Nuits blanches au CHRU de Lille - L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010 | Espace Infirmier
 

L'Infirmière Magazine n° 262 du 01/07/2010

 

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Ambiance feutrée dans l'unité des troubles de la veille et du sommeil au CHRU de Lille : on y dort, on y dort ! Excepté dans les situations d'urgence, le rôle des infirmières est, ici, atypique.

Ils ne dorment pas assez, ou trop, ou trop mal, et ça leur pourrit la vie. Criblés de capteurs, ils dorment ou essaient de le faire dans l'une des six chambres d'enregistrement que compte l'unité des troubles de la veille et du sommeil, au sein du service de neurophysiologie clinique du CHRU de Lille, seul centre de compétences sur le sujet au nord de Paris(*). Une grande partie de son activité réside dans les polysomnographies réalisées afin d'identifier les troubles ou de déterminer leur cause lorsqu'ils sont avérés.

Cinq nuits par semaine, des patients viennent passer une nuit dans le service. Ils arrivent vers 18 heures (20 heures pour les enfants, près d'un par nuit). Les infirmières (sept équivalents temps plein) les accueillent, ouvrent leur dossier de soins, retranscrivent les prescriptions médicales et leur expliquent le déroulement de l'examen. « Cela reste fort abstrait pour la plupart des gens, remarque Christine, infirmière dans le service depuis dix ans. Nous répondons à leurs questions. Ils se demandent, par exemple, s'ils peuvent se lever, changer de position, et ce qu'ils doivent faire s'ils ont envie d'uriner... » La pose des électrodes et des capteurs prend beaucoup de temps, jusqu'à une heure pour un patient épileptique, et cela permet d'échanger !

réussir le premier contact

« Il ne faut pas rater le premier contact, ajoute l'infirmière. L'hospitalisation est très courte : les patients ne viennent qu'une nuit, et avec tout l'attirail d'enregistrement, ils craignent de ne pas pouvoir dormir. Ils sont souvent un peu anxieux. Il faut alors faire en sorte que tout se passe bien et beaucoup répéter les consignes car ils ne les retiennent pas toutes d'emblée. » Certains s'inquiètent aussi de devoir dormir dans une chambre sans fenêtre, demandent une petite veilleuse ou que la porte reste entrouverte...

Au cours de ces polysomnographies, plusieurs variables sont enregistrées : activité cérébrale, oculaire, du menton (électromyogramme), pression nasale, respiration buccale, saturation sanguine en oxygène... Des capteurs enregistrent également les mouvements des muscles jambiers, de la cage thoracique, des abdo- minaux, et l'ensemble de l'examen est enregistré en vidéo. L'observation des voies, débit et éventuelles difficultés respiratoires, mouvements divers, positions et succession des phases de sommeil permet « d'évaluer la qualité du sommeil des patients, explique le Dr Christelle Monaca, neurologue et spécialiste des troubles du sommeil. Nous pouvons ainsi repérer les syndromes d'apnée du sommeil, les mouvements périodiques... »

Le sommeil de certains patients est enregistré sur deux nuits consécutives, notamment s'ils souffrent d'hypersomnie ou de parasomnie comme le somnambulisme ou les terreurs nocturnes, car ils dorment souvent normalement la première nuit. Les capteurs de chaque patient comme le canal vidéo sont reliés à un ordinateur, ce qui permet aux infirmières de suivre l'évolution des variables et de surveiller leur sommeil sans avoir à entrer dans les chambres. Les enregistrements sont interprétés le matin par l'équipe médicale rassemblant neurologues, neurophysiciens et psychiatres. Beaucoup sont suivis par ailleurs en pneumologie. Ils souffrent d'insomnie, d'apnée du sommeil, de somnolence excessive, de troubles neurologiques ayant un impact sur leur sommeil comme la narcolepsie ou l'épilepsie, de parasomnies comme l'hypersomnie (troubles du comportement en sommeil paradoxal) ou encore du syndrome des jambes sans repos ou de troubles du rythme circadien.

dormez, vous êtes filmés

Les infirmières du matin « débranchent » des patients qui ont passé la nuit en enregistrement. « 8-9 heures, ici, c'est l'heure de pointe », souligne Christine. Comme le poste d'aide-soignant du service est surtout dédié au brancardage, les infirmières servent aussi le petit-déjeuner. Une fois qu'ils ont rencontré le médecin qui a interprété les données enregistrées, les patients quittent le service. Sauf ceux qui doivent poursuivre leur examen par une évaluation de leur fatigue et des tests de somnolence dans la journée. S'ils ont dormi douze heures et se rendorment à la moindre occasion, en effet, il y a lieu de s'interroger...

