Le cadre de santé en psychiatrie, face à la perte de sens des soignants - Objectif Soins & Management n° 0298 du 12/03/2024 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

DOSSIER

Bénédicte Monteiro de Almeida  

Cadre de santé, Groupe hospitalier Paul-Guiraud, Villejuif

Dans le domaine complexe de la santé mentale, la recherche de sens au travail se profile comme un enjeu central pour les soignants. Ce paradigme s’étend également à la fonction du cadre de santé, lequel, en guidant les équipes à travers des processus de réflexion sur la signification et la pertinence de leur travail, joue un rôle déterminant.

Un constat désarmant

Dans le contexte actuel de tensions liées notamment au manque d’effectifs soignants, les hôpitaux psychiatriques font face à des difficultés majeures pour accueillir les patients en hospitalisation ou en ambulatoire dans des conditions optimales. Cette situation met en péril les valeurs humaines et professionnelles des soignants qui s’efforcent de préserver la signification de leur mission. Bien que le management puisse paraître éloigné des considérations cliniques de la psychiatrie, la présentation des résultats de recherche de fin d'études de cadre de santé, dont la thématique porte sur la perte de sens du travail des professionnels en santé mentale, met en évidence le lien étroit entre ces deux sphères. Fondée sur une analyse de la littérature et des témoignages de professionnels, cette étude témoigne que les domaines de l’encadrement et de la clinique sont animés par le désir commun de contribuer à restaurer ou maintenir le sens afin de garantir la qualité des soins. Elle investigue également la manière dont une réflexion sur le sens du travail, initiée par le cadre de santé, contribue à le remettre au centre des préoccupations de tous.

Le sens clinique mis à l’épreuve

Notre réflexion porte sur la problématique de la perte de sens du travail, ressentie par les professionnels de la psychiatrie, ainsi que sur le rôle du cadre de santé dans sa réhabilitation. Elle s'appuie sur une analyse approfondie des expériences des professionnels, explorant comment une prise de conscience accrue du sens du travail, facilitée par une approche pensée de la clinique, peut avoir un impact positif sur la qualité des soins. En examinant ces aspects, notre travail de recherche offre des perspectives éclairantes sur la manière dont la réflexion collective sur le sens du travail peut contribuer à renforcer et à stimuler la pratique professionnelle.

Ainsi, le premier constat établi a porté sur l’observation selon laquelle l’aptitude des professionnels en psychiatrie à analyser leurs émotions et leurs contre-transferts n’est pas instinctive, bien au contraire. Cette compétence semble s'acquérir, entre autres, grâce aux enseignements des infirmiers plus expérimentés. Cette approche permet d'interpréter de manière plus nuancée les diverses situations de soins auxquelles les soignants sont confrontés. Elle offre un cadre conceptuel solide en s'appuyant sur la sémiologie, l'éthique et les droits du patient, explorant divers courants de pensée tels que l'humanisme, la psychanalyse ou le cognitivisme. Cette démarche analytique permet de comprendre les dynamiques psychologiques sous-jacentes, les réponses émotionnelles des patients et les interactions complexes au sein de l'équipe soignante.

En réalité, chaque professionnel contribue activement au travail de réflexion, généralement animé par le binôme médecin-cadre de santé. Cette contribution s’effectue à divers moments du processus de soin, que ce soit lors d’échanges informels entre collègues, pendant les transmissions, au cours des réunions cliniques et institutionnelles, ou encore lors des réunions entre soignants et soignés. Cette analyse clinique, centrée sur l’approfondissement des savoirs théoriques, revêt une importance cruciale dans notre pratique quotidienne. En effet, elle constitue un processus essentiel permettant la conception et la mise en œuvre de projets de soins individualisés, garantissant ainsi une approche personnalisée et adaptée à chaque patient.

Néanmoins, les défis résident dans l’évolution des organisations de santé, en particulier celle de la psychiatrie, qui remet en question le temps consacré à la réflexion sur les soins et sur le fonctionnement institutionnel. D’autant plus que les manques d’effectifs infirmiers et médicaux soulèvent là aussi des interrogations quant à la cohérence et la continuité des prises en charge, qui peuvent amener les soignants à ressentir une diminution de motivation professionnelle.

