La fatigue, symptôme d’un système à bout de souffle ? - Objectif Soins & Management n° 0298 du 12/03/2024 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

risques psychosociaux

ACTUALITÉS

Anne Lise Favier

  

Une majorité écrasante de soignants se déclarent fatigués. Assommés par la lourdeur administrative et le manque de moyens humains voire matériels, ils continuent pourtant de travailler. Quelles sont les solutions pour endiguer ce phénomène ?

Les cordonniers sont les plus mal chaussés, les soignants les plus mal soignés. C’est en tout cas ce qu’indique une étude MNH-Odoxa publiée en septembre 2022 selon laquelle 25 % des professionnels de santé s’estimeraient en mauvaise santé, soit deux fois plus que l’ensemble des salariés français. Signe de cette précarité, la santé psychologique est pointée du doigt avec trois quarts des soignants qui jugent leur emploi fatigant, là où moins de la moitié des Français ont le même ressenti. Les soignants auraient-ils donc un emploi plus fatigant ? Oui, si l’on en croit les statistiques dévoilés dans cette étude : en moyenne, ils travaillent 40 heures par semaine, soit plus de 3 heures de plus que la moyenne et un quart d’entre eux se situeraient à plus de 45 heures par semaine. C’est un fait : la fatigue et l’épuisement professionnel sont en hausse chez les professionnels de santé. D’après la 2e édition du Baromètre sur la charge mentale des soignants Posos-Lifen1, la quasi-totalité (96 %) des soignants ressent une fatigue intense au travail, un chiffre en augmentation par rapport à 2022, année du 1er Baromètre (94 %) : que ce soit en milieu hospitalier ou en libéral, la fatigue et l’épuisement professionnel sont en hausse chez les soignants. Selon cette étude, les médecins hospitaliers sont les plus susceptibles de déclarer fréquemment ressentir de la fatigue, avec un taux de 60 %. Pour la moitié des soignants, les raisons sont à chercher du côté de la lourdeur administrative et du manque de reconnaissance, sans compter le ratio patients-soignants en déséquilibre, avec des effectifs de soignants trop réduits et un nombre de patients en constante augmentation.

Charge mentale accrue

S’ajoutent à ces causes un manque de temps de récupération, un mauvais management, une mauvaise organisation et des problèmes dans la gestion du travail et des équipes. Si les moyens humains semblent être les déclencheurs les plus souvent cités dans cette fatigue chronique, les moyens matériels apportent leur lot de tracas quotidiens : 22 % des soignants déplorent en effet le manque de matériel adapté et en quantité suffisante. À cela s’ajoute la complexité de la gestion des patients (43 %). Les soignants pointent l’exemple de la prescription, qui, par sa complexité et ses répercussions, génère une charge mentale importante : près des trois quarts des soignants estiment épuisante l’analyse des risques dans la prescription, ainsi que l’adaptation des doses de médicaments. Le numérique, vu par certains comme une solution à certains problèmes, est plutôt perçu par les soignants comme une nouvelle source de tracas : ils sont 37 % à penser qu’il serait nécessaire de disposer d'outils numériques plus ergonomiques et rapides pour améliorer les conditions de travail et réduire le stress.

Danger du présentéisme

Face à cette fatigue écrasante, paradoxalement, les soignants ne sont pas davantage absents : ils font même souvent preuve de présentéisme, une tendance dans laquelle certains salariés font acte de présence malgré leur état de santé. Conscience professionnelle ? Probablement : pour ne pas rendre le travail de leurs collègues encore plus difficile, mais aussi pour éviter au cadre la réorganisation compliquée des plannings. À cela s’ajoute une certaine précarisation de la profession : être en arrêt maladie, lorsqu’on n’occupe pas un poste sacralisé (précarité des contrats, intérim, contrats à durée déterminée), c’est prendre le risque d’une perte de revenus. Malgré tout, ce présentéisme représente un danger pour le salarié fatigué et les patients : non seulement, il induit une dénégation du problème de santé ou de fatigue rencontré par le personnel soignant, ce qui peut majorer les problèmes futurs, mais il peut aussi impacter négativement la prise en charge du patient : les erreurs médicales, lorsqu’elles surviennent, sont souvent le fait d’une fatigue du soignant qui a continué à travailler malgré un repos nécessaire. Ce présentéisme est loin d’être simple à régler : tant qu’il n’y aura pas d’adéquation entre, d'une part, le volume de travail et de patients à prendre en charge, et d'autre part les effectifs de soignants, les professionnels continueront de venir travailler tout en étant malades et fatigués.