Pendant la journée, l'activité s'organise donc autant au rythme des consultations (une fois les difficultés identifiées lors d'une polysomnographie, le traitement est engagé) qu'à celui des hospitalisations de patients pour des problèmes de somnolence diurne. Des tests de vigilance et de latence d'endormissement sont pratiqués toutes les deux heures. « Les patients sont mis au sommeil et nous leur demandons de s'endormir le plus vite possible, explique le Dr Monaca. S'ils se sont endormis, nous les laissons pendant quinze minutes. S'ils mettent moins de huit minutes à s'endormir, c'est qu'il y a pathologie. »

un rôle particulier

Dans la journée, d'autres patients pratiquent des tests de maintien de l'éveil : ils restent quarante minutes dans un fauteuil et doivent s'empêcher de dormir. Les conducteurs professionnels peuvent aussi passer ici les tests médico-légaux nécessaires.

Les infirmières accompagnent, pour leur part, également, les patients souffrant d'apnée du sommeil dans les essais d'appareil à pression positive continue auquel ils seront désormais branchés chaque nuit. « On explique le fonctionnement de la machine, on prend le temps de répondre aux questions, on l'installe, et puis les gens font une sieste, raconte Christine. Souvent, ils passent aussi la nuit ici avec leur appareil. Il s'agit plus d'un apprentissage, d'une habituation, que d'éducation du patient. »

Positionnement des électrodes, entretien d'explications, surveillance des examens, aide à l'utilisation de l'appareillage... En dehors des situations d'urgence, toujours possibles, « on n'est pas dans le rôle type de l'infirmière » même s'il reste très important dans le domaine de la qualité des soins, de l'hygiène, en termes relationnels ou d'accueil du patient, souligne Mireille Tirlemont, cadre de santé du service de neurophysiologie (qui comprend l'unité du sommeil) et d'exploration fonctionnelle de la vision. « Elles ne font pas de pansement, ne branchent pas de perfusion mais elles sont présentes, dans toute la dimension humaine de leur métier, ajoute la cadre. D'autant qu'elles reçoivent des patients de plus en plus dépendants. » Christine, diplômée en 1979, travaillait auparavant auprès de personnes âgées et a « toujours eu le sentiment que le sommeil n'était pas pris en compte. Pourtant, beaucoup de personnes âgées se plaignaient de mal dormir ! » Autant dire que son poste actuel lui apporte satisfaction sur ce plan et qu'elle dispose, sur place, comme ses collègues, de toutes les possibilités de formation (lire ci-dessus).

Parce que les troubles sont mieux diagnostiqués, sans doute, mais aussi parce qu'ils touchent de nombreuses personnes et que les lieux de prise en charge sont peu nombreux, la fille d'attente est longue. Les patients, qui viennent du Nord-Pas- de-Calais mais aussi de Picardie ou même de Paris, où les délais sont encore plus longs, attendent jusqu'à cinq mois pour obtenir un rendez-vous à Lille. Mais « la file d'attente se stabilise », constate Christelle Monaca, grâce à la diffusion des connaissances et à la formation des professionnels. Peut-être cela laissera-t-il un peu plus de temps à l'équipe pour mener ses travaux de recherche sur la mauvaise qualité du sommeil des patients parkinsoniens et le syndrome des jambes sans repos.

* L'Unité des troubles de la veille et du sommeil (Pr Philippe Derambure, Dr Christelle Monaca) est l'un des 12 centres de compétences, spécialisé dans les narcolepsies et les hypersomnies rares.

Une formation supplémentaire

Pour Mireille Tirlemont, le rôle de l'infirmière dans l'unité des troubles de la veille et du sommeil met en oeuvre « des techniques qui nécessitent une formation supplémentaire par rapport à la formation des infirmières ». Pendant quinze jours à trois semaines, les nouvelles recrues (rares, car le turn-over est faible) se forment en travaillant en binôme avec une infirmière plus expérimentée. Elles s'imprègnent des protocoles appliqués, de la programmation des soins, apprennent à coller des électrodes mais aussi à surveiller les graphes.

L'équipe soignante a mis en place « des plans de soins types qui mettent en avant la prise en charge des patients par tous les intervenants », indique la cadre de santé, qui pilote ce projet institutionnel. Le Dr Monaca, qui a mis sur pied un DU Veille et sommeil, assure des formations en interne et à l'attention de professionnels de santé extérieurs (pneumologues, notamment), qui peuvent effectuer des stages d'immersion de trois jours dans le service.

contact

- Hôpital B

CHRU de Lille, 59037 Lille

03 20 44 59 62