AVIS DE DÉPRESSION - L'Infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 361 du 01/06/2015

 

SANTÉ MENTALE PÉRINATALE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Devant des situations préoccupantes pendant la grossesse ou après l’accouchement, une équipe ressource en santé mentale périnatale a été créée en 2013 en Franche-Comté. Sa mission : soutenir les soignants qui accompagnent les parents et leur bébé.

La période périnatale est un moment de vulnérabilité psychique pour les femmes. Rapidement, l’apparition de difficultés – causées par un problème psychiatrique antérieur, un trouble apparaissant durant la période gravido-puerpérale(1), ou simplement en raison des remaniements psychiques inhérents à la parentalité – peut, en l’absence d’aide extérieure, avoir des conséquences sur les interactions précoces parent-enfant.

Et ces liens perturbés peuvent retentir sur le développement psycho-affectif de l’enfant.

Une équipe ressource en santé mentale périnatale (ERSMP), composée d’une infirmière et d’un pédopsychiatre, a ainsi été mise sur pied en Franche-Comté pour épauler les professionnels de périnatalité – qu’ils soient libéraux ou travaillant en institution – lors de situations complexes ou préoccupantes. Une organisation originale pour optimiser la prise en charge des femmes enceintes, des mères, des pères et des bébés.

MARYLINE PELLEGRINI INFIRMIÈRE

Le service de pédopsychiatrie du CHRU de Besançon dispose d’une unité d’hospitalisation à temps complet pour les mères et les bébés en difficulté. En 2005, une unité de pédopsychiatrie de liaison y a été créée pour étayer l’offre de soins en psychiatrie périnatale. Elle a été renforcée en 2007 par la mise en place de l’unité d’accueil père-mère-bébé (UPMB) – un centre d’accueil thérapeutique à temps partiel. Mais que pouvions-nous proposer aux dyades mère-bébé qui nécessitaient un accompagnement plus conséquent et pour qui l’hospitalisation à temps complet n’était pas indiquée ? Et pour ceux qui vivaient loin de Besançon ? En 2013, pour compléter l’offre, un accueil de jour parent-bébé (AJPB) – un hôpital de jour – a ainsi été mis en place à destination des familles, et l’ERSMP pour les professionnels de la région Franche-Comté, qui compte environ 15 000 naissances par an et dix maternités réparties sur les quatre départements(2).

Intervention adaptée

Le but de l’ERSMP est de soutenir et d’accompagner les professionnels qui suivent les femmes enceintes, ainsi que les mères et leur bébé. Pendant la période périnatale, la future mère rencontre un grand nombre de professionnels : médecin traitant, sage-femme libérale ou de maternité, gynéco-obstétricien, psychologue, psychiatre, pharmacien, échographiste, biologiste, pédiatre, professionnels de crèche ou de PMI (protection maternelle et infantile), éducateur, etc. Il est donc primordial d’avoir une bonne cohérence dans la prise en charge, mais aussi que le professionnel de santé ne se sente pas isolé face à une situation complexe. Notre mode d’intervention est adapté à chaque situation et si nous proposons un appui aux professionnels qui s’occupent de la famille, nous intervenons rarement directement auprès des familles. Nous faisons de nombreux déplacements dans la région, participons à des réunions de synthèse autour de situations cliniques, à des staffs de parentalité dans les maternités et proposons également des temps de supervision. C’est lors d’une consultation ressources au CHRU que nous rencontrons Mme S. L’infirmière de PMI nous avait contactées pour parler de la situation de cette patiente, qui se trouve en grande difficulté psychique. Après quelques échanges téléphoniques, nous proposons donc de la rencontrer. Elle sera accompagnée de la psychologue de PMI lors de la première rencontre. Durant cet entretien, elle évoque les difficultés quotidiennes qu’elle rencontre pour s’occuper de son fils : autour du bain car elle est trop angoissée, autour des repas car elle a peur qu’il ne le finisse pas et qu’il se salisse, autour du jeu car il faut déranger les jouets. Elle explique qu’elle aimerait que l’enfant retourne dans son ventre, car « c’était beaucoup plus simple ». Des hospitalisations vont s’enchaîner : tant pour la maman seule que conjointement avec Max à l’AJPB. Neuf mois plus tard, le petit a 20 mois, et les soins se poursuivent. Ces consultations ressources se font toujours en binôme infirmière-pédopsychiatre. Cela permet un regard croisé : quand l’un pense « maman », l’autre pense « bébé », et inversement. La consultation prend ainsi une autre dimension, peut-être plus rassurante pour la famille. Ces consultations interdisciplinaires sont riches et permettent d’affiner notre observation sur la mère, sur l’enfant et sur ce qu’il se passe entre eux. Une fois la famille partie, nous confrontons nos ressentis, puis, nous nous mettons en lien avec les professionnels qui suivent la famille et réfléchissons ensemble à la façon d’optimiser la prise en charge.