Ces constats nous ont ainsi amenés à nous demander : « Dans le contexte actuel de la psychiatrie, comment la réflexion sur le sens du travail, impulsée par le cadre de santé, contribue-t-elle à améliorer la qualité des soins ? ». Voici quelques concepts que nous avons explorés.

Le sens du/au travail

Il nous semble primordial, dans un premier temps, de définir l’expression « sens du travail ». Plus précisément, il est indispensable de préciser à la fois la définition du terme « sens du travail » et celle de « sens au travail ».

Selon Caroline Arnoux-Nicolas(1), maître de conférences à l’université Paris-Nanterre, ces deux notions se rapportent à la dimension subjective du travail, c’est-à-dire à la manière dont les individus perçoivent leur travail et la signification qu’ils lui attribuent. Estelle Morel(2), professeur en psychologie appliquée au management et au développement organisationnel à HEC Montréal, spécifie que le sens du travail permet ainsi de favoriser l’engagement dans les tâches, la vigilance dans l’exercice de son travail, la coopération avec les autres pour atteindre les objectifs fixés et le rendement attendu. Nonobstant, des nuances existent : le sens du travail concerne la dimension personnelle de la valeur de l’action, décrivant comment les soignants perçoivent l’utilité et la finalité de leur travail. Cette perception peut varier considérablement en fonction des individus et de leurs valeurs personnelles et socioculturelles.

Le sens au travail, quant à lui, se rapporte à la manière dont les professionnels vivent leur travail au quotidien. Selon Estelle Morel, il se rapprocherait de la notion de qualité et conditions de vie au travail.

Ces deux concepts sont étroitement liés, mais peuvent être distincts dans la mesure où un individu peut avoir le sentiment de contribuer à une cause importante tout en rencontrant des difficultés à vivre son travail au quotidien, ou inversement.

La question du sens du travail, celui qui se rapporte donc à la valeur, à l’utilité que l’on donne à son métier, a été privilégiée dans cette recherche.

La perte de sens du travail

Il existe de nombreuses explications à la perte de signification du travail des soignants, liée à des évolutions sociétales, démographiques, économiques et politiques. Les multiples changements dans le champ sanitaire ont profondément perturbé l’intention qui guide les professionnels de santé. Cette détérioration de la signification des soins en psychiatrie s’explique également par un manque de compagnonnage, privant les générations passées et actuelles de la transmission des valeurs de la psychiatrie humaniste.

Comme souligné par l’analyse de Julien de Miribel(3), maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, ces circonstances ont généré des difficultés dans le maintien du travail institutionnel, favorisant ainsi une orientation vers une psychiatrie davantage axée sur la sécurité et la standardisation des protocoles.

La construction du sens

Après avoir identifié la perte de sens du travail des soignants en psychiatrie, il est désormais crucial de se pencher sur la manière de le restaurer, ou de le maintenir pour ceux qui ne l’ont pas encore totalement perdu.

Pour cela, les choix conceptuels nous ont orienté vers une lecture principalement issue de courants psychanalytiques, se rapprochant davantage de la pratique soignante dans laquelle nombre d’entre nous ont évolué. Cela dit, l’intérêt ne se limite pas à ce seul courant de pensée.

En effet, le point de vue sur la question des orientations en psychiatrie suggère qu’il serait bénéfique d’intégrer diverses approches dans chaque organisation, offrant ainsi aux soignants une variété de grilles de lecture, afin de maximiser les chances de stabilisation, voire de rétablissement des personnes soignées.

Jean-Pierre Pinel(4), psychologue et professeur de psychopathologie sociale à l’Université Paris 13, définit le concept d’incorporats institutionnels. Pour l’auteur, ils englobent les mouvements inconscients des soignants, les modes de fonctionnement et les pratiques soignantes qui ont été rapidement assimilés à leur arrivée dans l’institution, sans être réellement pensés ni symbolisés. Nous avons tous entendu des phrases telles que : « C’était comme ça avant » ou « Il faut du cadre ». En ce qui concerne cette dernière expression, il semble que peu de professionnels connaissent actuellement sa véritable signification.

