Empoignades autour du futur grand hôpital de Saint-Ouen - Objectif Soins & Management n° 0298 du 12/03/2024 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0298 du 12/03/2024

 

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Adrien Renaud

  

Une nouvelle enquête sur le caractère d’utilité publique du futur hôpital de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), qui doit remplacer les hôpitaux Bichat (Paris 18e) et Beaujon (Clichy, Hauts-de-Seine), a eu lieu cet hiver. Un épisode de plus dans une bataille déjà ancienne.

Une histoire de conflits, et parfois de conflits judiciaires. Voilà ce qui peut pour l’instant définir la trajectoire du « Campus hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris-Nord », le futur établissement qui doit prendre en 2028 la relève de deux des plus importants hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans le nord de la capitale : Bichat et Beaujon. Après les péripéties liées à son emplacement, le projet mené par le célèbre architecte Renzo Piano (auteur entre autres, à Paris, du Centre Pompidou et plus récemment du Palais de justice) a en effet été mis en cause devant les tribunaux administratifs pour sa capacité d’accueil.

« Qu’on s’entende bien : nous ne sommes pas opposés à la création d’un nouvel établissement, car le moins que l’on puisse dire est que Bichat et Beaujon ne nous offrent pas des conditions optimales, précise Olivier Youinou, infirmier anesthésiste et co-secrétaire du syndicat Sud-Santé AP-HP, l’une des organisations à l’origine de la procédure judiciaire. Mais nous considérons que le projet initial ne permet pas de répondre aux besoins de la population. » Marie Citrini, qui était représentante des patients au conseil de surveillance de l’AP-HP quand les décisions concernant le futur établissement ont été prises, confirme. « Ce qui nous a perturbés, c’est que nous nous retrouvions structurellement avec beaucoup moins de lits d’hospitalisation que dans les deux hôpitaux que nous fermions, avec un nombre de passages aux urgences qui nous paraissait largement sous-estimé », se souvient-elle.

La déclaration d’utilité publique attaquée

Et bien que le projet ait été révisé depuis, avec 175 lits et 110 places d’ambulatoire supplémentaires, le compte n’y est selon eux toujours pas. C’est ce qui a conduit le syndicat Sud, le Collectif inter-hôpitaux (CIH), le Collectif inter-urgences (CIU) ainsi que plusieurs personnalités à titre individuel (dont Marie Citrini) à attaquer la déclaration d’utilité publique du chantier du futur hôpital devant le Tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Celui-ci a rendu sa décision en juillet dernier, et le moins que l’on puisse dire est que celle-ci a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les magistrats ont en effet décidé d’annuler la déclaration d’utilité publique, car le faible nombre de lits prévu porte selon eux « atteinte au droit fondamental à la protection de la santé ».

Bien sûr, l’AP-HP (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions et nous a renvoyés vers son site internet) a fait appel. La bataille judiciaire s’est donc poursuivie devant la Cour administrative d’appel de Paris, qui dans sa décision du 24 octobre dernier a complètement rebattu les cartes. Considérant que le jugement des magistrats montreuillois était « insuffisamment motivé », leurs confrères parisiens ont rétabli la déclaration d’utilité publique, sans toutefois donner un blanc-seing à la construction du nouvel hôpital. Constatant qu’il manquait la contre-expertise dans le dossier d’enquête publique qui s’est déroulée à l’automne 2021, la cour d’appel a estimé qu’il y avait là un « vice de procédure » et ordonné la tenue d’une nouvelle enquête dans les six mois. Celle-ci a été organisée du 29 janvier au 3 mars 2024 : la population de Saint-Ouen a été invitée à venir donner son avis sur le projet en ligne, via des formulaires papier, ou encore dans des réunions publiques organisées sur le territoire de la commune.

Reste que quelle qu’en soit l’issue, cette nouvelle consultation est loin d’être la dernière étape envisagée par les différents syndicats et collectifs qui souhaitent faire évoluer le projet. « Nous sommes un peu coincés, car s’il n’y avait pas de projet dans les années qui viennent, Beaujon et Bichat fermeraient tout de même, constate Olivier Youinou. Mais nous avons toujours voulu du concret, et ce n’est pas avec une enquête publique que nous allons en obtenir. Nous allons donc continuer à négocier pied à pied avec la direction et les tutelles pour que le capacitaire de ce nouvel hôpital soit au plus près des besoins de la population, et ce pour les 50 années qui viennent. » Mais du côté de l’AP-HP, ce n’est pas le prochain demi-siècle qui est mis en avant : sur son site, le groupe continue à prévoir une ouverture en 2028… À moins que de nouvelles péripéties judiciaires ne viennent s’en mêler.