LUCIE GALDON PÉDOPSYCHIATRE

La majeure partie de notre travail se fait en indirect auprès des professionnels. Ce qui évoque, pour reprendre une notion amenée par Donald Winnicott(3), une sorte de holding en cascade, c’est à dire, proposer un soutien aux professionnels prenant en charge les parents qui seront alors mieux habilités à prendre soin de leur bébé. Il s’agit en quelque sorte d’ajouter un contenant à l’enveloppe que constituent déjà les professionnels auprès des parents et des bébés.

À l’origine de la création de cette équipe ressource, nous avions constaté que les situations périnatales étaient souvent complexes, lourdement chargées émotionnellement, et mobilisant beaucoup les soignants. Le recours à un regard et une aide extérieurs semblait donc utile. Nous avions aussi noté qu’il était difficile pour les professionnels intervenant directement auprès des femmes et des familles d’avoir une lisibilité de l’ensemble des dispositifs de soins existants. De plus, dans les situations complexes, la solitude n’est jamais bénéfique. L’expérience de l’ERSMP montre que la réflexion collégiale sécurise l’ensemble des professionnels et épaule les familles, rassurées par la cohérence des liens.

Transversalité

Lorsque l’idée de ce projet est née, il semblait primordial de favoriser les liens et les articulations entre les différentes structures de soins existantes dans le champ de la périnatalité au sein de la région. Nos postes ont ainsi été pensés de façon « transversale ». Nous exerçons toutes les deux à la fois dans le service de pédopsychiatrie du CHRU de Besançon, ainsi qu’à l’UAPMB, et à l’AJPB, qui, eux, dépendent du CH de Novillars. Cette position nous permet d’avoir une bonne connaissance des différentes structures et de remplir une mission de mise en lien et d’articulation entre les équipes. Une façon de guider au mieux les professionnels de la région vers les structures adéquates. Elle permet aussi de prendre en compte l’ensemble des dimensions présentes dans les situations périnatales : médical et paramédical, parents et enfants, psyché et soma.

L’infirmière a un rôle clé dans cette équipe, de par son expérience professionnelle avec les nourrissons et les enfants en bas âge ainsi que par les liens qu’elle entretient avec les professionnels de terrain. Elle est le plus souvent l’interlocuteur de première ligne pour les professionnels. Dans la situation de Mme S., elle a non seulement permis d’initier le contact avec l’équipe de PMI, puis avec la patiente, mais elle a aussi participé à la continuité de la prise en charge et à la mise en lien des différents partenaires. Sa vision et son ressenti des situations cliniques sont complémentaires de celle du pédopsychiatre.

1- La période gravido-puerpérale dure en psychiatrie périnatale jusqu’à la fin de la première année suivant l’accouchement.

2- Le Doubs, le Jura, la Haute-Saône et le Territoire de Belfort.

3- Donald Winnicott (1897-1971) est un pédiatre et psychanalyste anglais.

CAS DE DÉPART

Mme S., 30 ans, a toujours été psychologiquement fragile. Au moment de sa grossesse et de l’arrivée du petit Max, ses angoisses et ses troubles obsessionnels compulsifs (TOC) se sont intensifiés. Séparée de son mari, elle tente de s’occuper de son fils avec l’aide de sa famille. Au fil des mois, les interactions avec l’enfant deviennent difficiles : Mme S. laisse la garde au papa et sollicite de l’aide. Max a alors 11 mois.

Partagez vos pratiques

Vous avez mis en place un outil original, une procédure innovante pour améliorer la prise en charge des patients. Partagez votre expérience : karen.ramsay@initiativessante.fr

HISTORIQUE DU PROJET

→ 1987 : Naissance du service de pédopsychiatrie du CHRU de Besançon.

→ 1996 : Création de l’hospitalisation temps plein mère-bébé au CHRU.

→ 2005 : Ouverture de l’unité de pédopsychiatrie de liaison formalisant les liens entre les services de la maternité, de pédiatrie et de pédopsychiatrie du CHRU.

→ 2007 : Lancement de l’unité d’accueil père-mère-bébé (CH de Novillars).

→ 2013 : Création de l’accueil de jour parent-bébé (CH de Novillars) et de l’Equipe ressource en santé périnatale (dépendant du CHRU).

REPÈRES

Des temps troubles

En périnatalité, certains troubles psychiques sont plus fréquents, à l’image des troubles anxieux, des remaniements psychiques identitaires maturatifs, la dépression, la décompensation symptomatique d’un trouble de la personnalité qui peuvent survenir lors de la période gravido-puerpérale. Durant le post-partum, on recense le baby-blues (50 % des naissances et non pathologique), la dépression post-natale (10 %), et la psychose puerpérale dont la fréquence est de 1 pour 1 000 naissances. Parmi les facteurs associés à un risque d’apparition de ces troubles : les antécédents d’épisodes délirants (psychose puerpérale) ou dépressifs (dépression post-natale), primarité tardive, précarité socio-économique et complications obstétricales.