La fatigue, indice de burn-out ?

Le burn-out ou épuisement professionnel est défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès ». Il se caractérise par un épuisement mental et physique et une dévalorisation voire du cynisme vis-à-vis de son travail. Il est important d’en connaître les symptômes pour ne pas les laisser s’installer. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), ses manifestations diffèrent d’un individu à l’autre et sont donc parfois difficiles à repérer : « ses principaux symptômes sont d’ordre émotionnel (anxiété, tristesse, hypersensibilité, absence d’émotion...), cognitif (troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentration...), comportemental ou interpersonnel (isolement social, comportement agressif ou violent, diminution de l’empathie, comportements addictifs...), motivationnel (désengagement, remise en cause professionnelle, dévalorisation...) et physique (troubles du sommeil, troubles musculo-squelettiques, gastro-intestinaux...) », énonce-t-elle. Une fatigue intense peut donc être un signe de burn-out en dehors de toute pathologie identifiée.

Soigner le soin par le soin

Selon les soignants, la solution est à chercher du côté du soutien et de la reconnaissance, ainsi que de la rémunération : ce ressenti est plus prégnant chez les infirmières libérales que chez les salariées de l’hôpital, d’après le Baromètre Posos-Lifen. Les soignants déplorent également un déséquilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ce qui induit une fatigue, notamment du fait de la difficulté à déconnecter et à faire la part des choses entre les deux domaines. Aussi, ils appellent de leur vœux une meilleure conciliation entre les deux univers pour réduire la charge mentale. Lorsque ces pistes se révèlent insuffisantes ou impossibles à mettre en place, il convient de soigner les soignants avec une prise en charge spécifique : l’association Soins aux professionnels de la santé (SPS) vient en aide aux soignants en situation de souffrance au travail par le biais d’un accompagnement psychologique. Le Collège français des anesthésistes-réanimateurs (Cfar) propose des auto-tests2 individuels ou d’équipes pour déceler un état de fatigue ou de burn-out : s’ils ne se substituent pas à l’avis d’un médecin, ils sont un premier pas pour prendre conscience d’une situation. Certains services dédiés aux soignants pour la prise en charge du burn-out voient le jour : à Toulouse, le CHU a mis en place l’an dernier un Centre de prévention de l’épuisement professionnel des soignants (Peps) pour proposer une prise en charge spécialisée et pluridisciplinaire, individuelle ou collective. Selon le Pr Fabrice Hérin, chef de service des pathologies professionnelles et environnementales, « La souffrance s’est accrue avec la crise sanitaire liée au Covid-19 » : 50 % à 60 % des soignants seraient concernés par un burn-out selon le CHU toulousain. Le centre propose trois niveaux de prise en charge : l’un pour l’accompagnement des personnes à risque, un second pour les situations avérées de burn-out et enfin un dernier pour l’accompagnement destiné à éviter une rechute. Il fonctionne six jours sur sept avec l’intervention de différents professionnels, médecins spécialistes des pathologies professionnelles, psychologues, infirmières, addictologues et psychiatres : ils assurent des consultations individuelles et proposent également des ateliers collectifs comme « développer ses ressources pour faire face à l’épuisement ».

1. Baromètre 2023 établi par Posos et Lifen, étude menée sur 3345 soignants de mars à avril 2023, toutes professions confondues.

2. https://smart-individuels.rps-tests.fr/#fatigue

Lire aussi :

- La souffrance au travail – Les soignants face au burn-out, Alexandre Manoukian (Éditions Lamarre).

- Soigner sans s’épuiser, Michelle Arcand, Lorraine Brissette, Josiane Bonnet (Éditions Lamarre).

- Le burn-out à l’hôpital – Le syndrome d’épuisement professionnel des soignants, Pierre Canouï, Aline Mauranges, Anne Florentin (Elsevier Masson).