Le cadre tel que les soignants le réclament actuellement fait référence essentiellement au règlement intérieur, à la sanction lorsque celui-ci n’est pas respecté. Pour Florent Poupart(5), psychologue, maître de conférences en psychopathologie clinique à l’Université Toulouse 2, « Le cadre n’est pas seulement un ensemble de règles juridiques, c’est d’abord une loi symbolique […] une posture, qui soutient et rend possible la fonction soignante, quelles que soient les modalités de la rencontre ». Ce cadre thérapeutique dans lequel se déroulent les interactions entre le patient et l’équipe est conçu pour aider à créer un environnement sûr et sécurisé pour le patient, lui offrant une structure stable qui peut aider à réguler ses émotions et ses comportements. Il permet aussi de renforcer la relation entre le patient et le soignant, en créant une base de confiance et de compréhension mutuelle.

Dans des contextes chaotiques de la psychiatrie, les incorporats institutionnels non discutés semblent participer à la perte de sens du travail des professionnels. La construction du sens du travail apparaîtrait alors, en partie, comme la remise en question de ces routines de pensées institutionnelles, bien établies, mais parfois en contradiction avec le respect des droits et des libertés des personnes hospitalisées. L’engagement collectif dans un processus cognitif et réflexif sur ces incorporats et plus largement sur l’organisation de l’activité du soin participerait alors peut-être à redonner du sens au travail, permettant à chaque soignant d’envisager un avenir plus serein.

D’ailleurs, René Kaës(6), psychologue, ajoute la nécessité, pour les institutions, de projeter une image idéale de ce qu’elles pourraient être. Cela permet d’inspirer et de mobiliser les membres de l’organisation autour d’un objectif commun, et de donner un sens à l’engagement dans leur travail. En l’absence d’une telle vision, les établissements psychiatriques risquent de se laisser enfermer dans une routine et de perdre leur expertise, leur capacité à innover et à se renouveler.

Les acteurs de la co-construction du sens

En outre, l’engagement actif de chaque membre de l’équipe revêt une importance cruciale dans cette quête de sens, d’autant plus avec les générations actuelles.  En particulier, la génération Y (ou why, « pourquoi » en anglais), est profondément investie dans la recherche de sens.

En psychiatrie, nous faisons face à la coexistence de quatre générations : les baby-boomers dont certains effectuent toujours des vacations pour compléter leur pension de retraite, les X qui se rapprochent de la retraite, les Y, et les générations Z qui ont rejoint récemment le monde du travail. Dans cette perspective, il était essentiel de définir le concept d’équipe, envisagé comme la formation d’un groupe vivant et d’un groupe psychique.

En somme, une équipe constitue un groupe vivant, une entité organique où chaque individu tient une place essentielle. Comme l’écrit Olivier Devillard(7), psychologue et consultant en ressources humaines et management : « Elle est à la fois un ensemble de cerveaux, d’expériences, de moteurs et d’acteurs ». Elle peut se représenter également par un groupe psychique, similaire à l’appareil psychique groupal décrit par René Kaës(8). Cette notion concerne la construction psychique du groupe, influençant à son tour les mécanismes psychiques individuels.

La dynamique du groupe, façonnée par les subjectivités intergénérationnelles et les compétences d’élaboration individuelles, contribue à instaurer une culture d’équipe. Il est vraisemblable que l’essence même du métier de soignant puisse perdurer ou émerger grâce à ces mouvements psychiques individuels et collectifs qui interagissent au sein du groupe et font ainsi lien entre les différents professionnels.

Le cadre de santé représente également un maillon essentiel de l’équipe. Afin de mieux appréhender son rôle dans la construction du sens du travail, sa fonction est définie en s’appuyant notamment sur la théorie de Jean-Marc Revillot(9), cadre de santé et maître de conférences. Cette perspective, que je partage, souligne que le cadre est avant tout un soignant, ce qui lui confère la capacité et la légitimité nécessaires pour mettre du sens clinique dans le soin.

