Un herbicide sous haute tension - L'Infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018

 

SANTÉ ENVIRONNEMENTALE

Actualité

Isabel Soubelet  

Les États membres de l’Union européenne ont voté le 27 novembre en faveur d’une nouvelle autorisation pour cinq ans du glyphosate. Une décision qui ne règle pas la question scientifique des effets sur la santé de l’herbicide le plus vendu au monde.

Après deux années de débats et de revirements, les États membres de l’Union européenne, réunis au sein d’un comité d’appel, ont voté(1) le 27 novembre en faveur d’une nouvelle autorisation pour cinq ans du glyphosate, la licence de cet herbicide très controversé arrivant à échéance le 15 décembre. La proposition de la Commission a obtenu de justesse, à la suite d’un revirement de l’Allemagne, qui s’était abstenue jusque-là, la majorité requise. Dans la foulée, Emmanuel Macron a réaffirmé, via un tweet, sa volonté « d’interdire l’utilisation du glyphosate en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Reste à savoir comment tout cela va pouvoir se mettre en place.

Controverse scientifique

Dans ce feuilleton politico-juridico-médiatique, une des questions centrales porte sur les impacts sur la santé humaine de cette molécule. Mais là encore, scientifiques et agences européennes sont très loin de parler d’une même voix. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé, a classé le glyphosate dans la catégorie 2A, c’est-à-dire un « agent probablement cancérogène pour l’homme »(2). La même année, en novembre, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a jugé « improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l’homme », et proposé « une nouvelle mesure de sécurité qui permettra de renforcer le contrôle des résidus de glyphosate dans l’alimentation »(3). En 2016, en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a rendu une expertise affirmant qu’un « classement en cancérogène certain n’avait pas de base sérieuse, mais que celle en cancérogène probable “peut se discuter” »(4). La cacophonie… Récemment, plusieurs articles du Monde, dans une série intitulée « Monsanto Papers »(5), ont révélé que l’avis de l’Institut fédéral allemand de l’évaluation des risques, qui avait servi de base avant l’examen par les pairs au projet de texte de l’EFSA, contenait des passages entiers copiés intégralement sur la littérature fournie par les industriels. Des informations battues en brèche par Bernard Url, le directeur exécutif de l’EFSA(6). À l’automne, la publication d’une étude de cohorte menée sur plus de 50 000 agriculteurs volontaires, recrutés dans le cadre de l’Agricultural Health Study (AHS) en Caroline du Nord et dans l’Iowa par les Instituts nationaux de la santé, a conclu « qu’aucune association n’est apparente entre le glyphosate et l’apparition de tumeurs solides ou de lymphomes non hodgkiniens (LNH) ». Pour Luc Multigner, directeur de recherche à l’Inserm/Irset (Institut de recherche sur la santé, l’environnement et le travail), « en l’état actuel des connaissances, sur la base du fait scientifique, il n’y a pas d’évidence entre les expositions professionnelles au glyphosate et la survenue de cancer. Cela ne veut pas dire que ce risque n’existe pas. Il faudrait étudier cela sur des cohortes de vingt-cinq-trente ans. Mais, dans ce dossier, il y a une grande confusion. Il faut distinguer la question du danger et celle du risque ». Toutefois, les auteurs de l’étude AHS ont noté, chez les utilisateurs les plus exposés au glyphosate, un risque de leucémie aiguë myéloïde multiplié par 2,44 comparé aux agriculteurs n’ayant jamais été exposés.

