauréats et 2 lauréats reconduits pour la seconde fois. Prochain appel à candidatures en juin 2017 (pour la période 2018-2020).

http://bit.ly/2pQEgZa

SAVOIR PLUS

→ Appel à projets de l’ARS : bit.ly/2qnpEDB

→ Politique culturelle mise en œuvre à l’hôpital :bit.ly/2rltaLZ

→ Intervention d’un artiste, ce qu’il faut savoir :bit.ly/2rbACwU

→ Direction générale de la création artistique :bit.ly/2rbNiUq

→ Aventures en terres hospitalières. Culture, hôpital et territoires 2000-2010, Collectif (ARS, Drac et Région Rhône-Alpes, coordination Hi.culture), Éd. Lieux dits, 2009.

→ Il suffit de passer le pont…, Culture et hôpital, Groupe de réflexion Rhône-Alpes, Drac et Agence régionale d’hospitalisation de Rhône-Alpes, juin 2001, Éditions la Ferme du Vinatier.