De plus, le cadre de santé, également appelé cadre de proximité, est confronté à des défis fréquents en ce qui concerne le maintien de cette proximité, particulièrement dans les contextes actuels. Selon Mathieu Detchessahar, docteur en gestion et professeur des universités(10), celle-ci revêt une importance cruciale pour donner du sens à l’action. L’auteur préconise un management au plus près du système opérationnel, spécifiquement au cœur de l’activité soignante, considérant qu’il s’agit d’un levier essentiel pour coordonner l’activité de l’organisation et « stabiliser, au moins localement, le sens du travail ».

Le cadre de santé doit donc jouer un rôle essentiel dans le renforcement de l’engagement des professionnels de santé, en encourageant la réflexion sur les valeurs du travail au sein de l’équipe soignante.

Le cercle vertueux du savoir

Notre méthodologie de recherche, basée sur des entretiens semi-dirigés avec des cadres de santé, dont certains étaient plus expérimentés dans l’encadrement et en psychiatrie, a partiellement confirmé l’hypothèse formulée, à savoir : « Le management de proximité du cadre de santé est un levier permettant le développement de la co-construction du sens du travail, avec l’équipe soignante, dans un contexte d’évolution des organisations psychiatriques ». Cependant, elle a surtout ouvert la voie à d’autres approches de compréhension de la perte de sens du travail. Elles incluent l’évolution des profils des patients, caractérisée par des pathologies duelles et des problématiques sociales plus marquées qui ne correspondent plus nécessairement aux tableaux cliniques habituels. Sont également constatées une perte de compétences cliniques médicales, due au manque des psychiatres formés, une insuffisance des connaissances cliniques chez les infirmiers nouvellement diplômés en raison des apports théoriques psychiatriques insuffisants du nouveau programme universitaire, la perte de transmission de la culture des soins psychiatriques, et la charge de travail importante des cadres de santé, parfois en perte de sens dans leur propre travail.

Ces nouvelles perspectives ont suscité des éléments de discussion et ont conduit à l’émergence d’autres concepts dont quelques éléments sont représentés par le « cercle vertueux du savoir »(11) (figure 1). Amorcé par le sens du travail, celui-ci peut instaurer une dynamique positive dans laquelle chaque composante se renforce mutuellement. Cette approche holistique favorise non seulement la professionnalisation des soignants, mais également l’amélioration continue de la qualité des soins prodigués aux personnes.

Il représente une impulsion fondamentale englobant plusieurs dimensions essentielles dans le domaine du management. Lorsque les professionnels trouvent un sens dans leur travail, cela nourrit leur sentiment d’utilité, renforçant la conviction que leurs actions ont un impact positif sur la vie des patients. Cette perception, à son tour, accroît la motivation des soignants, les incitant à s’investir pleinement dans leur travail au service du bien-être des personnes dont ils s’occupent.

En psychiatrie, la maîtrise des connaissances revêt une importance particulière, car elle donne un sens au soin, conférant ainsi une signification profonde au travail des soignants. La mise à jour constante des connaissances, la participation à des formations, l’acquisition de nouvelles compétences et l’analyse des pratiques professionnelles sont autant de leviers qui permettent non seulement aux soignants de maintenir un niveau d’excellence et d’assurer des soins de qualité, mais également de valoriser les métiers de la santé. Ces pratiques contribuent de manière significative à renforcer la motivation, l’engagement professionnel, ainsi que l’épanouissement personnel.

Le partage des connaissances

Selon Philippe Rodet(12), médecin auteur et conférencier, le sens demeure un levier essentiel de la motivation, incitant chacun à s’investir dans ses missions. Il souligne que celui-ci est profondément lié à la transmission des connaissances et à l’échange intergénérationnel. Ce processus de partage des savoirs, des expériences et des compétences agit comme un moteur, renforçant les liens sociaux, favorisant ainsi les échanges nécessaires dans l’élaboration clinique des soins en psychiatrie.

