Vers de nouvelles missions pour les infirmiers ? - Objectif Soins & Management n° 0285 du 10/02/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0285 du 10/02/2022

 

ACTUALITÉS

Claire Pourprix

  

Dans un contexte de revendications croissantes des soignants pour faire reconnaître l’ampleur possible de leur champ d’exercice et la pénurie de médecins, l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) s’est vu confier par le ministre des Solidarités et de la Santé la mission d’évaluer des dispositions pour identifier et développer les compétences des professionnels paramédicaux, afin qu’ils puissent intervenir dans des champs jusqu’alors réservés aux médecins.

Comment étendre l’action des infirmiers dans le champ médical ? Protocoles de coopération, infirmiers en pratique avancée, profession de santé intermédiaire : c’est sur ces trois axes que l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) a planché pour formuler des recommandations*. Elle a mené ce travail sur la base d’entretiens avec 200 interlocuteurs, notamment des professionnels de terrain, les Agences régionales de santé (ARS) et des associations de patients. Ses recommandations s’appuient sur des expérimentations et des pratiques existantes et visent à envisager des solutions pérennes et cohérentes, qui répondent aux besoins des patients autant qu’aux aspirations des professionnels.

Protocoles de coopération, à revoir

Les protocoles de coopération ont été mis en place en 2009 par la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) pour autoriser des transferts d’activités entre professionnels, dérogatoires aux décrets d’actes en vigueur. Ces protocoles ont « permis de régulariser des glissements de tâches déjà existants, mais aussi d'expérimenter de nouvelles formes de coopération et d'organisation ». Toutefois, au vu de la lenteur de mise en place des dispositifs, ils ont été révisés dix ans plus tard par la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé de 2019, selon deux modalités : des protocoles nationaux initiés par l’administration, pour répondre à des priorités de santé publique, et des protocoles locaux pour répondre aux besoins de santé des professionnels sur le terrain. Il est encore trop tôt, d’après l’IGAS, pour évaluer l’impact de la simplification introduite par la loi de 2019, mais pour l’heure, les protocoles locaux sont bien plus actionnés que les protocoles nationaux.

L’IGAS recommande de sécuriser les protocoles et les compétences des professionnels impliqués, de renforcer leur pilotage national et leur suivi, notamment en définissant, au niveau du Comité national des coopérations interprofessionnelles (CNCI), « une grille de critères permettant d'identifier les protocoles les plus susceptibles de sortir d'un cadre dérogatoire pour être pérennisés, soit dans les compétences de la profession socle concernées, soit dans le cadre d'une pratique avancée. »

L’enjeu est d’ajuster plus finement le cadre des protocoles de coopération tout en les différenciant de la pratique avancée qui a été introduite depuis leur mise en œuvre.

Pratique avancée, à déployer

Autorisée par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 (mise en œuvre en 2018) pour tous les auxiliaires médicaux, la pratique avancée est pour l’heure réservée aux seuls infirmiers. Pour rappel, l'exercice de l'infirmier en pratique avancée (IPA) est destinée aux professionnels infirmiers pouvant justifier d’une certaine expérience dans leur métier socle, diplômés d’un master universitaire adossé à un référentiel national de compétences. Elle leur permet de prendre en charge ou d’effectuer le suivi de patients dans une relative autonomie, dans cinq domaines : les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en soins primaires ; l’oncologie et l’hémato-oncologie ; la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale ; la psychiatrie et la santé mentale ; et, depuis octobre 2021, les urgences.

La pratique avancée a connu des débuts chaotiques, faisant l’objet de contestations d’une partie de la population soignante. L’IGAS concède que « confrontée dès l'origine, à de fortes oppositions, la pratique avancée infirmière n'a pas pu se développer à la hauteur des objectifs fixés. Son essor est contrarié à la fois par la dépendance au médecin qu’elle instaure pour l’accès à la patientèle, et un modèle économique inadapté et sous-dimensionné. Des mesures rapides sont impératives pour viabiliser et assurer l’attractivité de l'exercice en pratique avancée. »

La mission évoque de nombreux dysfonctionnements et recommande deux pistes majeures pour dynamiser le déploiement de cette pratique, en distinguant les soins spécialisés des soins primaires : « une révision du modèle économique et du financement, en libéral comme en établissement ; l'élargissement du périmètre d'intervention des infirmiers en pratique avancée par la correction des textes interdisant aujourd'hui : aux patients de consulter à leur initiative un IPA ; aux IPA de primo-prescrire, à leurs patients, certains traitements (antalgiques, soins infirmiers ou de rééducation…) ou prestations (avis d'arrêt de travail, prescriptions de transport…) nécessaires à l'accompagnement des patients qu'ils suivent et la bonne prise en charge de leur pathologie. » Elle préconise également de différencier les IPA spécialisés (dont le champ d'intervention concerne un domaine de compétences) des IPA praticiens (intervenant dans le champ de l'urgence, par exemple).

La mission de l’IGAS a constaté « l'impact très positif de l'installation des premières IPA en matière de qualité de suivi et de soins des patients comme d'amélioration des conditions d'exercice des médecins impliqués ». Pour viabiliser l’exercice des IPA, elle recommande de mieux valoriser leurs compétences (notamment via une meilleure rémunération), prendre en compte les conséquences du partage des compétences pour les médecins libéraux, soutenir la formation des IPA et accompagner le développement de la pratique avancée infirmière.

Profession de santé intermédiaire, à quoi bon ?

La notion de profession de santé intermédiaire, introduite à l’automne 2020 lors des débats sur le vote de la loi Rist, ne fait pas l’unanimité dans sa définition même. La mission de l’IGAS s’est interrogée sur l’utilité de créer ex nihilo une nouvelle profession et conclut à un non-sens, d’autant qu’elle constate que « de façon quasi-unanime, les acteurs du système de santé considèrent d'ores et déjà les infirmiers en pratique avancée comme une profession de santé intermédiaire, alors même que leur positionnement dans le code de la santé publique ne leur reconnaît pas pour l'instant ce statut ».

Repenser l’organisation globale des soins

L’IGAS émet des recommandations visant à créer les conditions d’un partage plus ambitieux des compétences pour répondre aux besoins de prise en charge des patients. Le rapport invite à une refonte de la structuration des professions de santé dans le Code de la santé publique, « dans le contexte de l’essor des coopérations interprofessionnelles et de la montée en compétences des professionnels paramédicaux » afin de réviser les périmètres d’intervention pour passer « d’un système de cloisonnement à un système de partage » et repenser la place des professionnels de santé dans le parcours de soins.

Plus globalement, et pour « dépasser les blocages actuels », la mission de l’IGAS propose deux scénarios pour repenser le système d’organisation des soins. L’enjeu est d’améliorer l’accès aux soins, alors que 64 % des Français renonceraient à se soigner à cause des délais de rendez-vous des praticiens, selon l’Observatoire de l’accès aux soins. Le premier scénario repose sur une « refonte de l'articulation et du partage de compétences entre toutes les professions, replaçant chacune sur sa valeur ajoutée en s'appuyant sur une instance présidée par une personnalité qualifiée, composée des représentants des différents CNP [conseils nationaux professionnels] et du collège de médecine générale, des structures d’exercice coordonné, des conseils nationaux des ordres professionnels, des étudiants et internes médicaux et paramédicaux, et de représentants des patients ». Le deuxième scénario s’inscrit dans une démarche de démocratie sanitaire via l’organisation d’une convention citoyenne.