Revoir les méthodes d’évaluation

Pierre Lebailly, docteur en épidémiologie, maître de conférences en santé publique, chercheur à l’Inserm, estime que « le glyphosate est révélateur d’un dysfonctionnement des méthodes d’évaluation. Pour améliorer le système de santé publique, il faut revoir le fonctionnement des agences d’homologation, avec des informations moins dépendantes de l’industrie. Il faut aussi avoir la possibilité d’alerter et de sensibiliser ». Plus de transparence, c’est également un des axes forts défendus par Martin Pigeon, chercheur-militant au Corporate Europe Observatory. Cette ONG basée à Bruxelles a notamment porté l’initiative citoyenne européenne (ICE) demandant l’interdiction du glyphosate, une pétition qui a recueilli plus d’1,3 million de signatures. D’ailleurs, en réponse à cette ICE, la Commission européenne a annoncé « un renforcement de la transparence [pour l’évaluation des substances] avec une proposition législative au printemps 2018 ». Pour François Veillerette, directeur et porte-parole de Générations futures, association de défense de l’environnement, l’étude AHS « n’apporte rien de nouveau et ne remet pas en cause l’avis du CIRC de 2015, qui classe le glyphosate comme cancérogène probable. Plusieurs études cas-témoins montrent en effet un risque accru de LNH lié à l’exposition au glyphosate. De plus, dans cette étude, les agriculteurs qui n’utilisent pas de produits herbicides à base de glyphosate sont considérés comme non exposés. Or ils le sont par l’alimentation et l’eau de boisson. C’est un biais énorme. Le principe de précaution existe en Europe, il faut l’utiliser ! À mon sens, nous sommes même ici dans la prévention… ».

Au-delà du glyphosate, le sujet porte sur l’impact global des pesticides sur la santé humaine. « Le cas emblématique du glyphosate pointe la question de la sélection des informations sur lesquelles on émet un avis. Cela remet en jeu les routines institutionnelles de l’évaluation des risques, souligne Jean-Noël Jouzel, chercheur au CNRS/Centre de sociologie des organisations de Sciences Po. C’est aussi un problème plus large d’exposition aux pesticides, facteur de risque d’aggravation des maladies chroniques. Derrière tout cela, il y a également le sujet des maladies professionnelles, notamment les cancers qui peuvent être imputables à ces facteurs de risques. » Au printemps 2018, une campagne exploratoire de mesure des pesticides dans l’air (dont le glyphosate), destinée à mieux évaluer l’exposition de la population française, va débuter. Preuve que ce dossier sensible n’est pas clos.

(1) La France est l’un des neuf pays à avoir voté contre.

(2) Lien : bit.ly/1x9hNIN

(3) bit.ly/2iQOWWq et bit.ly/2Atd9wt

(4) Avis relatif à la saisine glyphosate n° 2015-SA-0093, février 2016 (lien : bit.ly/2ALCjDG).

(5) Le Monde, “Monsanto papers, désinformation organisée autour du glyphosate”, octobre 2017 (lien : lemde.fr/2wxhCbE).

(6) Déclaration de l’Efsa en réponse aux allégations concernant le rapport d’évaluation portant sur le renouvellement de l’autorisation du glyphosate, septembre 2017 (lien : bit.ly/2jMCPtM).

QU’EST-CE QUE LE GLYPHOSATE ?

Le glyphosate est un herbicide breveté en 1974 par la firme américaine Monsanto. Elle le commercialise sous la marque Roundup, un produit qui contient en moyenne 41 % de glyphosate, auxquels s’ajoutent des adjuvants chimiques. Depuis 2000, le brevet initial de Monsanto est tombé. À ce jour, on estime que 800 000 tonnes de cette molécule sont produites par an dans le monde (la Chine, à elle seule, réalise 40 % de la production). Le glyphosate est la molécule la plus utilisée comme herbicide dans le secteur agricole. En France, on utilise 9 000 tonnes d’herbicides à base de glyphosate par an, dont 8 000 dans l’agriculture et 1 000 chez les particuliers et les gestionnaires d’espaces publics ou privés.

À LIRE

Face à ses juges

Près de dix ans après son enquête Le Monde selon Monsanto, la journaliste et réalisatrice Marie-Monique Robin prend la plume pour pointer les effets du glyphosate sur la santé des hommes, des animaux et des sols. Ce livre accablant, basé sur de nombreux témoignages, reprend les différents points de son documentaire diffusé en octobre sur Arte (lire notre chronique dans notre numéro d’octobre), de la mobilisation de médecins argentins à l’apparition croissante de maladies des reins au Sri Lanka… Des vies brisées, en suspens, en attente d’une reconnaissance de la dangerosité ou d’une interdiction de l’herbicide en application du principe de précaution.

Marie-Monique Robin, Le Roundup face à ses juges, La Découverte/Arte éditions, 280 pages, 2017. 18 €.