Ces interactions semblent ainsi, refléter le concept de « mise en discussion du travail réel par le cadre de proximité » tel que décrit par Mathieu Detchessahar(10) : « Le travail doit devenir ou redevenir le lieu de déclenchement possible de l’innovation et il ne le sera qu’à la condition que le management fasse retour dans le travail et y anime la discussion de manière à mettre en visibilité des zones possibles d’innovation ». L’objectif est d’améliorer la qualité de vie au travail, de rétablir un sens à l’activité professionnelle et de favoriser l’émergence de projets.

Néanmoins, ce travail de mise en discussion ne peut être possible sans une politique d’engagement collectif dans cette démarche et une implication institutionnelle donnant des moyens et des ressources aux cadres de santé. Le management de proximité exercé par le cadre de santé apparaît alors comme un levier essentiel en psychiatrie, pour la co-construction du sens du travail au sein de l’équipe soignante. En favorisant les échanges, la participation à la définition des objectifs, il peut encourager l’engagement et la motivation des professionnels, conduisant ainsi à une amélioration de la qualité des soins. Toutefois, les enjeux en matière de santé mentale sont complexes et spécifiques. Pour réussir dans ce rôle, l’enquête a montré qu’une connaissance approfondie de la psychiatrie s’avère aussi indispensable pour le cadre de santé, si celui-ci n’est pas issu de la filière psychiatrique.

En considérant cette étude, il est possible de conclure que, dans le contexte actuel de la psychiatrie, une réflexion active sur le sens du travail, initiée par le cadre de santé, contribue à l’amélioration de la qualité des soins dispensés aux patients. Le sens du travail se réfère donc à la signification que les professionnels de santé accordent à leurs fonctions et à la façon dont ils s’investissent dans leur mission. La reconnaissance de cet engagement peut renforcer leur dévouement envers leur métier, stimuler leur créativité et améliorer leur capacité à offrir des soins de qualité.

Cependant, il est légitime de se demander si le sens du travail pleinement retrouvé serait suffisant pour influencer positivement la manière dont les soignants perçoivent quotidiennement la charge et la difficulté de leur travail. D’autant plus que l’enjeu à venir consisterait à accompagner les générations Z dans ce processus de transmission du savoir, du savoir-faire et du savoir-être en psychiatrie. L’accompagnement de ces jeunes générations du « tout, tout de suite », pour qui la rapidité prime et qui ont soif d’apprendre vite, sans renoncer au sens de leurs actions, représente un défi particulier dans ce contexte.

Un avenir positif compromis

Je suis revenue de ma formation de cadre de santé avec fierté et ambition, voulant mener des « tonnes » de projets avec des équipes motivées et enthousiastes. J’ai appris que l’unité d’hospitalisation dont on allait me confier la responsabilité serait fermée pendant la période estivale en raison d’un grand nombre de départ d’infirmiers. Quelques mois après l’été, au moment où j’écris, cette situation perdure toujours…

Nous nous retrouvons face à des soignants démobilisés et découragés.

Si, dans un premier temps, la fermeture de l’unité a permis de satisfaire la possibilité d’accorder des congés à tous les soignants en regroupant le personnel de deux unités, cette solution temporaire, en attendant le recrutement de nouveaux soignants, se révèle déconcertante, et même triste à y réfléchir.  D’autant plus qu’il est difficile voire impossible de recruter pour une unité fermée…

D’ailleurs, elle soulève la question de la manière dont les professionnels de santé travaillant en psychiatrie peuvent trouver ou maintenir le sens de leur travail malgré les contraintes croissantes auxquelles ils sont confrontés. S’ajoute à cela la préoccupation concernant l’avenir, ou plutôt l’absence d’un avenir positif et meilleur, qui pourrait compromettre la capacité de chacun à se rattacher à ses valeurs humaines et professionnelles. Le manque de perspectives encourageantes crée un climat d’incertitude et de désillusion parmi les professionnels de santé qui sont restés travailler dans le service, et pourrait influencer leur engagement envers leur métier.

J’ai échangé avec une collègue psychiatre au sujet de l’urgence de rouvrir l’unité, alors que nous ne disposions toujours pas d’un nombre suffisant d’infirmiers. Notre capacité d’accueil ne permet pas de répondre à la demande en hospitalisation, ce qui rallonge notamment les délais d’attente aux urgences. La direction tente de nous rassurer en évoquant la possibilité de pallier ce manque d’effectifs par le biais d’intérim ; une pratique adoptée par d’autres services.

J’étais assez favorable à ce projet d’ouverture même si toutes les conditions n’étaient pas réunies. Mais la psychiatre a ajouté, à juste titre, sa préférence pour travailler avec une équipe « difficile » mais « complète » ; même si cela implique des échanges parfois « houleux », entre des soignants souhaitant être partie prenante dans toutes les prises de décisions.

Le travail « bien fait »

L’engagement indispensable dans les métiers de la santé ne peut pas être fondé uniquement sur le simple sentiment d’utilité ; les soignants aspirent également à fournir un travail de qualité. Lorsqu’ils se trouvent en situation de sous-effectif, contraints de prioriser les tâches les plus critiques en « mode dégradé », ils éprouvent la sensation de ne pas accomplir leur travail correctement. J’observe alors des professionnels frustrés et préoccupés par l’avenir, me demandant régulièrement : « Quand allons-nous rouvrir ? ». Il est évident que la réduction de notre capacité en lits, conduisant à des hospitalisations trop courtes, entraîne des répercussions sur la qualité des prises en soin et, par conséquent, sur leur propre perception de la qualité de leur travail.

Le cadre de santé est garant d’un optimisme prononcé afin de mobiliser les professionnels de santé dans des projets innovants, notamment le développement, avec les médecins, d’alternatives à l’hospitalisation, comme des dispositifs d’équipes mobiles… engageant ainsi l’ensemble des soignants vers un avenir acceptable.

Bibliographie

Ouvrages et articles

1. Arnoux-Nicolas, C. Donner un sens au travail, pratiques et outils pour l’entreprise. Dunod (2019).

2. Morin, E. Sens du travail, santé mentale au travail et engagement organisationnel. IRSST, Études et recherches, Rapport R-543 (2008).

3. Miribel, J., Niewiadomski, C. & Piot, T. Expérience et professionnalisation des infirmiers en psychiatrie : des ficelles au métier. L’Harmattan (2020).

4. Gaillard, G. & Pinel, J. L’analyse de la pratique en institution : un soutien à la professionnalité dans un contexte d’emprise gestionnaire. Nouvelle revue de psychosociologie, 11, 85-103 (2011).

5. Poupart, F. Le cadre thérapeutique, une peau pour le soin. Santé mentale 224, 18-23 (2020).

6. Kaës, R. (sous la direction de). L’institution et les institutions. Études psychanalytiques. Dunod (2012).

7. Devillard, O. Dynamiques d’équipes. Éditions d’organisation, 3e édition (2005).

8. Kaës, R. L’appareil psychique groupal. Dunod (2010).

9. Revillot, J-M. Pour une visée éthique du métier de cadre de santé. Éditions Lamarre, 2e édition (2017).

10. Detchessahar, M. Faire face aux risques psycho-sociaux : quelques éléments d’un management par la discussion. Négociations, 19, 57-80 (2013).

11. Monteiro de Almeida, B. Sens et performance : Comment le cadre de santé en psychiatrie peut-il redonner du sens au travail des soignants afin d’améliorer la qualité des soins ?  Mémoire. Créteil, ESM Formation & Recherche en soin, Université Paris-Est Créteil (2023).

12. Rodet, P. Le management bienveillant. Eyrolles. (2017).

Sites internet

- https://youtu.be/S8hVG_6cjsQ : Les générations Y et Z en entreprises : mieux les comprendre et travailler ensemble. 2019.

- https://youtu.be/kOE72hIcMHM : 20e congrès Apel, intervention de Carol Allain, « Le choc des générations ». 2019.